Mercredi 14 mai, le feu a ravagé des maisons à Patsy, après une altercation entre deux enfants, l’un de ce village et l’autre du village voisin, Nkondroni. Les affrontements intervillageois sont trop fréquents à Anjouan.
Par Anoir Ahamadi
Sur les hauteurs d’Anjouan, deux villages se font face. Nkondroni et Patsy, aux trajectoires entremêlées, partageant la même terre, la même pluie, la même langue. Mais aujourd’hui, ce voisinage est la cause d’une rivalité ouverte. Ce qui n’était qu’un banal accrochage entre adolescents dans une rivière s’est transformé en affrontements violents, en incendies et en chaos. À l’heure des examens, plusieurs étudiants se retrouvent sans toit, sans effets personnels, désorientés dans un climat de peur et de tristesse.

Une simple altercation qui tourne au drame
Tout a commencé le mardi 13 mai 2025, en journée, dans une rivière où des enfants de moins de quinze ans avaient l’habitude de jouer. L’un venait de Patsy, l’autre de Nkondroni. On parle d’échanges verbaux tendus, d’insultes proférées, puis d’une gifle donnée. Celui de Patsy aurait levé la main sur celui de Nkondroni. Une scène qui aurait pu s’arrêter là, comme bien d’autres, n’était-ce la fragilité du tissu social entre les deux localités. Car ce n’est pas qu’une histoire d’enfants, c’est l’écho d’un ressentiment plus profond, d’un malaise latent qui cherche la moindre étincelle pour s’enflammer.
Dans la nuit de mardi à mercredi, ce fut au tour des jeunes de Nkondroni de « répondre » à l’affront. L’agresseur présumé, originaire de Patsy, aurait été attaqué en représailles. L’information a vite circulé, d’un groupe WhatsApp à un autre, d’un quartier à l’autre. Mercredi matin, les regards se croisent avec méfiance, les voix montent, les menaces pleuvent. Le feu, au sens propre comme au figuré, ne tarde pas à embraser la situation.
Le feu n’épargne rien
Il est 18 heures passées quand les premières fumées noircissent le ciel. Des épiceries, des cases, des dortoirs d’étudiants partent en feu. Des cocktails Molotov seraient à l’origine des incendies. À la nuit tombée, c’est l’incompréhension, la panique, le choc. Ce sont des cris dans les ruelles, des silhouettes fuyant avec quelques habits sauvés à la hâte, des documents universitaires qui partent en cendres. Pour Farouk Ahamadi, un étudiant habitant à Patsy, la nuit du mercredi restera gravée à jamais. « Ma case a pris feu, j’ai perdu toutes mes affaires. J’avais déjà commencé mes révisions. Je ne sais pas comment continuer », confie-t-il, la voix brisée.
Une étudiante originaire de Mohéli, dont nous tairons le nom à sa demande, raconte son impuissance : « J’ai vu ma chambre brûler. Le toit en tôle a pris feu. Il était impossible d’approcher. Je ne pouvais rien faire. Juste pleurer. » Comme elle, des dizaines d’étudiants se retrouvent sinistrés, sans abri, à quelques jours seulement des compositions universitaires.
Et comme le rappelle Nadjaf Mirghane de Bazimini : « Moro ka wuji mkiri » (« Le feu n’épargne rien »). Le proverbe, hélas, a trouvé son illustration la plus tragique. Le feu a tout emporté : les effets personnels, les cahiers de cours, les souvenirs, mais surtout la confiance entre deux communautés voisines.
Une violence qui se répète, sans leçon tirée
Ce genre de conflit n’est pas une première sur l’île d’Anjouan. Les rivalités entre villages ou quartiers ne sont plus des faits isolés. Les exemples récents abondent : Ouani contre Barakani, Comoni contre Kiyo, Mutsamudu contre Mirontsi… À chaque fois, les causes paraissent anodines, mais les conséquences sont dévastatrices. Et pourtant, aucun dispositif durable ne semble être mis en place pour prévenir ces violences.
Un observateur averti, ancien enseignant dans la région, soupire : « Ce sont des blessures ouvertes qu’on laisse se gangrener. À chaque épisode, on crie au scandale, puis on oublie. Jusqu’au prochain choc. » Il faut le dire : les politiques de paix locale font défaut. Il manque des cadres de médiation solides, des espaces de dialogue intercommunautaires, des relais sociaux pour désamorcer les tensions avant qu’elles ne dégénèrent.
Un besoin criant d’encadrement et de prévention
Face à cette montée de violence, plusieurs voix s’élèvent pour appeler à l’action. Des comités villageois de prévention, des cellules d’alerte, des équipes mixtes de médiateurs sont évoqués. Car prévenir vaut toujours mieux que guérir – et surtout, que reconstruire après les flammes.
Ce sont les maires, les adjoints, les préfets nouvellement élus qui sont désormais interpellés. Leur mission ne peut plus se résumer à des cérémonies symboliques ou des discours convenus. Ils doivent penser, concevoir et mettre en œuvre une politique publique de cohésion sociale adaptée aux réalités locales. Une politique qui associe la jeunesse, les leaders coutumiers, les associations, et qui ancre la paix dans le quotidien des habitants.
Certains proposent même de faire intervenir des éducateurs spécialisés, des animateurs de quartiers, voire des psychologues. D’autres estiment que l’éducation civique, absente ou mal intégrée, devrait être renforcée dès le collège, pour construire une culture de tolérance et de dialogue.
Quand la jeunesse paie le prix fort
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est que les principales victimes sont des jeunes. Des étudiants venus parfois de loin, de Mohéli, de Grande-Comore, qui ont choisi de poursuivre leur formation à Anjouan. Des jeunes qui n’ont rien à voir avec les querelles locales, mais qui se retrouvent pris au piège d’une rivalité qu’ils ne comprennent même pas.
À quelques semaines des compositions universitaires, le traumatisme est immense. Le stress des examens s’ajoute à la perte matérielle, à l’insécurité. Certains envisagent déjà de rentrer dans leur village d’origine, d’abandonner l’année. D’autres restent, par fierté ou par dépit, mais sans aucune garantie sur leur avenir proche.
L’intervention salutaire des forces de l’ordre
C’est dans cette nuit tendue du mercredi que les forces de l’ordre sont finalement intervenues. Leur action a permis d’éviter le pire. Le risque était grand que les affrontements ne se généralisent, que d’autres maisons soient incendiées, que des vies soient perdues.
La population, dans sa majorité, salue cette intervention. Elle demande toutefois plus de présence, plus d’anticipation, et surtout, plus de justice. Car tant que les auteurs des actes violents ne seront pas identifiés, jugés, et punis, le cycle de la vengeance ne sera pas brisé.
Et maintenant ?
La poussière est retombée, mais les cendres sont encore tièdes. Les cœurs, eux, sont loin d’être apaisés. Ce qui s’est passé entre Nkondroni et Patsy doit être pris au sérieux. Ce n’est pas juste un fait divers, c’est un signal. Un signal que le vivre-ensemble est en crise, que le dialogue est absent, que la jeunesse est abandonnée à elle-même.
Il ne s’agit pas de pointer du doigt un camp contre un autre. Il s’agit de reconstruire des ponts là où les flammes ont laissé des ruines. Il s’agit de parler, d’écouter, de comprendre. Et surtout, d’agir. Avant que la prochaine étincelle ne transforme encore un conflit banal en tragédie humaine.