La découverte du corps de Hikimata Ahamada le 1er février dernier a secoué tout le pays et les révélations au compte-gouttes sur les circonstances de son assassinat tiennent en haleine tout un peuple qui, depuis de nombreuses années, a soif de justice depuis.
Par Mounawar Ibrahim
Le 31 janvier 2025, la disparition de Hikimata Ahamada, originaire de Mbeni, au Nord de Ngazidja, a bouleversé la nation comorienne. Dès le lendemain, son corps a été retrouvé dans une scène macabre, suspendu dans une cuve, la tête dans l’eau. Ce crime d’une brutalité inouïe a secoué la conscience collective et ravivé le débat sur la justice et la peine capitale aux Comores.

Une nation sous le choc
L’annonce de la disparition de Hikimata Ahamada a immédiatement suscité l’inquiétude de sa famille et de son entourage. Jeune femme pieuse et respectueuse, elle travaillait pour l’agence RIA Money de Mbeni. Elle avait ainsi l’habitude de transporter de l’argent depuis Exim Bank de Moroni. Lorsque son corps a été découvert, la stupeur s’est transformée en indignation. La brutalité du crime a soulevé une vague d’émotion à travers tout le pays. Le procureur de la République a relaté les détails de l’affaire, d’après les aveux de Nassurdine Ahamada dit Mikiro, chauffeur habituel de la victime, jusqu’ici seul mis en cause dans ce crime.
Un appel généralisé à la peine de mort
Face à l’horreur de ce crime, la population comorienne a réagi avec véhémence. Des délégations en provenance des quatre coins de l’île ne cessent d’aller présenter les condoléances à la ville de Mbeni. Pour dire l’ampleur qu’a prise ce crime. D’ailleurs, une large majorité de Comoriens, choqués par l’assassinat, a exigé l’application de la peine de mort. Cette revendication a été étrangement soutenue par le grand mufti des Comores, qui a rappelé que la charia prévoit cette sanction pour les crimes graves.
Ce positionnement religieux et social a relancé un débat de fond sur la peine de mort. Il est important de noter que cette sanction figure toujours dans le Code pénal comorien, bien qu’elle ne soit plus appliquée depuis des années. La dernière ayant eu lieu en 1996, sous la présidence du président Mohamed Taki.
L’ampleur de la colère a été telle que même la famille du présumé meurtrier (aucune décision de justice n’a été rendue à ce jour) a été sollicitée pour donner son avis. La mère et le frère de Mikiro ont déclaré publiquement être en faveur de la peine capitale. Une déclaration qui, bien que compréhensible sous le coup de l’émotion, soulève des questions éthiques. Peut-on réellement attendre d’une mère qu’elle approuve une sentence aussi irrévocable contre son propre fils ?
Un crime qui interroge
Au-delà de l’horreur du meurtre, la question fondamentale demeure : pourquoi un jeune homme en apparence normal aurait-il tué de sang-froid une jeune femme pour une somme d’environ dix millions de francs comoriens ?
L’absence de préméditation apparente rend ce crime encore plus troublant. Mikiro, qui connaissait les habitudes de Hikimata, ne pouvait ignorer qu’il serait rapidement soupçonné. Cette imprudence manifeste laisse perplexe et soulève des interrogations sur l’état d’esprit du suspect.
S’agissait-il d’un acte désespéré d’un jeune en détresse financière ? D’une tentative mal planifiée de vol qui a mal tourné ? D’un crime impulsif sans véritable calcul ? Ce drame doit interpeller tout le monde : la situation alarmante d’une jeunesse comorienne en perte de repères. Entre, drogues dures, alcool, chômage, précarité et manque de perspectives, de nombreux jeunes sombrent dans des comportements extrêmes. La violence, le crime et la radicalisation deviennent des échappatoires à une réalité sociale de plus en plus oppressante.
La responsabilité collective face à la dérive des jeunes
Si Mikiro est responsable de son acte et doit en répondre devant la justice, il ne faut pas oublier que ce crime est aussi le reflet d’une faillite collective.
L’État, en premier lieu, a une responsabilité dans cette dérive. L’absence de politiques efficaces pour l’emploi des jeunes, le manque d’encadrement éducatif et social, ainsi que l’inaction face à la montée de la délinquance, contribuent à créer un espace propice à de tels drames.
Les familles et la société dans leur ensemble ont elles aussi leur part considérable de responsabilité.
Un engouement sélectif pour la justice ?
L’indignation suscitée par le meurtre de Hikimata Ahamada est légitime, mais elle montre aussi une certaine inconstance dans la mobilisation populaire. D’autres crimes tout aussi atroces ont été commis ces dernières années, avec des coupables identifiables, mais ils n’ont pas provoqué le même niveau de réaction.
Cette tendance à l’indignation sélective doit cesser. La justice ne doit pas être dictée par l’émotion populaire, mais par des principes justes et équitables.
Quelle justice pour Hikimata Ahamada ?
Mikiro mérite-t-il la peine de mort ? C’est une question à laquelle seuls les juges peuvent répondre, en se basant sur la loi et les preuves disponibles. En parallèle, il est urgent d’investir dans l’éducation, l’emploi et l’accompagnement des jeunes, une nécessité absolue pour éviter que d’autres Hikimata ne perdent la vie de manière aussi tragique.
Si dans ce drame, la colère et la douleur sont compréhensibles, elles ne doivent pas faire oublier que la justice doit être rendue avec rigueur et équité. Punir le coupable est une nécessité, mais il faut aussi s’attaquer aux causes profondes qui conduisent à de telles conséquences.
La véritable justice pour Hikimata Ahamada ne réside pas seulement dans une condamnation sévère et exemplaire de son meurtrier, mais aussi dans la mise en place de mesures qui empêcheront qu’un tel drame ne se reproduise.