Depuis l’instauration du baccalauréat national aux Comores, cet examen n’a cessé d’être le miroir des tensions qui traversent notre système éducatif. Passage vers l’enseignement supérieur, il concentre chaque année les attentes des familles, les espoirs des élèves et les défis de l’administration. Mais il est aussi le lieu récurrent de critiques, notamment autour de la triche, de la gestion des épreuves et du manque de transparence. À l’aube de la session 2025, une réforme de la rigueur s’annonce. Elle est nécessaire. Mais comment faire en sorte qu’elle ne bascule pas dans l’excès, dans une méfiance systématique ou une répression qui perdrait de vue le rôle formateur de l’école ?
Par Anoir Ahamadi
Alors que s’est ouverte la semaine dernière la session 2025 du baccalauréat aux Comores, une tension palpable entoure les centres d’examen. À Anjouan, comme ailleurs dans l’Union, les mesures de sécurité et de prévention se sont durcies, laissant transparaître une volonté ferme de rompre avec les pratiques dévoyées des années passées.

Il faut le reconnaître sans détour : cette rigueur est salutaire. Depuis trop longtemps, nos examens nationaux sont minés par la triche, les fuites de sujets et les complicités internes. Le système éducatif s’est peu à peu vidé de sa crédibilité, à force d’accommodements silencieux. Le public lui-même s’est habitué à ce que le bac soit l’occasion d’un marchandage informel, parfois même d’un simple jeu de devinettes où les “bons tuyaux” valent mieux que les révisions.
Face à cette situation, le ministère de l’Éducation nationale a décidé de serrer la vis, et c’est une bonne chose. Les annonces ont été claires, les consignes strictes : pas de téléphone portable, pas de tolérance envers les tricheurs, pas de laxisme chez les surveillants. À la veille des épreuves, une liste noire de 22 personnes, impliquées dans des irrégularités lors de la session 2024, a été publiée, assortie d’une interdiction de participer à tout examen national pendant trois ans.
Mais si la fermeté est nécessaire, elle ne doit pas virer à la répression aveugle. C’est là que réside le danger.
L’école doit corriger, pas punir sans discernement
Quand on lit les témoignages d’enseignants sanctionnés, parfois injustement, on est en droit de s’inquiéter. L’un d’eux raconte avoir simplement confisqué un téléphone à un candidat, dans le respect du règlement et se retrouve aujourd’hui cloué au pilori, son nom affiché sur une liste infamante. D’autres dénoncent l’absence de droit de défense, le manque de transparence sur les critères de sanction et l’absence d’un processus d’appel ou de recours.
Ce climat d’arbitraire nuit à l’objectif même poursuivi par le ministère : restaurer la confiance. Une rigueur qui tourne à la suspicion généralisée finit toujours par produire l’effet inverse : la peur, le repli, voire la révolte silencieuse. L’école, par nature, ne peut pas fonctionner comme un tribunal sans juge. Elle a pour mission d’éduquer, de corriger, de redresser. Elle n’est pas là pour punir mécaniquement, encore moins dans l’opacité.
L’autorité, oui. L’autoritarisme, non.
On confond souvent autorité et autoritarisme. La première se fonde sur des principes clairs, sur la légitimité des règles et sur le respect mutuel. Le second repose sur la contrainte, la peur et parfois sur l’humiliation. Dans un pays comme le nôtre, où les institutions peinent encore à gagner en crédibilité, la ligne est fine. Et l’école, si elle veut former des citoyens éclairés, ne peut pas céder à la tentation de gouverner par la crainte.
Oui, il faut des sanctions. Oui, il faut interdire les téléphones. Oui, il faut surveiller sérieusement. Mais, en retour, il faut aussi un processus équitable, un droit d’explication, une possibilité d’appel. Il faut que chaque sanction puisse être justifiée, étayée, examinée au cas par cas. L’efficacité ne peut jamais justifier l’injustice.
Un système en quête de sens
Cette année, un nouveau facteur complique encore les choses : l’intelligence artificielle. Des outils comme ChatGPT sont désormais accessibles à tous et peuvent être utilisés pour générer des réponses entières à des sujets complexes. Des élèves, parfois brillants par ailleurs, cèdent à la tentation de tricher en dissimulant un téléphone dans leur poche ou dans leur chemise. Et certains enseignants, dépassés ou mal formés, peinent à détecter ces pratiques nouvelles.
Mais faut-il pour autant installer un climat de surveillance totale ? Faut-il transformer nos centres d’examen en zones militarisées ? Il serait plus sage, en parallèle des mesures disciplinaires, de former nos enseignants à l’usage de ces technologies, de sensibiliser nos élèves à l’éthique de l’évaluation et de réinventer une pédagogie qui donne envie de réussir honnêtement.
La crise que traverse notre système éducatif n’est pas seulement une crise de discipline. C’est une crise de sens. Beaucoup d’élèves ne comprennent plus pourquoi ils passent le bac ni à quoi cela sert. Certains se disent que, sans piston ou soutien politique, leur diplôme ne vaut rien. Tant que ce sentiment subsistera, la tentation de tricher ou de contourner le système restera forte, malgré toutes les fouilles et toutes les menaces.
Ce que nous devons bâtir
Nous devons bâtir une école plus juste, plus exigeante, mais aussi plus humaine. Une école qui fait peur à ceux qui trichent, mais qui rassure ceux qui travaillent dur. Une école où un surveillant irréprochable n’a pas à trembler de voir son nom sur une liste infamante. Une école où la discipline n’est pas une machine à broyer les enseignants, mais un cadre qui protège tous les acteurs.
La session 2025 du bac est une occasion historique. Pour la première fois, les autorités semblent prendre la mesure de la gravité du problème. Il faut saluer cette prise de conscience. Mais pour qu’elle porte ses fruits, elle doit s’accompagner d’une vigilance démocratique : celle qui refuse les règlements aveugles, celle qui respecte les droits, celle qui écoute les voix minoritaires, même quand elles dérangent.
Rigueur ne veut pas dire répression
C’est ce message que nous devons porter, comme enseignants, comme parents, comme citoyens. La rigueur est une vertu. La répression sans justice est un poison.
Le baccalauréat 2025 peut devenir un symbole. Celui d’un renouveau, d’une volonté collective de redresser le niveau, de restaurer la confiance. Mais, cela ne se fera pas contre les enseignants ni contre les élèves. Cela se fera avec eux, ou cela ne se fera pas du tout.
« Ce n’est pas la peur du châtiment qui fait grandir un élève, mais la clarté des exigences et la justice de ceux qui les posent. »
Que cette session 2025 soit donc non seulement celle de la rigueur retrouvée, mais aussi celle de la confiance reconstruite.















