Le vendredi 13 mai 2022, des jeunes Maorais ont pris l’initiative d’organiser un space, c’est-à-dire une réunion publique sur Twitter afin de dialoguer avec les jeunes des autres îles de l’archipel. Cette décision est venue après l’énorme polémique dans les réseaux sociaux, au lendemain du premier tour des présidentielles françaises. À Mayotte, Marine Le Pen est arrivée largement en tête (42,68% devant Mélenchon à 23,96%, avec 59,69% d’abstention). Cela a été mal accueilli par les jeunes des trois autres îles de l’archipel.
Propos recueillis par Nezif-Hadj Ibrahi
Pour le principal organisateur de ce space, Belhadad Halifa, connu sur Twitter par le nom de BelVizion, titulaire d’un Master en communication, médiation numérique et nouveaux médias, d’un Master en analyse du discours institutionnel et politique et d’un Bachelor en management des unités webs, ce dialogue était indispensable.
Masiwa – Pourquoi avez-vous tenu à organiser le #Spaceyamasiwa ?
Belhadad Halifa – Suite aux nombreux conflits que nous avons constatés sur les réseaux entre les Maorais et les personnes issues des autres îles de l’archipel, nous avons pensé à créer ce space dans le but de crever l’abcès et de renouer un dialogue entre nous afin que chacun puisse au moins avoir le point de vue de l’autre concernant ce conflit qui perdure depuis trop d’années entre nous.
Masiwa – Êtes-vous satisfait des interventions et de l’atmosphère dans lequel s’est déroulé ce space ?
Belhadad Halifa – Pour être honnête avec les autres jeunes de l’archipel, je m’attendais, comme tout le monde, à ce qu’il y ait un petit peu plus de frictions entre nous, mais finalement le Space s’est mieux déroulé que ce que j’espérais et nous en sommes tous satisfaits. Ce Space est la preuve que nous pouvons ouvrir un dialogue entre nous et c’est une bonne chose pour espérer un jour avoir une bonne entente.
Masiwa – Dans un autre space, vous avez dit que vous aviez quelques hésitations à concrétiser ce projet de dialogue sur la dernière ligne. Pourquoi ?
Belhadad Halifa – Disons que ce n’est pas la première fois que j’essaie d’organiser un Space Mayotte/Comores, mais à chaque fois j’ai dû renoncer, car je ressentais beaucoup de réticences de la part de ma communauté sur Twitter. En effet, c’est un sujet sensible qui divise énormément et beaucoup avaient cette crainte que le débat dégénère et se transforme en énorme conflit Mayotte/Comores sur les réseaux sociaux. Mais, finalement avec les équipes du #SpaceYaMassiwa nous avons finalement eu raison de persister et d’organiser ce space, vu qu’il s’est bien déroulé. D’ailleurs, bravo à tous les organisateurs et mes co-hôtes, parce que je n’étais pas seul pour organiser ce space.
Masiwa – Que pensez-vous de ceux qui à Maore se considèrent comme étant de « souche » ?
Belhadad Halifa – Évidemment que nos origines proviennent du même noyau, mais pour ma part, je peux comprendre que des personnes qui ont un arbre généalogique majoritairement constitué d’une ascendance provenant, admettons, de Ngazidja, de Maore ou de Ndzuani puissent se considérer comme des Anjouanais de souche par exemple ou des Maorais de souche, parce que, malgré nos nombreux points communs dans les quatre îles, nous avons malgré tout quelques différences culturelles. Chaque île a ses spécificités, donc je ne pense pas que ce soit un problème de se considérer comme étant de « souche ».
Masiwa – Vous ne croyez pas que cet insularisme, ce nationalisme insulaire, nous vient de l’histoire et du discours politique ?
Belhadad Halifa – Évidemment que ça a un lien avec l’histoire, mais cet insularisme existait avant l’arrivée de la France dans l’Archipel, même avant que les îles des Comores soient un seul et même pays. Les îles de l’archipel étaient indépendantes et avant d’avoir une histoire commune, chaque île a eu sa propre histoire.
Masiwa – Dans plusieurs de ses chansons M’toro Chamou a revendiqué ses racines comoriennes sans remettre en question sa nationalité française. Gagala dit dans un morceau de son récent album « Tsi kiya amba bamzungu arjiliya na makartasi ya shonga na wana nyatru arimanisa ». Pensez-vous que ce sentiment de fraternité est majoritaire sur l’île ou il est en train de prendre place ?
Belhadad Halifa – La réalité est quand même plus complexe, sinon nous n’aurions pas besoin d’organiser le space que nous avons organisé. Malheureusement, nous ne vivons pas dans un monde de bisounours, c’est une réalité qu’il faut admettre, mais dans la vie de tous les jours nous côtoyons des personnes originaires des quatre îles et nous ne parlons presque jamais de ces conflits.
Il y a des mésententes entre nous, c’est la réalité et malheureusement c’est présent depuis des siècles. Mais bon, cela ne nous empêchera pas de faire un pas les uns vers les autres.
Masiwa – Ces derniers temps, des Maorais performent à Moroni, par exemple dans des concours de chant comme Nyora qui a vu le sacre de la chanteuse Kueena, ou dans le football avec la présence décisive de Ben Fardou, Selemani… Comment cette solidarité est appréhendée à Maore ?
Belhadad Halifa – Je sais que l’émission Nyora a été bien accueillie par les Maorais et c’est une bonne chose, ça nous prouve qu’il est possible d’organiser des projets en commun. Concernant les Cœlacanthes, je trouve ça encore dommage qu’on puisse reprocher à des Maorais de supporter cette équipe sur les réseaux, car dans le cas présent on parle de football et je pense qu’on soit Hongrois, Espagnol ou Anglais, on a le droit de supporter l’équipe qu’on souhaite.