Depuis plusieurs semaines, une pénurie de gros sel frappe l’île d’Anjouan. Face à cette situation inédite, les femmes s’adaptent tant bien que mal.
Par Naenmati Ibrahim
Le gros sel introuvable : un déséquilibre dans les cuisines

Sur l’île d’Anjouan, c’est le gros sel qui règne dans les cuisines. Facile à doser, économique, il est le compagnon incontournable des plats du quotidien. Mais depuis près d’un mois, cette denrée familière s’est raréfiée sur les étals. Les épiceries n’en ont plus, les commerçants attendent l’arrivée de nouveaux stocks, et les foyers doivent improviser avec du sel en poudre, plus difficile à manier.
« Avec le gros sel, on sait comment faire. Avec celui en poudre, les plats sont souvent trop salés ou fades », raconte une mère de famille rencontrée à Mutsamudu. Pour beaucoup, le sel fin n’offre ni le goût ni la maîtrise qu’apporte le gros sel. Et son accès reste aussi compliqué, car lui aussi commence à se faire rare.
La débrouille et le bouche-à-oreille comme derniers recours
Dans certaines localités, les femmes n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers les voisines. Il ne s’agit pas d’un commerce informel, mais d’un système de solidarité bien rodé. Lors des discussions quotidiennes, entre deux bavardages sur la vie ou les enfants, on échange aussi des informations précieuses : qui a encore du sel chez elle ? À qui peut-on en demander ?
« On entend dire qu’untelle a du sel parce qu’elle a participé à un mariage récemment », explique une habitante de la région de Bambao-Mtruni. C’est ainsi que le sel circule, de maison en maison, souvent gratuitement, parfois avec l’espoir d’un petit retour d’ascenseur.
Les mariages comme source d’approvisionnement alternatif
Ce système d’entraide s’appuie en partie sur une pratique culturelle bien ancrée dans certaines régions d’Anjouan, particulièrement à Bambao-Mtruni. Lors des grands mariages, les femmes qui viennent prêter main-forte pour la cuisine ou danser sont récompensées… en sel.
Autrefois, elles recevaient de petites sommes d’argent, mais avec la hausse du coût de la vie et l’affluence grandissante aux cérémonies, cette tradition a évolué. Le sel, en quantité, est devenu une monnaie d’échange plus pragmatique. « Aujourd’hui, donner 500 ou 1 000 francs est presque mal vu, ça semble dérisoire. Alors les familles préfèrent offrir du sel, utile et durable », commente une participante régulière aux mariages.
C’est ainsi que certaines femmes peuvent conserver suffisamment de sel pour couvrir les besoins de leur foyer pendant plusieurs mois, voire toute une année.
Une tradition acceptée et valorisée par les femmes
Loin d’être perçue comme une simple solution de rechange, cette tradition est aujourd’hui pleinement acceptée par les femmes concernées. Elle permet de soulager les familles des mariés tout en apportant un bénéfice concret aux participantes.
« On est contentes de rentrer chez nous avec du sel. C’est plus utile qu’un billet qui disparaît vite », confie une habitante de Mtruni. Dans un contexte de vie chère et d’incertitude économique, cette forme de troc moderne se révèle efficace et bien adaptée aux réalités locales.
Un retour à la normale en perspective ?
Pour les familles qui ne bénéficient pas de cette coutume, la pénurie reste un défi quotidien. Cependant, selon un commerçant du port de Mutsamudu, les choses pourraient bientôt changer. « Les bateaux viennent de quitter le port avec de nouvelles marchandises. Le gros sel devrait revenir dans les magasins d’ici peu », assure-t-il.
D’ici là, la créativité et la solidarité continueront de compenser le manque. L’absence de sel, simple cristal, a mis en avant un système de survie collectif. Et dans cette organisation discrète, mais efficace, ce sont une fois de plus les femmes qui tiennent les rênes.