Ce vendredi matin, le calme règne sur les hauteurs de la ville de Tsembehou. L’air est doux, les voix se font rares, et la poussière de la route en chantier est au repos, comme les hommes.
Par Naenmati Ibrahim
Depuis quelques semaines, la ville de Tsembehou vit au rythme des bruits des pelles, des pioches et des ordres lancés à la volée. En centre-ville une initiative communautaire exceptionnelle est en train de transformer une route longtemps négligée et pourtant un véritable axe de circulation majeur, la route de Chambejou.

La voie en question longe le Sanduk de Tsembehou, une institution de microfinance. Et cette route, principale artère menant au centre-ville, était vraiment dégradée. Les usagers se plaignaient depuis des années de son mauvais état.
« On se demandait comment une institution comme la Sanduk, si proche de la route et si présente dans notre quotidien, pouvait laisser cette situation durer », se rappelle Nasser Bourhane un conducteur de voiture Rav4. Un autre habitant raconte que, souvent, on entendait dire que ce n’était pas normal que tout le monde emprunte cette route, et que rien ne soit fait. Les travaux sont en cours depuis trois semaines.
Le Sanduk met un million sur la table
Cette pression populaire a fini par porter ses fruits. Il y a quelques semaines, le Sanduk a pris l’initiative de débloquer un million de francs comoriens pour lancer les travaux de réhabilitation. Un geste qui a marqué un tournant, car le Sanduk n’est pas qu’un organisme de crédit. Il est aussi une banque d’épargne, un partenaire local du développement. C’est un acteur essentiel de l’économie insulaire. En participant à ce projet routier, il renforce son rôle dans la communauté.
Un élan populaire puissant a suivi. « Dès que la Sanduk a montré l’exemple, la population s’est mobilisée », explique un membre du comité local de suivi des travaux. « Les habitants ont cotisé, les familles ont donné selon leurs moyens, et surtout, les jeunes se sont portés volontaires pour les travaux ».
Les jeunes du quartier de Chambejou, le quartier que traverse cette route, sont nombreux à venir prêter main-forte. À coups de pelles, de brouettes et de sacs de ciment portés à bout de bras, ils façonnent la nouvelle voie avec fierté.
« C’est notre route, notre ville, notre fierté », dit simplement un jeune de 21 ans « On ne peut pas toujours attendre que l’État vienne. Nous, on agit. »
Une tradition bien ancrée
Ce chantier n’est pas un cas isolé. À quelques pas de là, une mosquée est en pleine construction. Elle s’élève lentement pierre après pierre, grâce aux dons des habitants et à l’apport de la diaspora comorienne, en particulier celle qui est installée à Mayotte. Une fois de plus, c’est la communauté qui bâtit pour elle-même.
À Tsembehou, ce type d’initiative est courant. Loin d’être une nouveauté, c’est presque une tradition. Un héritage du président Ali Soilihi, affirment certains. Il avait ancré dans la conscience collective l’importance de l’autonomie et du travail communautaire. Une vision selon laquelle l’État ne doit pas être le seul moteur du développement, le peuple aussi doit être un acteur et un bâtisseur.
À travers les Comores, ce modèle se répète. Des routes comme celle-ci, des dispensaires, des écoles, des lieux de culte sortent de terre grâce aux efforts conjugués des citoyens et des diasporas. Ce n’est pas uniquement une réponse au manque de moyens de l’État, mais aussi un choix culturel, une manière d’exister ensemble.
« C’est dans notre tradition », affirme une habitante engagée dans la collecte de fonds pour la mosquée. « Quand il faut construire, on se réunit. Quand il faut réparer, on partage. C’est ce qui fait notre force. »
Les défis restent nombreux
Pour autant, tout n’est pas simple. Dès fois les moyens manquent, les compétences techniques aussi parfois. Les travaux avancent au rythme des contributions, des bonnes volontés, des journées disponibles.
Mais à Tsembehou, l’espoir est plus fort que l’attente. Les habitants continuent de rêver, de s’organiser, de bâtir.
Et pendant que la mosquée prend forme, que la route s’aplanit et que les brouettes filent sous le soleil, c’est une vérité simple qui s’impose : là où l’État ne peut pas intervenir, le peuple, lui, ne renonce pas.