Un début de Ramadan chaotique à Anjouan
Cette année, le Ramadan est sous tension à Anjouan : entre rareté de produits, flambée des prix, pénurie d’électricité et salaire en souffrance.
Par Naenmati Ibrahim et Riyad Mubarak

Le Ramadan a commencé à Anjouan par une situation inédite. La scène du chef-lieu paralysée par des fonctionnaires (enseignants, médecins, journalistes…) qui sont contraints d’abandonner leur travail pour aller chercher leurs salaires. Les employés de l’État se retrouvent tous à Mutsamudu à espérer obtenir leur dû. Entre les longues files d’attente dans les bureaux de la poste (Banque populaire des Comores) et repas pris dans l’obscurité, ce mois sacré s’annonce particulièrement éprouvant pour de nombreuses familles.
D’ordinaire, les difficultés financières s’accentuent à la fin du Ramadan, après plusieurs semaines de dépenses importantes. Mais cette année, dès les premiers jours, les ménages d’Anjouan peinent déjà à joindre les deux bouts en raison d’un paiement chaotique des fonctionnaires et de salaires versés au compte-gouttes.
Arrêt du soutien venant de Mayotte et envoi clandestin des produits agricoles
Si les fonctionnaires peinent à toucher leur salaire, une grande partie de la population d’Anjouan subit une autre difficulté : la dépendance financière vis-à-vis des familles installées à Mayotte. Le cyclone Chido, qui a ravagé l’île le 14 décembre dernier a mis temporairement un coup d’arrêt aux habituels transferts d’argent.
Les familles vivant à Mayotte, qui envoyaient régulièrement des aides à leurs proches à Anjouan, se retrouvent elles-mêmes en difficulté. Pire encore, ce sont désormais elles qui sollicitent un soutien alimentaire, les cultures à Mayotte étant dévastées. Résultat : une asphyxie financière frappe de plein fouet des milliers de familles à Anjouan, incapables d’assurer leurs dépenses essentielles en ce mois béni du Ramadan.
Le mois de Ramadan, traditionnellement synonyme de solidarité et de partage entre musulmans, se transforme en une période où les prix flambent, malgré une note du gouvernement, comme à chaque début de Ramadan, fixant les tarifs des denrées de première nécessité. Interrogée sur cette hausse, une vendeuse explique qu’elle doit elle-même acheter des produits importés dans l’île dont les prix ont augmenté, ce qui l’oblige à réajuster ses tarifs. Elle ajoute même que les clients devraient se considérer chanceux qu’elle accepte encore de vendre ses bananes, car son mari l’avait encouragée à les embarquer clandestinement vers Mayotte, où elles se vendraient plus cher encore.
En effet, face à cette perturbation de l’économie locale, les producteurs tentent de maximiser leurs profits en vendant leurs récoltes à Mayotte, où les prix (en euros) sont plus attractifs. Une pratique qui alimente un marché noir florissant, mais qui prive les Anjouanais de produits de première nécessité.
Depuis le passage du cyclone Chido, de nombreux agriculteurs et vendeurs préfèrent écouler leurs récoltes à Mayotte, où la demande est forte, quitte à prendre des risques en les transportant via des embarcations de fortune, les « kwasa-kwasa ».
Sur les étals du marché de Tsembehou, la frustration est palpable. « Tout part à Mayotte, et nous, on ne trouve plus rien », s’indigne une vendeuse. Les prix des produits agricoles flambent : un tas de bananes, vendu jusqu’à il y a quelques semaines 2 000 francs, se négocie désormais autour de 3000 francs avec une quantité toujours plus réduite dans certaines villes comme Ouani. Le manioc, les patates douces et les taros suivent la même tendance.
À cela s’ajoute la fermeture des frontières avec Madagascar. En période de Ramadan, l’île d’Anjouan dépendait en partie des importations en provenance de Madagascar qui permettaient de stabiliser l’accès aux denrées essentielles. La fermeture des frontières empêche l’importation de taros bon marché. Même le fruit à pain, autrefois l’un des aliments les plus accessibles, atteint désormais 500 francs l’unité et même parfois 1000 francs (cela dépend de la taille de la ville). Le président malgache, Andry Rajoelina, a de nouveau ouvert les frontières il y a trois jours, mais la circulation n’a pas encore repris comme avant.
L’autre source d’approvisionnement, l’île Mohéli, a été également touchée par le cyclone, qui a ravagé le sud de l’île et impacté les récoltes, même si c’était dans une moindre mesure comparée à Mayotte.
Une crise énergétique qui plonge Anjouan dans l’obscurité
Comme si cela ne suffisait pas, d’autres maux viennent s’abattre sur l’île d’Anjouan, à l’exemple des coupures d’électricité qui plongent plusieurs régions dans l’obscurité au moment de la rupture du jeûne ou encore les difficultés à retirer de l’argent. « Même ceux qui ont quelques économies peinent à les retirer », s’exclame un fonctionnaire de la Cuvette, résumant ainsi le climat de détresse qui règne sur l’île en ce mois de jeûne et de prière.
Comme si cela ne suffisait pas, la population doit aussi affronter une crise énergétique sans précédent. Depuis plusieurs semaines, l’électricité se fait rare, et certaines localités n’ont droit qu’à quelques heures de courant par jour.
Cette situation complique le quotidien des familles, notamment pour la préparation des repas du Ramadan. « On casse le jeûne dans le noir, on ne peut pas réchauffer nos plats pour le Tsahou (suhur), et même préparer du « hubu wa tsohole wa tahani » (bouillon de riz passé au Moulinex) ou faire des jus pour se rafraîchir devient un luxe », déplore une mère de famille.
Les commerçants et artisans, eux aussi, subissent de lourdes pertes. Dans les menuiseries et autres ateliers nécessitant de l’électricité, l’activité est quasiment à l’arrêt. Seuls ceux qui peuvent s’offrir des groupes électrogènes ou des panneaux solaires continuent à travailler, creusant encore plus les inégalités. Ainsi, le désespoir se fait sentir, et beaucoup s’inquiètent de la manière dont ils pourront arriver au bout du Ramadan et faire plaisir à leurs familles le jour de l’Aïd el-Fitr.
Si l’ensemble de l’île est touché par ces délestages, certaines villes semblent épargnées. Mutsamudu, Mirontsi et Ouani bénéficient d’un accès plus stable à l’électricité, alimentant les soupçons de favoritisme.
Des voix s’élèvent pour dénoncer un traitement de faveur, notamment pour la zone qui va jusqu’à Ouani, la ville d’origine du nouveau directeur de la SONELEC à Anjouan. Sur les réseaux sociaux, la colère gronde, et certains regrettent même les anciens directeurs qui, malgré les difficultés, tentaient de mettre en place un système de délestage plus équilibré.
Un mécontentement général face à l’inaction des autorités
Cette accumulation de crises illustre à quel point le pays va mal. L’incapacité du gouvernement à répondre aux besoins de la population est plus évidente que jamais. L’accès à une électricité stable faisait pourtant partie des promesses de campagne du président Azali Assoumani en 2016. Près de dix ans plus tard, non seulement la situation ne s’est pas améliorée, mais elle a empiré.
Face à ces difficultés, la population exprime son ras-le-bol, notamment sur les réseaux sociaux. Les critiques fusent contre un régime jugé incompétent, et nombreux sont ceux qui n’attendent plus rien des autorités.
Un Ramadan sous le signe de la résilience
Malgré ces épreuves, les Anjouanais tentent de s’adapter. Dans les files d’attente des bureaux de poste, au marché ou à la maison, la persévérance est de mise. Mais pour combien de temps encore ?
Si beaucoup n’espèrent plus rien de ce régime, d’autres gardent l’espoir d’un sursaut des autorités face à une situation qui, jour après jour, devient de plus en plus insoutenable. « Il faut continuer à prier et ne jamais perdre espoir », affirment certains. En ce mois sacré, prier et demander le secours du Tout-Puissant est peut-être le seul refuge qui reste. Bon Ramadan à tous.