Avec Baraza ya Majestic na Machinjioni Kwa Bamkwe, Ibrahim Mohammed Hussein revient sur la période qu’il a passée dans les geôles de Zanzibar après l’assassinat d’Abeid Amani Karume. Il décrit les tortures et les actes de deshumanisation auxquels des musulmans se sont livrés contre des compatriotes, souvent innocents comme lui. La torture est présente dans les prisons à Zanzibar depuis la révolution de 1964, elle s’amplifie à partir de 1972.
Dans un swahili classique de la ville de Zanzibar, appelé Kiunguja, et un style très simple, Ibrahim Mohammed Hussein relate en détails la vie et les méthodes de tortures employées dans les geôles infernales de Zanzibar. Baraza ya Majestic na Machinjioni Kwa Bamkwe (« De la Place Majestic Aux Abattoirs de Chez Bamkwe ») vient s’ajouter aux écrits d’anciens détenus qui ont écrit leurs mémoires. Les geôles de Zanzibar ont été extrêmement remplies à la suite d’une campagne massive d’arrestations arbitraires qui ont suivi l’assassinat de Abeid Amani Karume, premier président de ce qui a été la République populaire de Zanzibar et président du parti au pouvoir Afro Shirazi (ASP). L’écrivain raconte avec beaucoup de clarté et de courage ce qui lui est arrivé après l’assassinat du président de Zanzibar et l’avènement du Conseil de la Révolution, le vendredi 7 avril 1972.
Cet évènement plonge le pays dans l’obscurité et un climat de peur. La vie sur les îles devient incertaine. Les arrestations arbitraires sont le lot quotidien des habitants. L’auteur, comme un nombre important de ses pairs, jeunes de la ville de Zanzibar, est pris dans une nasse d’arrestations. Il est incarcéré et torturé. Son seul tort est de faire partie des membres du Baraza de Majestic. C’est un lieu de rencontre pour les jeunes de gauche qui partagent des affinités politiques. Baraza de Majestic, situé au pied du cinéma Majestic, au milieu de la capitale de Zanzibar est un endroit où l’auteur a l’habitude de passer son temps libre pour faire le tour du monde et plaisanter avec ses amis.

Comme une larme après l’autre, chaque goutte d’encre qui tombe de sa plume sur le papier blanc est un témoignage des conditions infernales et des humiliations qui lui ont été infligées ; des humiliations qui le privent de sa dignité et de son humanité. Son corps, comme ceux de ses codétenus, est transformé en tambour, battu avec des barres de fer et des branches de goyavier. Les prisonniers doivent faire leurs besoins en public pendant que les autres attendent leurs tours.
La finesse et la clarté de la langue utilisée par l’auteur pour décrire son histoire, à la fois passionnante et très triste, suscitent l’envie de la lire sans hésitation. Chaque page nous rapproche du lourd rideau de fer qui a caché, durant des années, toutes les atrocités les plus inattendues, pour ne pas dire inimaginables, dans le contexte de la vie et de l’éducation des Zanzibaris.
Les personnes qui connaissent Zanzibar, une société construite sur les fondements de la religion islamique, la foi musulmane, et l’esprit d’humanité, seront choquées de lire ce qui se passe derrière la porte principale de la prison de Kiinua Miguu. Divisée en deux parties, la première Kumbakumba est celle où vont généralement les prisonniers de droit commun, et la seconde Kwa Bamkwe est celle où sont envoyés les prisonniers pour délits politiques. C’est dans cette dernière partie de la prison que se déroulent quotidiennement les atrocités les plus abominables. Machinjioni Kwa Bamkwe, c’est-à-dire « Aux Abattoirs de Chez Bamkwe »est comme un royaume pour les tortionnaires, soumis à l’autorité d’un dieu tortionnaire unique, dénommé Hassan Mandera. Quant à ses disciples, ils se considèrent comme Munkar et Nakir (les anges qui testent la foi des morts dans leurs tombes) sur terre. L’arrogance et l’ignorance portent les tortionnaires, au point que leur grand leader, Hassan Mandera, ose dire à ses victimes qu’à l’extérieur de la prison, c’est Dieu qui pourvoie mais à l’intérieur, dans son royaume infernal, c’est lui-même.
L’auteur emmène son lecteur entre les murs et à travers les méandres des cercles de tortures qui sévissent dans la maison infernale de la prison de Kiinua Miguu. A travers ce livre Ibrahim Hussein lève le voile en citant les noms, photos à l’appui, des tortionnaires connus pour leur cruauté aux abattoirs de chez Bamkwe. Certains de ces tortionnaires, étaient des personnes très polies et pieuses dans la vie quotidienne et même très respectées dans la société et les mosquées. La publication de ce livre permet de mettre à jour un autre, sinon leurs vrais visages. La plupart d’entre eux ayant été formée dans les anciens pays de l’Est, ils avaient des pratiques qui rappellent les vices des forces de police secrète les plus notoires du monde, comme la Gestapo (de l’Allemagne d’Hitler) et les Tontons Macoutes (Haïti de Duvallier, Papa Doc). Ce sont des murs où résonnent des cris d’humiliation et de souffrance. Des murs qui ont vu des tragédies et des injustices innombrables.
L’auteur, comme les autres victimes, n’a jamais reçu aucun soutien ni suivi psychologique après sa sortie de prison.
La publication de ce livre est une étape majeure et importante dans sa vie, dans ses efforts thérapeutiques et son voyage pour guérir son âme.
Mohamed Ahmed Saleh
Paris, le 20 avril 2025
Ibrahim Mohammed Hussein, Baraza ya Majestic na Machinjioni Kwa Bamkwe, préface d’Ahmed Rajab, sous la direction de Mohamed A. Saleh, Buluu Publishers, 2024, Paris, 202 pages