« J’ai prêté l’oreille aux lamentations des sacrifés, et suis ainsi devenu sourd aux arguments qui démontraient la nécessité de les sacrifier »
- KOESTLER, Le zéro et l’infini
L’indifférence avec laquelle les gens s’accommodent des actes d’injustice dont sont victimes leurs collègues de travail en particulier et leurs compatriotes en général participe plus avant au processus de dégradation accélérée des droits humains dans notre pays.
C’est une indifférence corrosive qui, sur le long terme, nous ravalera au rang de sous-hommes et contre laquelle nous devons, pour reconquérir notre humanité, dénoncer avec la dernière énergie les diverses expressions en prenant parti pour le respect du Droit qui est de nos jours caricaturé, malmené, piétiné d’abord par ceux d’entre nous qui ont la responsabilité de le défendre – une responsabilité dont ils se dessaisissent pour s’accrocher à quelque position confortable et combien de courte durée ! Pour autant, faut-il vraiment que nous vendions tous notre âme et notre humanité aux suppôts de la tyrannie en nous passant pour sourds, aveugles et muets quand on opprime sans vergogne et marche sur les lois sous nos yeux ? Pardi, non !

Ainsi, lorsque nous apprenons qu’un nouveau directeur fraichement arrivé au pays avec suffisamment d’expérience professionnelle acquise à l’extérieur, à qui est confié le défi de remettre à flot une entreprise au bord du dépôt de bilan, telle que la SONELEC, préconise entre autres moyens de redressement de cette société la mise au chômage forcé des employés par des procédés de licenciements illégaux, on a le droit, pour ainsi dire, de désespérer des compétences de notre élite issue de la diaspora !
En effet, comment pouvons-nous apporter notre caution morale aux prétendus efforts d’un nouveau directeur qui se gargariserait de pouvoir virer son personnel à tout moment sans se référer aux textes réglementaires en vigueur dans cette société ? En licenciant des agents au mois de ramadan dernier sans se conformer aux textes de l’entreprise, notre nouveau directeur croit affirmer ou affermir son autorité sur son personnel quand, en réalité, c’est son autoritarisme qu’il met en évidence au détriment du Droit universel, agissant ainsi comme nos ainés qui ont atteint l’âge d’homme avant la décolonisation de notre pays tant il est vrai que ces derniers, qui ont acquis leurs premiers rudiments professionnels au crépuscule de l’administration coloniale, ont hérité et pratiqué nombre des techniques apparentées à ces temps révolus. Se pourrait-il donc que nos élites issues de la diaspora, maltraitées dans leurs pays d’accueil en raison de leurs origines étrangères ou de la montée en puissance des extrêmes droites se mettent donc à traiter, ici et maintenant, leurs compatriotes comme elles ont été traitées là-bas ? Dans ce cas de figure, la théorie d’une renaissance des pays du sud grâce au retour des élites issues de la diaspora ne serait qu’une vue d l’esprit, une illusion de plus qui fondrait sous nos doigts comme neige au soleil !
En effet, deux hommes, deux agents, deux pères de famille sont licenciés après plus de 15 ans de service par le nouveau directeur de la SONELEC sans quérir l’avis des conseillers juridiques de la société, accusés de malversations financières sans preuves établies, qui plus est, ces chefs d’accusation calomnieux ne seraient pas commis ni sur le lieu du travail ni à l’occasion de l’exercice de leur travail. Deux hommes, deux agents, deux pères de famille sont licenciés au mois de ramadan dernier sans versement de leur solde de tous comptes non plus, par cynisme calculé, pour que leurs enfants ne connaissent pas la joie de la plus populaire des fêtes musulmanes, ils sont donc licenciés pour des faits biscornus, fabriqués de toutes pièces qui remonteraient entre 2020 et 2023 !
Quelques jours avant cette gifle assenée à l’éthique musulmane et même professionnelle, les deux agents ont été invités au pied levé à une réunion avec le nouveau manager de la société à l’issue de laquelle ce dernier avait conclu sagement à l’abandon des charges en raison, entre autres, de l’ ancienneté des faits. Mais à peine lui ont-ils tourné le dos qu’il les a exécutés presque à bout portant et de sang-froid, sans leur permettre de se défendre… lâcheté ! lâcheté !
À présent, plusieurs interrogations se posent judicieusement dont la légitimité pour un directeur de sanctionner ses employés pour des faits commis des années avant sa prise de fonction, alors même que les textes en vigueur reconnaissent la prescription des sanctions, passé un certain délai. Il est probable, certes, que l’annulation de toute prescription de sanctions ne soit pas une idée farfelue – ainsi personne ne se sentirait jamais à l’abri de ses anciens crimes, à condition que le nouveau Conseil d’Administration de cette société statue sur cette innovation, pas avant.
Ainsi, ce licenciement sans nul doute abusif qui s’apparente à un meurtre symbolique en plein mois de repentance et de clémence divine aura été le coup de grâce infligé à deux agents qui ont, de l’avis général des personnels de la SONEDE et de la SONELEC, relevé de ses cendres l’institution moribonde que fut la mutuelle de santé de l’ex-Mamwe dans les années 2010-2015. Grâce à l’entregent de ces deux agents, la mutuelle de santé de l’ex-Mamwe aura gagné en respectabilité auprès de ses membres bénéficiaires tout comme auprès de ses prestataires de services dont le nombre, depuis, a été multiplié par 10 au fil des ans malgré des dettes considérables héritées de précédents administrateurs de cette institution et de la Direction de la Mamwe qui seraient encore impayées à ce jour. Et voilà que le débiteur insolvable limoge son créancier sans autre forme de procès que le licenciement abusif pour détournement de fonds présumés – le montant des préjudices n’est pas précisé, tandis que lui-même a renoncé à nettoyer son ardoise !
En accablant, en humiliant, en poussant à la porte de la honte ces deux agents surpris par un verdict infamant, sans possibilité de recours donné, Soidridine Moumini les a tués une seconde fois pour la postérité, car à coup sûr, ce meurtre dont nous parlons restera dans les archives de la société comme un exemple d’intolérance paroxystique. Ce second meurtre, après leur licenciement sans convocation en Conseil de discipline, va produire ses effets secondaires délétères, nommons le plus nocif : la mort clinique de la mutuelle de santé pour la survie de laquelle ces deux agents se sont dévoués corps et âme pendant presque 10 ans ! Il est en effet de l’ordre du prévisible que l’échafaudage des textes qui réglementent cette mutuelle de santé se disloque après les coups de canif portés contre son règlement intérieur et l’exécution sommaire de ses responsables. Désormais, on ne verra aucun agent sensé se porter volontaire pour assumer les fonctions dont les derniers titulaires légaux ont été sacrifiés sur l’autel de l’esprit revanchard des trois femmes puissantes de la SONELEC – on parle des trois Gorgones de cette société publique qui ont le pouvoir de changer en statues de pierre tous ceux qui osent leur tenir tête. En d’autres termes, disons que l’influence de ce triangle étrangleur sur un décor de conflit d’intérêts de longue date a eu raison de ces deux agents. Autant prédire, toute affaire cessante, la fin de l’alliance SONELEC-SONEDE en faveur de la santé de leurs personnels respectifs. Ainsi, la dissolution annoncée de la mutuelle de santé de ces deux sociétés serait le premier fait d’armes du très jeune technocrate propulsé aux manettes de la SONELEC. A Dieu vat !
- A. de Youssouf,
- Historien, co-auteur de « Singani : Histoire, société et famille » Ed. Aurore créative, 2024