À Anjouan, des femmes parcourent villes et villages pour vendre leurs produits. Entre courage, précarité et espoir, elles incarnent la force du secteur informel.
Par Naenmati Ibrahim
Chaque matin, avant même que le soleil ne se lève, elles sont déjà sur pied. Hafika Mahamoud et Hassana Ahmed, toutes deux originaires de Magnassine dans la région de Nioumakélé (Nyumakele), enroulent dans leurs mains des « tavouwa » et tiennent aussi des « kofia » qu’elles présentent aux passants, mais aussi pour attirer les regards vers leurs marchandises.

Un métier de résistance
Sous le soleil brûlant de midi ou sous la pluie soudaine, car cela arrive, elles avancent sans relâche. Ces femmes parcourent parfois des kilomètres pour vendre quelques « tavouwa » ou « kofia », des produits artisanaux fabriqués par elles-mêmes ou par des proches. « Parfois, on ne vend rien, raconte Hassana Ahmed. On n’a même pas de quoi payer le transport du retour. Il nous arrive de dormir chez des gens qui acceptent de nous héberger. »
Hafika et Hassana ont la cinquantaine. Mariées à des paysans, elles sont mères de familles nombreuses : cinq enfants pour l’une, neuf pour l’autre. Les revenus agricoles étant devenus trop faibles, elles ont choisi la vente ambulante pour subvenir aux besoins du foyer.
« C’est grâce à ce métier que j’ai pu faire étudier mes enfants à l’Université de Patsy », explique Hafika. « Mais, comme ils n’ont pas encore trouvé de travail, je continue à vendre pour les nourrir. »
Cela fait plus de cinq ans qu’elles sillonnent l’île, d’un village à l’autre et d’une ville à l’autre : Mutsamudu, Domoni, Sima, Tsembehou ou encore Badrani. « On se lève tôt et on rentre souvent après le coucher du soleil », dit Hassana. « Mais, quand on arrive à vendre, même un peu, on rentre contentes. »
Le « Tavouwa », symbole d’un savoir-faire
Fabriquer un « tavouwa » n’est pas une tâche facile. « Il faut presque une semaine pour en faire un seul », explique Hassana.
À Mutsamudu, ces colliers traditionnels utilisés lors des grands mariages se vendent à 15.000 francs, mais les vendeuses ambulantes les cèdent souvent à 12 500, voire 10 000 francs, après négociations. « On discute toujours, sinon les clients ne prennent pas », ajoute Hafika. Elles auraient pu vendre des fruits ou des légumes, comme d’autres femmes rurales, mais elles ont choisi de préserver ce savoir-faire. Elles ne fabriquent pas les « kofia » : ce sont des amies ou des proches qui les leur confient pour les vendre et elles leur reversent ensuite une partie de l’argent.
Un patrimoine menacé
Le « tavouwa » et le « kofia » ne sont pas de simples objets : ils représentent la beauté, le prestige et la culture anjouanaise. Pourtant, face à l’arrivée massive de produits importés, cet artisanat local risque de disparaître.
Autrefois à Tsembehou, des femmes brodaient des tissus pour en faire des mouchoirs qu’elles offraient ou vendaient aux hommes. Souvent, ce sont ces mêmes femmes qui fabriquaient les kofia. Mais, aujourd’hui, on ne voit plus personne faire ces mouchoirs. Une preuve que même les « Kofia » et les « Tavouwa » risquent de disparaître.
À Anjouan, il n’existe aucune initiative pour accompagner ces femmes. Aucune structure ne leur propose de formation ni de soutien. Elles apprennent seules, en observant les anciennes, en se transmettant les gestes et les secrets. Pourtant, leur savoir-faire constitue une richesse culturelle et économique qu’il faudrait protéger.
Ces femmes font partie du secteur informel, un univers sans statut légal, sans sécurité sociale et souvent sans reconnaissance. Pourtant, leur rôle est vital. Dans un pays où le chômage reste élevé, leur travail fait vivre des familles entières.
Selon les estimations locales, une grande partie des foyers comoriens dépend de ces petits commerces de rue où chaque franc gagné compte.
Dignité et espoir
Malgré la fatigue, les kilomètres parcourus et les maigres bénéfices, les vendeuses tiennent bon. Elles gardent leur sourire, même quand la journée n’a pas rapporté grand-chose. Elles avancent, fières, conscientes que leur force ne réside pas dans la richesse, mais dans la dignité.
Sous le soleil, la poussière et la fatigue, Hafika, Hassana et toutes les autres poursuivent leur chemin.
Invisibles pour certains, mais elles sont un rappel que la grandeur d’un peuple se mesure aussi au courage de celles qui, chaque jour, se lèvent avant l’aube pour vivre honnêtement.















