Un seul parti occupe tous les rouages du pouvoir aux Comores, la CRC, parti du chef de l’État, dirigé par son fils, le Secrétaire Général du Gouvernement. La conséquence est la mort de toute vie politique dans le pays.
Par AMP
Il fut un temps où les Comores vibraient au rythme des débats publics, où la parole circulait librement sur les places, dans les marchés et jusque dans les ruelles des villages. Aujourd’hui, cette parole s’est éteinte. Ce qui domine désormais, c’est le silence. Un silence épais, lourd, celui d’un peuple qui a appris à se taire pour survivre. Sous le régime d’Azali Assoumani, ce silence n’est pas le fruit du hasard : il est le résultat d’une politique méthodique de peur et d’étouffement des libertés.

L’interdiction est devenue une règle
Manifester est devenu aujourd’hui un acte de bravoure, presque de résistance. Depuis quelques années, le pouvoir en place a transformé le droit de rassemblement pourtant garanti par la Constitution en un privilège soumis à l’humeur du gouvernement. Chaque appel à une manifestation, qu’il soit syndical, citoyen ou politique, se heurte à la même réponse : interdiction, répression, arrestations.
Les exemples abondent. En mars 2024, des collectifs de la société civile avaient prévu un sit-in devant le ministère des Finances pour protester contre la hausse vertigineuse des prix des denrées de base. Les organisateurs ont été interpellés dès la veille. Les rares qui ont tenté de se présenter sur les lieux ont été dispersés à coups de gaz lacrymogènes. Dans cette même année, à Mutsamudu, une manifestation contre la flambée du carburant n’a duré que quelques minutes avant que les militaires n’encerclent la place publique, arrêtant une dizaine de jeunes militants. Et récemment, les arrestations des organisateurs d’un rassemblement contre l’injustice, entre autres.
Ces scènes se répètent à Moroni, à Fomboni et à Mutsamudu, presque mécaniquement. Elles traduisent une dérive : la criminalisation du désaccord. Sous prétexte de maintenir l’ordre, le pouvoir a réussi à instaurer un réflexe de peur collective, dissuadant toute forme d’expression publique du mécontentement.
Ce climat d’intimidation a transformé la société comorienne en une nation sous surveillance, dans laquelle la méfiance règne jusque dans les conversations quotidiennes. On choisit ses mots, on évite les sujets qui fâchent, on s’assure que le téléphone est posé loin avant de parler politique. La peur n’est plus seulement une émotion, c’est une culture imposée.
Les appels de la société civile étouffés
Depuis 2023, plusieurs collectifs citoyens, syndicats et associations tentent d’alerter sur la dégradation des conditions de vie : chômage massif, inflation galopante, pénuries récurrentes d’eau et d’électricité. Mais leurs voix se heurtent à un mur.
À chaque appel à un grand rassemblement, le jour venu, la place de l’Indépendance à Moroni est quadrillée par les forces de l’ordre. Personne n’ose s’y rendre. Le mot d’ordre circule sur les réseaux sociaux, mais chacun sait que s’y rendre, c’est risquer l’arrestation, la garde à vue, voire la perte de son emploi.
Ce scénario s’est répété à maintes reprises. Des appels courageux, relayés par quelques militants, finissent toujours par s’éteindre dans l’indifférence forcée. L’État a réussi là où beaucoup d’autocraties échouent : faire de la peur un instrument de stabilité.
La répression qui s’habille en discours de sécurité
Face aux critiques, le gouvernement avance toujours les mêmes arguments : la sécurité nationale, la stabilité, la prévention des troubles à l’ordre public.
Mais ces justifications sonnent creux dans un pays où la stabilité sert de prétexte à l’immobilisme, et où la sécurité profite avant tout au pouvoir lui-même. Ce discours, désormais rodé, cache mal une réalité : tout ce qui ressemble de près ou de loin à une contestation est perçu comme une menace contre le régime, non contre la nation.
La peur, ciment du pouvoir
Ce qui frappe aujourd’hui, ce n’est pas seulement la brutalité de la répression, mais son efficacité psychologique. Peu à peu, la peur a remplacé la colère. La résignation a remplacé la révolte. Les Comoriens, fatigués par les promesses non tenues, par la vie chère et par les humiliations quotidiennes, ont cessé d’y croire. Beaucoup se disent : « À quoi bon ? ».
C’est peut-être là le triomphe le plus inquiétant du pouvoir Azali : avoir réussi à convaincre un peuple que protester ne sert à rien.
Dans cette atmosphère d’asphyxie, les voix dissidentes se font rares. Les journalistes indépendants sont prudents, les syndicats divisés, les partis d’opposition fragmentés. Le champ politique est verrouillé et l’espace civique rétrécit de jour en jour.
Le prix du silence
Mais à long terme, aucun régime ne peut gouverner indéfiniment sur la peur. Les frustrations accumulées finiront par trouver un exutoire, d’une manière ou d’une autre. L’histoire des Comores, marquée par les coups d’État, les révoltes et les transitions inachevées, le prouve : la stabilité imposée n’est jamais durable.
En muselant la rue, le pouvoir d’Azali Assoumani ne fait que retarder l’inévitable : l’expression d’une colère populaire profonde. Déjà, dans les quartiers, dans les marchés, dans les taxis, cette colère se murmure. Elle n’a plus besoin de banderoles ni de mégaphones pour exister. Elle attend simplement son heure.
Un pays à la croisée des chemins
Les Comores méritent mieux qu’une démocratie de façade. Le pays a besoin de réconciliation, de dialogue, de confiance entre gouvernants et gouvernés. Tant que la peur régnera, aucune réforme économique, aucune promesse de développement ne portera ses fruits. La stabilité durable ne naît pas du silence des peuples, mais de leur participation.
Aujourd’hui, la vraie question n’est plus de savoir quand la population osera reparler, mais combien de temps encore le pouvoir pourra contenir ce silence. Car, tôt ou tard, l’histoire le montre, les silences forcés finissent toujours par crier.















