Depuis le 16 juin, un bateau malgache en route pour Anjouan s’est volatilisé. À bord, il y avait 11 membres d’équipage et 19 passagers, des tonnes de marchandises, et l’espoir de familles entières.
Par Anoir Ahamadi
Aujourd’hui, à Madagascar comme aux Comores, l’angoisse a pris le dessus. Les cœurs sont lourds, les regards fixés vers la mer, et les prières se multiplient en silence.

Disparition entre Madagascar et les Comores
Cela fait maintenant plus de deux semaines que le bateau A.W., parti de Majunga (Madagascar) à destination de Mutsamudu (Anjouan), est porté disparu. Le navire, qui a quitté les côtes malgaches le lundi 16 juin 2025, devait accoster deux jours plus tard. Mais depuis, plus rien. Aucun signal. Aucun débris. Aucun espoir tangible. Seulement le silence angoissant d’un océan réputé imprévisible.
À bord du bateau, en plus des 11 membres d’équipage, il y avait 19 voyageurs, dont 14 Malgaches, 4 Comoriens et un Afghan. Des hommes et une femme, tous habitués à emprunter cette traversée commerciale essentielle à la survie économique de nombreuses familles entre les deux pays. Outre les passagers, le navire transportait plusieurs tonnes de marchandises destinées aux marchés comoriens.
Mais au matin du 19 juin, alors qu’il aurait dû être visible à l’approche de Mutsamudu, aucune trace du bateau n’a été détectée. Les appels restent sans réponse. Les familles commencent à comprendre l’impensable : le bateau a disparu.
« Tout était un prêt… et ma cousine aussi »
Parmi ceux qui attendent dans la douleur, Olinah Razafiarimalala, une commerçante d’origine malgache installée à Anjouan, n’a pas pu retenir ses larmes en évoquant sa situation. « Ma cousine était sur ce bateau. Elle convoyait pour moi des oignons, du gingembre, des taros, des lentilles, des sodas… Toutes ces marchandises devaient être vendues ici, aux Comores. Mais tout était acheté à crédit. L’argent venait d’un prêt bancaire. »
Aujourd’hui, Olinah se dit prise au piège entre le deuil et la faillite. « Je ne sais plus ce que je dois faire. Je pense à ma cousine, mais aussi à tout ce que je perds. Les dettes vont me noyer si le bateau ne refait pas surface. »
Son cri du cœur reflète la réalité de nombreuses familles qui dépendent directement de ce commerce maritime. Car au-delà de la tragédie humaine, c’est tout un pan de l’économie informelle entre Madagascar et les Comores qui est touché.
Un canal meurtrier et des recherches infructueuses
Le canal du Mozambique, connu pour ses vents puissants et ses courants instables, est l’un des plus dangereux pour les petites embarcations. Les autorités comoriennes et malgaches, avec le soutien des Seychelles et de Maurice, ont lancé une opération de recherche d’envergure : avions de reconnaissance, patrouilles maritimes, drones, pêcheurs bénévoles… Rien n’a été laissé au hasard.
Mais les jours passent. Et aucune trace du bateau. Pas un objet flottant. Pas une planche de bois. Le mystère est total, et l’angoisse devient insupportable.
« C’est comme s’il avait été englouti par la mer sans un cri », déclare un agent du port de Mutsamudu, impuissant.
Familles brisées, marchés déstabilisés
Les conséquences sont multiples. D’un côté, la détresse humaine : familles abattues, mères effondrées, enfants en larmes. À Madagascar comme aux Comores, les visages sont fermés, les mots manquent. L’attente est insupportable. Certains refusent encore de croire à une disparition définitive. D’autres espèrent un miracle, une île, un radeau, un signal.
De l’autre côté, les conséquences économiques. Des cargaisons entières de produits agricoles et de consommation manquent à l’appel. À Anjouan, de nombreux commerçants avaient misé gros sur ces livraisons pour reconstituer leurs stocks après des semaines de vaches maigres. La perte de ces marchandises risque de provoquer des ruptures d’approvisionnement, mais aussi des défaillances de remboursement de prêts bancaires ou informels.
Cet incident ravive une question lancinante : la sécurité maritime est-elle réellement assurée dans cette région ? Les bateaux qui relient Majunga à Mutsamudu sont souvent vétustes, mal entretenus, et dépourvus de systèmes modernes de communication ou de localisation. Certains naviguent sans aucun équipement de secours. Et pourtant, ces traversées continuent.
« On joue chaque fois à la roulette russe », commente un ancien marin anjouanais. « On sait que c’est dangereux, mais c’est ça ou mourir de faim.»
L’appel des familles : qu’on ne les oublie pas
Aujourd’hui, alors que le bateau est toujours porté disparu, les familles des passagers se sentent abandonnées. Certaines affirment n’avoir reçu aucun message officiel des autorités. D’autres dénoncent une mobilisation trop lente, trop faible. Mais toutes demandent la même chose : que l’on continue à chercher, qu’on parle de leurs proches, qu’on ne les laisse pas sombrer dans l’oubli.
« Même un vêtement, même un bidon flottant, ce serait déjà une piste. Mais là, on ne sait rien. C’est le vide absolu », témoigne une cousine d’une des passagères.
Alors que les heures deviennent des jours, et les jours des semaines, la mer reste muette. Aucune certitude. Aucune image. Aucune trace. Juste ce vide, immense, qui ronge les familles. Et cette colère sourde, que les larmes ne suffisent plus à apaiser.
À Majunga, à Mutsamudu, dans les ruelles et sur les quais, les regards sont tournés vers l’horizon. Comme si, de ce bleu profond et redoutable, allait surgir un signe. Un espoir. Un adieu.