Silence ! Silence ! Silence…
Ce mot me choque, m’inquiète, me fait peur.
Dans un autre contexte, ce mot est une arme fatale.

Par Ben Abdallah Kamar Eddine, Animateur culturel et comédien
Très dangereuse, parfois même insupportable.
C’est un mot polysémique : il a plusieurs visages, plusieurs couleurs, plusieurs formes.
Il est capable de marginaliser, d’anéantir, de prendre en otage toute une société.
Cela commence par une personne, puis une famille, une ville, un village, une commune, une région, une île, un pays, un continent…
et pourquoi pas, le monde entier !
C’est le cas aujourd’hui.
On est foutus.
Ce mot nous tue à petit feu.
Toi… lui… même moi… nous tous.
Moi, j’ai quitté mon pays parce que j’en avais marre.
Toi aussi, tu es parti, parce que tu en avais marre.
Lui, pareil.
Nous étions tous fatigués de nos pays.
Et au lieu de briser le silence, nous l’avons gardé.
Et plus nous le gardons, plus il aggrave les choses
Aujourd’hui, nous sommes ici, loin de nos terres.
On nous appelle immigrés, sans-papiers.
Certains vont jusqu’à nous qualifier de voyous.
Silence ! Silence ! Silence…
Je te hais. Tu me dégoûtes. J’ai la rage !
À tel point que je vais te quitter.
Tu es cruel.
Êtes-vous d’accord avec moi, mes chers frères et sœurs ?
Il est temps de briser ce silence !
À cause de lui, nos pays souffrent, et continuent de souffrir.
À cause de lui, la pauvreté nous affame.
À cause de lui, la corruption nous met à genoux.
À cause de lui, ils restent présidents à vie.
À cause de lui, rien ne va :
Pas de justice, pas de santé, pas d’éducation…
Oh silence !
Tu es la cause de tout cela.
Tu es un mauvais compagnon.
Je te quitte pour toujours,
et je ne veux plus jamais te revoir.
Heureusement, tu n’es pas le seul compagnon possible.
Je pars à la recherche d’un autre :
celui qui, peut-être, me rendra l’espérance d’une vie meilleure.
Silence ! Silence ! Silence !
Mais cette fois, je le dis haut et fort :
Je réclame le silence.
Le vrai. Celui qui apaise, qui éclaire, qui permet de réfléchir.
Soyez compréhensifs. Je ne suis pas fou.
Je veux ce silence-là. Le bon.
Ouf ! Ouf ! Ouf !
Je crois avoir pris la bonne décision.
Je me sens libre.
Ça y est : après cinquante ans de silence,
inconsciemment, involontairement, aveuglément…
Je romps enfin avec lui.
Je n’ai plus droit à l’erreur.
Je me présente :
Djuzrul’Kamar, survivant de l’océan Indien.
Je suis malade de tous les maux.
Fatigué depuis si longtemps.
Amputé d’une partie de mon corps : Mayotte.
Je croyais attendre le miracle de Dieu…
Mais en vain.
Jusqu’à aujourd’hui, ni vu ni connu.
Je suis né en 1975, un 6 juillet.
Un jour pas comme les autres.
Je suis une victime du mauvais compagnon :
le Grand Silence.
Mais aujourd’hui, j’ai décidé de couper le cordon.
En espérant croiser une bonne personne…
Brisons le silence.
Nous sommes en guerre.