Le Centre hospitalier de Hombo est secoué par une grève illimitée menée par le personnel contractuel. Un arrêt de travail justifié par des retards de paiement, une précarité prolongée et des tensions autour d’un nouveau contrat proposé par la direction. Les voix s’élèvent, les témoignages s’accumulent, et la crise interroge la gestion des ressources humaines dans le secteur public.
Par Anoir Ahamadi
Au Centre hospitalier de Hombo, à Mutsamudu, l’ambiance est tendue, mais calme. Depuis plusieurs jours, une grève illimitée y est observée par une partie du personnel contractuel. Dans les couloirs, les patients continuent d’être reçus, les services fonctionnent à minima, mais les soignants grévistes ne décolèrent pas. Ils réclament des droits élémentaires, bafoués depuis trop longtemps.

Cette mobilisation pacifique, déclenchée mercredi dernier, repose sur des revendications urgentes : retards de salaires de plusieurs mois, absence de régularisation des contrats pour certains agents en poste depuis plus de dix ans, et menaces de précarisation avec l’introduction d’un contrat dit « de vacation ».
« Cela fait 12 ans que certains médecins et infirmiers travaillent ici sans aucun contrat stable. Ils sont payés quand l’État veut, ou pas du tout », déplore un infirmier sous le sceau de l’anonymat.
Des mois sans salaires : la colère des familles
Le ton est mesuré, mais la souffrance est palpable. Pour beaucoup, la coupe est pleine. Amina, sage-femme contractuelle, fait partie des voix qui s’élèvent avec dignité. « C’est une grève pacifique. Nous n’empêchons personne d’accéder à l’hôpital. Nous voulons juste vivre de notre travail. Ce que nous subissons est inhumain. »
Les conséquences de cette crise dépassent les murs de l’hôpital. Ismaël Daoud, époux d’une soignante contractuelle, raconte son désarroi. « Ma femme ne touche plus son salaire depuis 7 mois. Comment voulez-vous que l’on s’en sorte ? » Pour lui, les répercussions sont lourdes. « Cette situation a profondément affecté notre quotidien. Nous ne parvenons plus à satisfaire nos besoins essentiels. Tout devient plus compliqué, même nourrir les enfants. »
Dans de nombreux foyers d’Anjouan, cette grève révèle une réalité sociale difficile : des agents de santé, piliers d’un hôpital régional, laissés à l’abandon, sans salaires, sans reconnaissance, sans contrats dignes de ce nom.
Un contrat de vacation décrié
Le projet qui a mis le feu aux poudres est la proposition de contrats de vacation par la direction de l’hôpital. Ce nouveau format ferait passer la rémunération mensuelle des agents de 60 000 francs comoriens à 30 000 francs (60 euros). Une réduction de moitié, sans garantie de stabilité ni protection sociale. Pour les grévistes, c’est une manœuvre de fragilisation déguisée.
Le Dr Ibrahim Salim Mari, directeur du CHRI de Hombo depuis 2021, a tenté d’apaiser les tensions. Dans une récente déclaration, il dit comprendre les doléances du personnel et affirme avoir saisi les autorités compétentes pour une résolution rapide de la situation. Il insiste aussi sur le fait que les services essentiels restent ouverts.
Mais ces propos ne suffisent plus à calmer les esprits.
Une gestion contestée
Le syndicat est monté au créneau. Saïd Ahmed, secrétaire adjoint de la Confédération des Travailleurs Comoriens (CTC), dénonce avec force la posture de la direction :« Nous condamnons fermement la politique du directeur. Parler de licenciement, c’est une provocation. »
Mais il va plus loin. Selon lui, la situation actuelle est d’autant plus choquante que l’hôpital de Hombo bénéficie régulièrement de subventions, aussi bien nationales qu’internationales. « Cet argent existe. Il est là pour améliorer les conditions de travail, pour assurer un service public digne. Mais où va-t-il ? » se demande-t-il, soupçonnant une mauvaise gestion.
Pour lui, le contrat de vacation n’est rien d’autre qu’une ruse pour contourner les obligations légales de l’État vis-à-vis de son personnel.
Une crise structurelle révélée
La situation à Hombo n’est pas un cas isolé. Elle met en lumière un problème structurel qui touche plusieurs établissements de santé du pays : recrutements sans base légale, absence de régularisation, systèmes de paiement opaques et manque de suivi des ressources.
Comment un pays peut-il envisager un avenir « émergent », avec un système de santé aussi vulnérable ? La question dérange, mais elle mérite d’être posée. Car lorsqu’on maltraite le personnel médical, on met en péril toute la chaîne de soins. Des professionnels fatigués, sous-payés, démoralisés, ne peuvent offrir de soins optimaux. Les retards s’accumulent, les diagnostics se compliquent, les erreurs deviennent plus fréquentes. Et les patients, eux, en paient le prix.
Une dignité à restaurer
Cette grève est aussi un cri de dignité. Celle d’hommes et de femmes qui ont continué à soigner pendant les pandémies, qui ont assisté les accouchements, soigné les malades, accompagné les mourants, souvent sans recevoir un sou pendant des mois. Leur silence d’hier est aujourd’hui remplacé par une parole ferme, mais digne.
Pour beaucoup d’Anjouanais, cette mobilisation dépasse le cadre syndical. Elle symbolise le ras-le-bol général face aux injustices sociales et à l’abandon de certains secteurs clés.
« Si l’État laisse tomber ceux qui sauvent des vies, que peut-on espérer pour les autres ? », lâche un patient dans la cour de l’hôpital.
Face à cette crise, les attentes sont claires. Le personnel souhaite la régularisation immédiate de ses contrats, le paiement des arriérés de salaires, et l’abandon pur et simple du contrat de vacation. Des revendications que le gouvernement comorien ne peut plus ignorer.
Les jours à venir seront décisifs. Faute de réponse rapide et concrète, la confiance entre les agents de santé et les autorités pourrait être irrémédiablement rompue.
Dans un pays où les défis sanitaires sont nombreux, la situation à Hombo doit servir de réveil collectif. Il ne s’agit plus d’un simple mouvement social, mais d’un combat pour la justice, la dignité, et le respect du métier de soignant.
Pourquoi cherche-t-on à tuer les hôpitaux à Anjouan ?
La question commence à se poser sérieusement. Après avoir laissé sombrer l’hôpital de référence de Bambao Mtsanga, c’est aujourd’hui le centre hospitalier de Hombo qui vacille sous le poids du silence administratif, des contrats humiliants et de l’indifférence politique. Pourquoi ?
Certains y voient une stratégie tacite de fragilisation des structures hospitalières à Anjouan, au profit du gigantesque projet d’El Maarouf, le futur hôpital national en construction à Moroni depuis maintenant neuf ans. Un projet certes ambitieux, mais qui semble se développer au détriment d’un réseau hospitalier équilibré sur l’ensemble du territoire.
À Hombo comme à Bambao, les professionnels parlent d’abandon, les citoyens d’injustice. Et pendant que les murs de béton d’El Maarouf s’élèvent, les piliers humains de la santé, eux, s’écroulent en silence.