C’est la troisième fois en l’espace de quelques mois que les fonctionnaires anjouanais vivent un véritable calvaire pour pouvoir percevoir leurs salaires. La centralisation des paiements dans seulement deux bureaux de poste, à Missiri (Mutsamudu) et Domoni, plonge les salariés dans une précarité inquiétante. Entre les files d’attente interminables, le favoritisme et le manque de transparence, cette situation paralyse des secteurs clés comme l’Éducation et la Santé.
Par Naenmati Ibrahim
Avant cette réforme, chaque employé de l’État pouvait récupérer son salaire dans sa ville ou sa région, sans avoir à faire de longs déplacements. Désormais, ils doivent obligatoirement se rendre à l’un des deux seuls bureaux de poste encore en activité, à Missiri (Mutsamudu) ou Domoni.

« On passe des heures, parfois même plusieurs jours, à attendre. Et maintenant que nous sommes en plein Ramadan, c’est encore plus difficile », témoigne un fonctionnaire épuisé.
Cette réorganisation bouleverse le quotidien de nombreux fonctionnaires. Certains doivent parcourir des dizaines de kilomètres pour atteindre ces bureaux saturés. Ceux vivant dans des zones reculées, sans accès facile aux transports, se retrouvent dans des situations critiques. Certains empruntent même de l’argent pour payer le trajet, espérant être payés le jour même. Mais une fois sur place, une autre épreuve les attend : l’attente interminable.
Un calvaire sous un soleil de plomb
Les problèmes se sont aggravés avec l’approche du ramadan. Dès l’aube, des files interminables se forment devant les bureaux de poste. Avant le début du ramadan, certains salariés, épuisés par l’attente, finissaient par s’asseoir à même le sol, faute de chaises ou de bancs.
Face à cette situation, quelques améliorations ont été apportées, comme l’installation de chaises pour atténuer la fatigue des fonctionnaires. Mais cela reste insuffisant. La plupart des fonctionnaires doivent patienter sous un soleil brûlant, en période de jeûne. Seules les personnes appelées grâce à un ticket peuvent entrer dans les bureaux, les autres restent à l’extérieur.
Beaucoup finissent par repartir les mains vides, contraints de revenir le lendemain. Certains ont déjà passé plusieurs jours sans obtenir leurs salaires, accumulant fatigue et frustration.
Une inquiétude lorsqu’on sera à l’approche de l’Aïd El-Fitr
À la fin du Ramadan, ce sera une autre préoccupation qui va hanter les fonctionnaires : recevoir son salaire avant l’Aïd El-Fitr. Cette fête religieuse revêt une importance capitale pour les familles comoriennes, nécessitant des dépenses pour les repas, les vêtements des enfants et les préparatifs.
Mais avec ce système de paiement chaotique, nombreux sont ceux qui craignent de ne pas recevoir leur salaire à temps. « Si ça continue comme ça, beaucoup ne pourront rien acheter faute de moyens financiers », confie un employé. Toucher son salaire est devenu un véritable parcours du combattant.
Une rumeur circule selon laquelle le prochain paiement pourrait être avancé de 15 jours pour soulager les employés et leur permettre de préparer l’Aïd. Mais cette annonce suscite plus de scepticisme que d’espoir.
« Même s’ils font ça, ça ne changera rien ! », rétorque une fonctionnaire. « Les paiements prennent toujours plus de deux semaines. On restera bloqués dans l’attente et la frustration. »
Un exemple criant de dysfonctionnement
Le vendredi 7 mars, sixième jour du ramadan, la situation a atteint un point critique. Ceux qui étaient arrivés très tôt attendaient déjà depuis plus de deux heures lorsqu’un nouveau coup dur leur a été porté. Les agents de sécurité ont commencé à appeler ceux inscrits sur une liste datant de la veille, en commençant par le numéro 700. Ces personnes, munies de tickets, étaient prioritaires.
Les salariés inscrits le jour même ont vite compris que leurs chances d’être payés étaient quasi nulles. Leur liste comptait déjà plus de 200 noms. Tout dépendait désormais de la rapidité du processus : si les fonctionnaires prioritaires obtenaient leur paiement avant la fermeture, alors la liste du jour pourrait être prise en compte. Sinon, les fonctionnaires inscrits ce jour-là devraient revenir encore une fois, rallongeant leur calvaire. Même si les horaires ont été exceptionnellement prolongés, l’inquiétude restait grande.
Une administration déconnectée des réalités du terrain
Ce désordre est la conséquence directe d’une décision administrative prise sans concertation. La séparation entre la Poste et la banque a donné naissance à deux nouvelles entités : la Poste et la Banque Postale des Comores(BPC).
Cette restructuration a profondément bouleversé le système de paiement des salaires, rendant l’accès aux fonds plus difficile.
Un autre changement de taille a été imposé : l’abandon des chéquiers. Désormais, pour être payé, un fonctionnaire doit fournir uniquement son numéro de compte et une pièce d’identité.
Si cette mesure visait à simplifier le processus, elle a eu l’effet inverse. De nombreux fonctionnaires dénoncent le manque de clarté et les frais prélevés sur chaque retrait, allant de 1 500 à 2 000 francs.
Un terrain propice à la corruption et au favoritisme
En plus des problèmes logistiques, cette désorganisation favorise la corruption. Certains fonctionnaires accusent les agents de sécurité et les employés des bureaux des agences de pratiques douteuses.
« Il y a clairement du favoritisme », témoigne un fonctionnaire. « Ceux qui glissent un billet sous la table passent en priorité. Pendant ce temps, nous, qui suivons les règles, devons attendre des jours. »
D’autres dénoncent une absence totale de transparence dans l’attribution des tickets de passage. Certains jours, des tickets supplémentaires apparaissent mystérieusement dans les mains de personnes bien introduites, retardant encore plus ceux qui patientent depuis l’aube.
Jusqu’à quand cette situation va-t-elle durer ?
Alors que l’exaspération monte, une question demeure : pourquoi cette réforme a-t-elle été menée sans anticipation ?
Les conséquences de cette mauvaise gestion ne se limitent pas aux fonctionnaires. Des secteurs vitaux comme l’Éducation et la Santé en souffrent directement. Avec des enseignants et des agents de santé forcés de s’absenter plusieurs jours pour récupérer leurs salaires, le fonctionnement des écoles et des hôpitaux en est directement affecté.
Le gouvernement et la direction de la SNSPF doivent agir en urgence. Il est inacceptable qu’en 2025, des fonctionnaires soient encore contraints de perdre plusieurs jours pour toucher leurs salaires.
Pourtant, des solutions existent : décentraliser les paiements comme avant en ouvrant les anciens bureaux pour réduire l’afflux à Missiri et Domoni, mettre en place un véritable service bancaire numérique permettant les virements directs sur les comptes, établir un système de paiement par ordre alphabétique ou par numéro d’identification pour éviter la cohue et les abus.
Tant qu’aucune mesure concrète ne sera prise, les fonctionnaires anjouanais resteront piégés dans ce système injuste. En attendant, ils n’ont d’autre choix que de patienter sous le soleil dans l’espoir d’être appelés avant la fermeture.