Moukaram Massoundi alias Trapez est comptable au port de Mutsamudu, membre influent de la CRC à Anjoua, il essaie dans cette interview un parti qui depuis sa création cristallise de nombreuses critiques, et aujourd’hui accusé d’impopularité, de dérive autoritaire et de manœuvres contre la tournante présidentielle.
Par Propos recueillis par NJ
Masiwa – La CRC traîne une réputation d’impopularité. Pourtant, au lieu de regagner la confiance du peuple, ce parti s’appuie sur une forme de despotisme pour durer. Comment justifiez-vous ce choix ?

Moukaram Massoundi – Je rejette totalement le terme de « despotisme ». La CRC n’impose pas sa présence par la force, mais par la légitimité constitutionnelle issue des urnes. Chaque élection, malgré ses imperfections, a confirmé notre majorité (1).
Quant à la jeunesse, elle est au cœur de notre action : programmes d’emploi, formation professionnelle, investissements dans l’éducation. Peut-être ces résultats mettent-ils du temps à se matérialiser, mais nous posons des bases solides. L’avenir des jeunes, c’est celui d’acteurs responsables, pas de spectateurs désabusés.
Masiwa – Vous êtes considéré comme un proche du pouvoir. Après neuf années de règne, quel bilan tirez-vous de ce régime accusé de réduire les libertés et de confiner la population dans un silence amer ?
Moukaram Massoundi – Il est facile de dire que les libertés sont étouffées, mais les faits démontrent le contraire. Les médias privés fonctionnent (2), l’opposition s’exprime (3), et la société civile demeure active (4).
La CRC a renforcé les institutions républicaines (5), stabilisé un pays fragile et attiré des investissements stratégiques (6). La liberté ne doit pas être synonyme de chaos ou d’impunité. Elle doit s’équilibrer avec la sécurité et l’unité nationale. Notre héritage, c’est justement d’avoir évité les dérives qui auraient pu plonger le pays dans une instabilité chronique (7).
« La tournante présidentielle n’est pas une religion »
Masiwa – La tournante présidentielle de 2029, attendue par l’île d’Anjouan, semble menacée par des manœuvres politiques. En tant que jeune Anjouanais, seriez-vous prêt à cautionner cette remise en cause d’un principe clé de l’unité nationale ?
Moukaram Massoundi – La tournante n’est pas une religion, c’est une disposition politique qui a rempli son rôle dans un contexte donné. Aujourd’hui, la question est juridique : devons-nous figer le destin politique dans un mécanisme qui limite parfois la compétence au profit de l’appartenance insulaire ? La CRC n’a pas l’intention de priver Anjouan de sa place. Mais nous défendons l’idée que le mérite, la compétence et le choix du peuple doivent primer sur une règle mécanique. En tant qu’Anjouanais, je crois davantage à la force des institutions qu’à l’automaticité des privilèges.
Comme l’a dit Elfathou, secrétaire général adjoint du CRC : «2029, le président est un Anjouanais ». La tournante tourne bien vers Anjouan. Mais il faut sortir du piège de la polémique systématique.
«Nos tensions internes sont la preuve d’un parti vivant»
Masiwa – Le CRC apparaît souvent comme un parti déchiré, miné par les rivalités internes et les pièges tendus entre ses propres membres. Pourquoi cette atmosphère de haine et de suspicion semble-t-elle avoir remplacé le débat d’idées et la construction d’un projet d’avenir ?
Moukaram Massoundi – Il est vrai que la CRC connaît des tensions internes, mais c’est la marque d’un parti vivant et pluraliste. Les débats sont parfois rudes, mais ils traduisent une diversité de sensibilités politiques et juridiques.
Contrairement à ce que l’on pense, ces échanges ne sont pas des « pièges », mais des épreuves démocratiques internes. Nous préférons les divergences assumées aux consensus artificiels. Et c’est cette vitalité qui nous permettra de rester au service du peuple, malgré les critiques.
Masiwa – Entre légitimité et controverse, la CRC est perçue toujours comme un parti qui a transformé le pays à une « République des copains ». Qu’en pensez-vous ?
Moukaram Massoundi – La CRC défend sa légitimité et présente son action sous l’angle de la stabilité, des institutions et de la jeunesse. Si les critiques extérieures parlent de dérive autoritaire, le discours officiel insiste sur l’équilibre entre liberté et sécurité, sur l’évolution du principe de la tournante et sur la diversité interne comme signe de vitalité.
À l’heure où 2029 approche et où les Comores s’interrogent sur leur avenir institutionnel, je confirme une chose : la CRC n’entend pas céder à la polémique, mais revendique la légitimité des urnes et la solidité de ses fondations politiques pour l’intérêt général du peuple.
NOTES DE LA RÉDACTION :
- Depuis 2018, chaque élection a été organisée sur de larges fraudes électorales, largement documentées par les organisations internationales et par les journalistes comoriens et étrangers, dont ceux de Masiwa.
- Les médias privés n’ont pas les moyens de fonctionner correctement, face aux médias d’État comme l’ORTC ou Al-Watwan.
- Les oppositions n’ont aucun lieu où s’exprimer : les manifestations de l’opposition, des syndicats et même de la société sont interdites. Récemment encore, à Anjouan, des membres de la société civile ont été empêchés de s’exprimer après la prière de vendredi à Domoni et des militants de la CRC sont entrés dans un hotel (lieu privé) à Ouani pour interrompre une simple réunion d’opposants politique dont l’ancien Gouverneur de Ngazidja, Mouigni Baraka et l’ancien ministre de l’Intérieur, Mohamed Daoudou dit Kiki. Des étudiants qui ont osé entamer une manifestation à Moroni pour réclamer l’organisation des examens ont été arrêtés.
- Cela fait longtemps que quasiment toutes les associations de la société civile ont cessé de fonctionner pour ne pas que ses dirigeants subissent les pressions du pouvoir. Même, les syndicats et l’association des Droits de l’Homme ne fonctionnent plus.
- Toutes les institutions sont occupées par des militants de la CRC ou des proches du pouvoir : l’Assemblée nationale est unicolore, comme la Cour Suprême ou la CENI chargée d’organiser les élections, pour ne citer que celles-là. Si les institutions républicaines étaient renforcées, le pouvoir en place n’appellerait pas à la réconciliation ou à de nouveaux débats en vue de changer de nouveau la Constitution pour effacer le tour d’Anjouan.
- Le dernier investisseur à s’installer au pays est celui à qui le pouvoir a donné la gestion de l’aéroport et qui avec l’accord du SGG, Nour el Fath Azali a licencié près de 500 salariés, sans même prévoir des indemnités ou le payement des retraites.
- L’apparence de stabilité actuelle est maintenue non pas par des institutions fortes, mais par la brutalité des militaires qui répriment toute velléité de manifestation.















