Dans quatre ans, la présidence de l’Union des Comores devrait, selon la Constitution, revenir à un ressortissant d’Anjouan. Une règle confirmée récemment par le chef de l’État, après une déclaration à Mwali qui avait suscité une vive polémique. En évoquant son souhait de « laisser la place à un enfant », certains avaient cru qu’il préparait son propre fils à sa succession.
Par Naenmati Ibrahim
Le 13 février dernier dans un entretien avec Oubeidillah Mchangama, Me Ibrahim Ali Mzimba, unique député de l’opposition élu en janvier dernier, a annoncé son intention de proposer une loi pour supprimer définitivement la tournante. Une prise de position qui pourrait servir le régime en place en lui permettant de continuer à exercer le pouvoir sans contrainte constitutionnelle.

Un système conçu pour préserver l’unité nationale
Depuis plus de deux décennies, le système politique comorien repose sur la présidence tournante entre les îles de l’archipel. Ce mécanisme a été introduit dans la Constitution de 2001, après la crise séparatiste qui avait mené à la sécession d’Anjouan en 1997. L’objectif était d’assurer une alternance équitable dans l’exercice du pouvoir exécutif et d’éviter ainsi qu’une seule île ne monopolise le pouvoir.
L’article 13 de la Constitution de 2001 stipulait que la présidence reviendrait à chaque île à tour de rôle, pour un mandat de quatre ans. En 2009, la durée a été portée à cinq ans, mais le principe de la rotation a été maintenu. Cependant, dans la pratique, ce mécanisme a été détourné et utilisé à des fins partisanes.
Un principe détourné par le pouvoir
Loin de garantir une réelle équité, la présidence tournante a été instrumentalisée par les différents chefs d’État successifs. Chaque président a été accusé de favoriser soit son île d’origine, soit son propre parti politique. L’exemple d’Ikililou Dhoinine, issu de Mohéli, est révélateur , il lui a été reproché d’avantager son île, tandis qu’Ahmed Abdallah Sambi, originaire d’Anjouan, a privilégié son camp politique.
Les modifications constitutionnelles répétées ont encore fragilisé ce principe. En 2018, le président Azali Assoumani a modifié la Constitution pour pouvoir se représenter, rompant avec l’esprit initial de la tournante. Depuis son retour au pouvoir, le mécanisme semble bloqué, et de nombreux Anjouanais doutent que la présidence leur revienne réellement en 2029.
Une gouvernance instable et une défiance croissante
Aujourd’hui, la tournante est critiquée non seulement pour son inefficacité, mais aussi pour la centralisation du pouvoir à Moroni. Des démarches administratives essentielles, comme l’obtention d’un passeport ou des procédures de retraite, nécessitent un déplacement à Ngazidja, ce qui alimente un sentiment d’injustice chez les habitants des autres îles.
Pour beaucoup, le problème principal n’est pas la tournante elle-même, mais la mauvaise gouvernance et l’instabilité institutionnelle. L’absence de vision à long terme et les révisions opportunistes de la Constitution empêchent tout développement durable.
Faut-il pour autant abolir la tournante ?
La déclaration de Maître Mzimba proposant d’en finir avec la tournante a accentué la fracture politique. Pour un dénommé Zola, fervent défenseur du parti Juwa a réagi à la déclaration de l’avocat sur les réseaux sociaux. Il voit dans cette initiative une tentative déguisée de pérenniser le pouvoir en place et d’éliminer tout espoir de retour pour l’ancien président Ahmed Abdallah Sambi, emprisonné depuis 2018.
Si la tournante devait assurer une alternance pacifique, elle semble aujourd’hui avoir perdu sa légitimité. Toutefois, la priorité ne devrait pas être de supprimer ou de conserver ce système, mais de bâtir un cadre institutionnel stable, dans lequel la Constitution ne changerait pas au gré des ambitions personnelles.
Le véritable débat politique ne devrait pas porter sur la tournante, mais sur la nécessité d’une gouvernance fondée sur des institutions solides et un engagement sincère pour le développement du pays. Tant que les dirigeants privilégieront leurs intérêts personnels au détriment du bien commun, aucun système, tournant ou non, ne pourra réellement fonctionner.