Achmet Saïd Mohamed, le dernier homme politique emprisonné à Moroni, depuis maintenant plus d’un an, entame ce lundi une grève de la faim pour exiger sa libération à défaut d’un procès.
Par MiB
Depuis quelques jours, certains des amis qui ont pu rendre visite à Achmet Saïd Mohamed, le leader du parti HURY, indiquaient qu’il souhaitait commencer une grève de la faim le lundi 20 janvier, la seule manière qu’il lui restait pour dénoncer son incarcération. La confirmation est arrivée dimanche après-midi. Malgré les mises en garde de ses amis et les dangers que cela représente pour sa santé, déjà fragilisée par des conditions de détention inhumaines, il a décidé de maintenir sa décision.

Son objectif est d’obtenir sa libération simplement ou du moins un procès qui puisse déterminer ce qu’on lui reproche.
Les lenteurs de la Justice
Pourtant, l’homme politique admet facilement qu’il y a des situations plus graves dans la prison de Moroni, que ce soit au niveau de l’attente d’un procès ou de la dégradation de la santé. Et effectivement, même si le Code des Procédures permet une détention de deux fois 4 mois, soit huit mois au total dans les affaires de sûreté de l’État, cela fait plus d’un an qu’Achmet Saïd Mohamed attend un jugement, et d’autres attendent depuis plusieurs années.
On se rappelle que le gouvernement, qui a seul réellement le calendrier des jugements des hommes politiques, a fait attendre le président Sambi, comme le gouverneur Salami et tant d’autres des années avant de les juger.
Fidèle à son engagement politique pour faire éclore un État de droit, il cherche par cette grève de la faim à mettre la lumière sur cette première injustice de la Justice comorienne qui consiste à enfermer des gens et a les oublier dans les prisons sordides du pays.
Cette grève de la faim n’est pas sans risque pour Achmet Saïd Mohamed dont on sait depuis quelques mois qu’il souffre d’un problème grave de dos. En effet, dans une conférence de presse qui s’est tenue il y a deux semaines, le 7 janvier 2024, l’avocat d’Achmet a rappelé que son client est gravement malade, mais que les autorités refusent toujours de le laisser aller se soigner dans un hôpital.
Entouré de la mère, du père, du grand-père et de l’oncle d’Achmet, Me Djamal el-dine Bacar, avait rappelé avec calme et rigueur l’injustice et les entorses aux lois dont est victime son client.
Pour l’avocat, Ahmed Saïd Mohamed, la procédure suit son cours avec les lenteurs habituelles. Il s’est souvenu que cela fait un an que le chef du parti HURY a été « enlevé » (il a insisté sur le terme) et est placé actuellement dans la tristement célèbre prison de Moroni. Il a été « enlevé » par des forces spéciales, cagoulées, en pleine rue, après avoir déposé ses enfants à l’école.
Enlevé en pleine rue
Pour l’avocat, il ne s’agit pas d’une « arrestation », qui est bien définie dans la procédure judiciaire, il s’agit bien d’un « enlèvement ». D’autant plus que pendant 15 jours, personne n’a su où il était « séquestré », et ce qu’il a pu subir, au regard d’antécédents observés pour d’autres opposants.
Il a fallu que la mère déclare dans les réseaux sociaux que si son fils a été tué qu’on lui donne au moins le corps pour l’enterrer pour que le Procureur de la République fournisse des informations en révélant que le scientifique était détenu dans le cadre d’une enquête sur des faits de terrorisme. Peu après, il a été sorti du lieu secret dans lequel il était interrogé depuis plusieurs jours et conduit dans la prison de Moroni.
Toute la procédure, qui comme d’habitude s’agissant des prisonniers politiques est menée uniquement à charge, repose sur un audio dans lequel on entend une voix, qui semble être celle d’Achmet Saïd Mohamed, qui dit qu’il faut brûler des bâtiments publics. En laissant de côté le fait qu’une enquête technique devrait dire de manière irréfutable s’il s’agit bien de sa voix, son avocat qu’il n’y a dans le dossier aucun acte accompli ou même planifié.
Une santé se dégrade
L’avocat a également rappelé qu’Achmet a fait deux demandes d’autorisation pour quitter la prison et aller se soigner. Il a essuyé deux refus. Pour sa troisième demande, il s’est appuyé sur un certificat du médecin d’Achmet Saïd Mohamed, Dr Nizar Ahamada qui a constaté que des vertèbres s’affaissent. Mais, les instances judiciaires ont demandé un certificat d’un autre médecin, vu que le Dr Nizar Ahamada est membre du parti HURY et proche d’Achmet Saïd Mohamed. La contre-expertise est arrivée aux mêmes conclusions. Mais, cela n’a pas suffi, l’opposant n’a pas eu l’autorisation d’aller se soigner. Il a fallu qu’un début de paralysie soit constaté, notamment par le Procureur pour que les autorités judiciaires donnent l’autorisation pour qu’il puisse être soigné dans une clinique.
Seulement, moins de deux semaines après, des militaires sont entrés dans la clinique dans laquelle il était soigné et l’ont ramené en prison. Il n’était pas encore guéri et le médecin a dû faire un certificat pour se décharger de toute responsabilité.
La douleur d’une mère
Le père de l’opposant, Saïd Mohamed Adamou, un ancien homme politique a appris aux journalistes que depuis plusieurs jours il tente d’obtenir une entrevue avec le chef de l’État, Azali Assoumani, son ami, en vain. Il est même passé par un ami commun, l’ancien ministre de l’Agriculture et porte-parole du gouvernement, Houmed Msaïdié, mais Azali Assoumani refuse toujours de le recevoir.
Pendant la conférence de presse, il a fait appel au chef de l’État pour qu’il libère son fils afin de l’accompagner pour des soins dont il a lui-même besoin et qu’il ne peut aller faire, seul, à l’extérieur. Il a prié avec une grande émotion, « son ami », « son frère », Azali Assoumani, de libérer son fils. Le chef de l’État entendra-t-il les supplications de ce vieil homme ? Rien n’est moins sûr tellement Azali Assoumani semble vouer maintenant à Achmet Saïd Mohamed autant de haine qu’il voue à Ahmed Sambi.
La mère d’Achmet Saïd Mohamed a fait appel à la Première Dame, Ambari Darouèche. Elle a tenu à s’adresser à elle de femme à femme. Elle a fait appel à son humanité, humanité d’une femme qui a porté un enfant neuf mois dans le ventre, qui a souffert pour lui donner la vie, afin qu’elle comprenne sa souffrance de voir son enfant malade et en prison. Elle lui demande d’intercéder auprès du chef de l’État afin que son fils puisse sortir de prison et aller se soigner.
À sa souffrance s’ajoute le fait qu’elle avait demandé à son fils de ne pas revenir au pays, car elle avait peur qu’il ne soit injustement accusé et qu’on ne lui prête des paroles qu’il n’aurait pas prononcées. Mais, Achmet Saïd Mohamed a cru sincère un communiqué du ministère de l’Intérieur qui appelait tous les opposants en exil à rentrer, en leur assurant qu’aucune poursuite ne serait engagée contre eux.
L’oncle de l’homme politique, contrairement à sa sœur, assume le fait d’avoir encouragé son neveu à revenir au pays. Pour lui, sa science devait servir à tous les jeunes comoriens et aux Comores. Achmet Saïd Mohamed travaillait à l’Université des Comores. Il était très apprécié de ses collègues et de ses étudiants. Alors que l’universitaire était en passe de remporter les élections du président de l’Université en mai 2018, le chef de l’État avait annulé de manière définitive le deuxième tour. C’est probablement l’action qui a poussé Achmet Saïd Mohamed à s’engager en politique pour lutter contre l’arbitraire du pouvoir en place, qui un mois auparavant avait suspendu la Cour constitutionnelle par un simple décret et quelques jours après a fait arrêter l’ancien président Mohaped Sambi par une simple note du secrétaire général du ministère de l’Intérieur.
Par cette conférence de presse, Me Djamal el-dine Bacar s’est encore montré très courageux dans un pays où les avocats refusent le plus souvent de « politiser » une affaire politique et préfèrent la discrétion de négociations avec les juges et le gouvernement au lieu de dénoncer les entorses aux procédures et aux lois. Malheureusement, pour tous les prisonniers politiques, cette stratégie a toujours échoué, et tous ceux qui ont été libérés, c’est par la seule volonté du chef de l’État Azali Assoumani, qui a préalablement exigé que des proches se portent garants pour l’opposant et que ce dernier demande pardon et la grâce présidentielle.
Avec cette grève de la faim, Achmet Saïd Mohamed entend donner un tournant à sa défense, mais aussi à sa lutte pour l’établissement d’un État de droit aux Comores. Malheureusement, la privation de nourriture risque aussi d’aggraver rapidement son état de santé.
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- « Détention d’Achmet Saïd Mohamed. Une sœur témoigne » (MiB, Masiwa n°470, 11/03/2024)
- « Achmet Saïd Mohamed. Dans les mâchoires de la dictature » (MiB, Masiwa n°465, 05/02/2024)
- « Interview Achmet Saïd Mohamed, militant du parti HURY » (MiB, Masiwa n°444, 04/09/2023 »
- « Achmet exige le respect du code électoral » (Rafick, Masiwa n°–, 13/03/2019)