Après avoir longuement observé l’évolution de la scène politique comorienne, il m’est apparu nécessaire d’apporter une réflexion personnelle sur une situation complexe, dont l’issue, si elle n’est pas traitée avec discernement, pourrait entraîner des conséquences regrettables.
Par HOUDAIDJY SAID ALI, Juriste Publiciste et Internationaliste, Paris-France
La récente déclaration de l’ancien ministre des Sports, Djaffar Salim Allaoui, suggérant de façon plus ou moins explicite qu’Ahmed Abdallah Mohamed Sambi pourrait demander la grâce présidentielle, a provoqué une vive polémique. Relayée par les médias nationaux, cette prise de position a suscité de nombreuses réactions : juristes, figures politiques et avocats de Sambi s’y sont opposés, soulignant qu’un tel acte équivaudrait à une reconnaissance implicite de culpabilité. Pour ses proches, cette hypothèse est inconcevable. Ils dénoncent un procès politique entaché d’irrégularités majeures et affirment que le refus de solliciter la grâce vise à préserver l’honneur de l’ancien président.

Mais cette posture est-elle le fruit d’une véritable réflexion morale ou relève-t-elle plutôt d’un positionnement politique teinté de populisme ? La question mérite d’être posée. Car au-delà des principes, il y a une réalité humaine qu’on ne saurait ignorer : l’état de santé de Sambi s’est dégradé au fil des ans. Dans un pays où le système de santé reste fragile, cela soulève une inquiétude légitime.
Incarcéré depuis 2018, et jugé en 2022 par la Cour de sûreté de l’État, Sambi n’a guère de perspectives judiciaires. Sa condition physique exige des soins adéquats, impossibles à prodiguer dans les conditions actuelles. Dès lors, refuser la grâce présidentielle a-t-il encore un sens si la vie elle-même est en jeu ? Ce refus traduit-il une élévation morale, ou n’est-ce qu’une posture rigide et contre-productive ?
La grâce présidentielle constitue aujourd’hui le moyen le plus direct pour permettre à Sambi de recouvrer la liberté, de retrouver ses proches et de recevoir les soins dont il a besoin. Bien entendu, elle implique un renoncement : elle ne blanchit pas son casier judiciaire et peut le disqualifier politiquement. En revanche, une amnistie – qui relève du Parlement – effacerait l’infraction et ses conséquences juridiques, réhabilitant ainsi pleinement son statut. Mais cette option, dans le contexte actuel d’une assemblée largement acquise au pouvoir, semble illusoire.
Cela soulève un dilemme de fond. Sambi privilégie-t-il l’image d’un homme debout, fidèle à ses principes, au prix de sa santé et de sa liberté ? Ou préfère-t-il saisir une opportunité de sortie, quitte à endosser une forme d’aveu ? Ce choix n’est ni simple ni anodin.
À cet égard, le procès de 2022 mérite qu’on s’y attarde. De nombreuses irrégularités procédurales ont été relevées, suscitant des interrogations légitimes sur la qualité et l’indépendance de la justice rendue. Une institution judiciaire digne de ce nom doit reposer sur l’impartialité, la rigueur et l’autonomie, loin de toute influence politique. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que Sambi continue de clamer son innocence et refuse de se soumettre à ce qu’il perçoit comme une vérité imposée. Son attitude, motivée par une volonté apparente de défendre son honneur, s’inscrit dans une logique de contestation du procès dont il fut l’objet.
Je garde en mémoire cette scène marquante du procès : Sambi, s’adressant aux juges, exigea qu’on lui présente les preuves des faits qui lui étaient reprochés. Cette démarche, perçue comme une affirmation de dignité par ses soutiens, révèle la complexité de sa position. Pourtant, même si la grâce présidentielle lui était accordée – de manière spontanée ou à titre symbolique par le président en exercice – elle ne ferait que suspendre l’exécution de la peine, sans effacer la condamnation. Elle laisserait intacte la trace de la culpabilité, ce que d’aucuns considèrent comme insuffisant pour rétablir son honneur aux yeux de l’opinion.
L’amnistie, plus complète juridiquement, reste néanmoins incertaine politiquement. Elle offre une réhabilitation, mais pas nécessairement la reconnaissance morale espérée. Dans une affaire aussi politisée, ni la grâce ni l’amnistie ne peuvent combler le vide laissé par un véritable procès équitable. Le peuple, dans son intime conviction, reste seul juge de l’honneur d’un homme. Et l’Histoire a parfois plus de mémoire que les institutions.
La réalité est implacable : Sambi est aujourd’hui juridiquement à l’impasse. Ses recours sont épuisés. La grâce et l’amnistie demeurent ses seules voies de sortie, que ce soit dans l’immédiat ou sous un autre régime. Pourtant, s’il aspire à laver son honneur, aucune de ces deux options ne suffira. Car la vertu ne se décrète pas par décret ; elle s’éprouve dans la clarté d’un jugement juste.
Et c’est là que réside le cœur du dilemme. Refuser la grâce serait-il une manière de s’accrocher à cette quête d’innocence ? Peut-être. Mais s’il venait à accepter une amnistie dans l’optique de redevenir éligible, alors il serait légitime de s’interroger sur ses véritables intentions. La politique, même dans ses retranchements les plus personnels, n’est jamais exempte de calcul.
Quoi qu’il en soit, la santé ne saurait être sacrifiée sur l’autel d’un honneur abstrait. Les proches de Sambi devraient réfléchir posément à cette alternative. L’amnistie, longue et incertaine, semble hors de portée. La grâce, elle, dépend d’une seule volonté – celle du président Azali Assoumani – et pourrait être accordée à l’occasion d’un événement symbolique, comme le cinquantenaire de l’indépendance.
Cependant, encore faut-il que Sambi accepte cette main tendue. Il peut aussi la refuser, pour des raisons éthiques ou politiques. Mais cela ne changera rien au fait qu’il n’est plus en position de force. La sagesse recommanderait, sinon une requête directe, du moins une ouverture au dialogue.
L’expérience nous enseigne que la politique ne se gouverne ni par les émotions ni par les symboles. Elle obéit à des logiques souvent éloignées des principes. L’obstination à incarner une posture morale peut parfois virer à l’aveuglement. Le cas du Sénégal en est une illustration : Ousmane Sonko et Diomaye Faye, après des poursuites judiciaires, ont bénéficié d’une amnistie qui leur a permis de revenir en force et de remporter les élections de 2024. Libres, ils ont pu poursuivre leur combat politique avec une nouvelle légitimité.
Cet exemple montre qu’on ne peut exercer d’influence depuis une cellule. La liberté est le préalable de toute ambition. Si Sambi veut rejouer un rôle politique, il lui faudra des concessions. Peut-être devra-t-il patienter jusqu’après 2030 pour une réhabilitation. Mais d’ici là, il doit préserver sa santé. Rien n’est plus essentiel.
Le choix lui appartient. La grâce peut être demandée, mais elle peut aussi être offerte spontanément. L’essentiel est de comprendre qu’aucun calcul politique ne doit primer sur la vie. L’histoire regorge de figures âgées ayant marqué la politique bien après l’âge mûr. Rien ne l’empêche de revenir fort de son expérience.
Préférer la mort au nom d’un prétendu honneur, dans des conditions où aucune perspective n’existe, n’a rien de noble. Ce n’est ni du courage ni de la vertu, mais une forme de folie guidée par l’orgueil. Certains évoquent Socrate, mais je n’y vois que le miroir d’un entêtement tragique. Là où certains perçoivent la dignité, je vois une fierté aveuglante.
Dans cette tragédie, ce qui m’attriste le plus, c’est la cruauté de ceux qui, autour de ces hommes, instrumentalisent leur sort pour briller sur la scène politique. Comme Socrate, Sambi risque de se croire au-dessus des lois, et c’est ce qui pourrait le perdre. Il faut, en toute situation, chercher une issue, prier et espérer la clarté. Car même dans la pire obscurité, la lumière existe encore.