Aux Comores, la pauvreté est omniprésente. Pourtant, la nature y est d’une générosité inestimable. Malgré sa petite taille, le pays regorge de ressources souvent sous-exploitées. Dans quelques semaines, débute la saison du girofle.
Par Naenmati Ibrahim
Aux Comores, les saisons, qu’elles soient humides ou sèches, ont toujours quelque chose à offrir : des fruits, des légumes, du poisson. Ici, la sécheresse absolue n’existe pas. La terre, fidèle et nourricière, ne laisse jamais totalement les gens sans ressources.

Mais une saison en particulier fait battre les cœurs, surtout dans les zones rurales : celle du girofle et dans quelques semaines la récolte commence.
Une bénédiction annuelle pour les familles rurales
Chaque année, lorsque les collines et les vallées se couvrent de l’odeur épicée des clous de girofle fraîchement cueillis, un espoir renaît dans les villages d’Anjouan et de Mohéli. Cette récolte, bien plus qu’un cycle agricole, est un événement économique, social et même émotionnel. Le girofle transforme les villages. Il réunit, il insuffle un vent de dignité et de fierté dans des foyers trop souvent accablés par la misère.
C’est l’une des rares périodes où les familles rurales peuvent espérer un revenu significatif. Même si cette manne ne vient qu’une fois l’an, elle change temporairement la vie de beaucoup. Tout le monde participe : les plus jeunes grimpent dans les arbres, d’autres ramassent les bourgeons, séparent les pédoncules, les font sécher. Rien n’est jeté, chaque élément a une valeur. Même les pédoncules, séchés à part, trouvent preneur.
Un revenu rare, mais vital
Pour les enfants, c’est souvent leur premier contact avec l’économie locale. Certains achètent des beignets ou des sandwichs, d’autres économisent pour un ballon, un maillot ou un vélo.
Les adultes, eux, voient plus grand. Avec l’argent du girofle, on construit, on rénove, on finance un mariage, on paie des soins médicaux, ou on offre à un enfant un billet d’avion vers un avenir meilleur. Parfois, les gains sont gardés précieusement pour l’éducation. Manger à sa faim n’est même pas toujours prioritaire. On pense d’abord à l’école, à la santé, à demain.
La saison du girofle, c’est aussi une ambiance. Une effervescence. Les marchés s’animent, les rues s’emplissent de petits vendeurs. On y trouve grillades, jus frais, sorbets, tissus neufs. Les jeunes s’achètent des téléphones, des motos. L’économie informelle bat son plein.
Une effervescence sociale
Cette période coïncide souvent avec la saison des ambrevades (pois d’angole) qui permettent aux familles de les cuisiner avec ce que leur offrent leurs champs : manioc, banane, noix de coco… Grâce à cela, elles peuvent se nourrir sans entamer les recettes du girofle.
Dans les cours, sous les arbres ou dans les rues, les familles se réunissent pour trier les clous de girofle ou écosser les ambrevades. On y parle, on rit, on se dispute parfois pour une place au soleil où faire sécher sa récolte. Mais tout cela participe à la richesse de cette saison : une convivialité vibrante, une solidarité palpable.
Une injustice persistante
Mais derrière cette richesse saisonnière se cache une profonde injustice. Chaque année, les producteurs voient les prix du girofle fixés à leur désavantage. Les acheteurs, souvent en lien avec des intérêts extérieurs, cherchent à maximiser leurs profits. Et les producteurs, eux, n’ont ni pouvoir économique ni poids politique pour exiger mieux.
Ils mériteraient pourtant un prix juste. Car ce sont eux, avec leurs mains calleuses, qui tiennent l’économie de cette saison. Ce sont eux qui permettent aux clous de girofle comoriens d’exister sur les marchés internationaux.
Le girofle est leur or brun. Un trésor qui devrait leur permettre de vivre dignement, pas de survivre dans l’ombre des spéculateurs.
Un symbole à préserver
Le girofle est plus qu’une culture : c’est une leçon de vie. Il rappelle que même dans la pauvreté, les Comores regorgent de richesses humaines, sociales, culturelles. La dignité ici ne s’achète pas : elle se cultive, elle se transmet, elle se récolte.
Mais ce miracle reste fragile. Il dépend du climat, du marché, et surtout, du respect qu’accordent nos dirigeants à ceux qui cultivent la terre.
Tant que le girofle fera fleurir les sourires dans les villages, il restera l’un des plus beaux symboles de l’espoir comorien.