Notre système traditionnel, avec ses coutumes, son éducation communautaire, ses maîtres coraniques, ses valeurs de respect et de foi, formait des générations entières de personnes dignes, responsables et profondément humaines.
Par Mohamed Issihaka
J’ai choisi ce thème pour exprimer mon mécontentement et ma profonde déception face à l’époque troublante que nous traversons. Chaque jour, je me pose la même question : où va le monde ? Cette interrogation naît du décalage que j’observe entre les valeurs sur lesquelles nous avons été élevés et les comportements que nous voyons aujourd’hui dans notre société, notamment au sein de la communauté comorienne à laquelle j’appartiens.

Notre société comorienne repose depuis toujours sur des mœurs, des coutumes et des principes de solidarité. C’est dans ces fondements que se construisait l’identité de chaque individu. À travers eux, la communauté avançait dans le respect mutuel, la cohésion et la responsabilité partagée. Autrefois, dans nos villages, l’éducation des enfants n’était pas seulement l’affaire des parents. Toute la société y participait. L’expression bien connue « mwana tsi wa mdzima » — « l’enfant appartient à tout le monde » — traduisait cette réalité.
Les fautes n’étaient pas tolérées, et les sanctions étaient là pour corriger, non pour humilier, mais pour former. Les enseignants coraniques, les anciens du village, les voisins, tous avaient le droit et le devoir d’éduquer. Il y avait une rigueur, certes, parfois des châtiments physiques, mais toujours avec l’objectif de forger des êtres respectueux, responsables et enracinés dans leur foi.
Je me rappelle encore des années 1987 à 1990. C’était une époque où toutes les disciplines étaient réunies pour que les enfants apprennent à lire le Coran, à comprendre les obligations religieuses et à intégrer les valeurs morales essentielles avant même l’âge de 15 ans. Ce système d’apprentissage encadrait l’enfant dans son développement spirituel, intellectuel et social. La religion n’était pas un simple décor, mais une boussole de vie.
Mais aujourd’hui, qu’en reste-t-il ? Le respect se perd. La communauté semble impuissante. La technologie, et notamment internet, a envahi notre quotidien. Si ces outils sont puissants, ils ne sont pas neutres. Mal utilisés, ils deviennent un lieu d’insultes, de mépris, de dérives. On y voit des jeunes se disputer, se moquer les uns des autres, exposer leur vie privée sans pudeur, et suivre des modèles qui n’incarnent ni sagesse ni vérité.
Les jeunes apprennent aujourd’hui à travers les écrans. Ils choisissent leurs sources selon leurs goûts, non selon la fiabilité. Ils ignorent souvent l’importance du savoir structuré, de la recherche sérieuse, de l’effort intellectuel. Le savoir est devenu instantané, parfois vide, sans profondeur. Et cela se ressent dans leur comportement, leur langage, leur rapport à la religion et à la culture.
Même la langue comorienne, notre langue maternelle, est peu à peu négligée. Elle est pourtant la mémoire de notre peuple, le miroir de notre histoire. Nous sommes arrivés à un moment où parler correctement le shikomori ne suscite plus de fierté. Au contraire, certains préfèrent y glisser des mots français à chaque phrase, comme si cela rendait leur discours plus valorisant. Cette confusion linguistique reflète une forme d’insécurité culturelle, une perte de confiance dans notre propre patrimoine. Pourtant, une langue ne se mélange pas sans se fragiliser. L’abandonner, c’est aussi abandonner une part de nous-mêmes. Une société qui renie sa langue renie aussi sa dignité.
Alors, où va le monde ? Allons-nous continuer à laisser les choses se dégrader sous prétexte que les temps changent ? Où allons-nous faire un retour sincère vers nos fondations, vers cette assise ancienne qui, malgré ses imperfections, avait le mérite de nous construire solidement ?
Car il faut le reconnaître : notre système traditionnel, avec ses coutumes, son éducation communautaire, ses maîtres coraniques, ses valeurs de respect et de foi, formait des générations entières de personnes dignes, responsables et profondément humaines. Il nous offrait un cadre, une stabilité, une direction. Ce n’est pas un retour en arrière que nous devons viser, mais un enracinement. Pour mieux avancer, il faut savoir d’où l’on vient, car rien n’est préférable pour une société que la reconnaissance de ses racines. Il est vrai que la technologie introduit le progrès, qui s’accompagne d’un changement des mentalités, mais nous ne devons pas oublier que tout cela n’est pas sans conséquences. Car tout progrès mal maîtrisé peut engendrer de nouveaux soucis pour notre société.