Parfois, j’ai envie de tout casser. Le mot peut choquer, alors je préfère dire : parfois, j’aimerais hausser le ton, placer la barre plus haut, dire les choses telles qu’elles sont. L’essentiel, c’est que ce soit vrai, que ce soit une réalité, un sujet d’actualité ou même une urgence sociale. Dans ces cas-là, je me sens légitime et volontaire pour m’approprier la situation. C’est peut-être mon cas aujourd’hui : j’ai envie de dénoncer, d’oser, de cibler un certain groupe de personnes. Mais je le fais sans méchanceté, plutôt avec dignité.
Par Kamar-Eddine BEN ABDALLAH, (Animateur culturel – comédien)
Ne touchez pas à ma culture.

Ne touchez pas à ma religion.
Ne touchez pas à mon chez-moi.
C’est une question de fierté. Nous avons des principes à défendre, coûte que coûte. Se connaître et se différencier des autres est essentiel. Nous sommes tous des êtres humains, différents, issus de divers pays et continents, proches ou lointains. Mais, quelles que soient nos distances ou nos différences, nous sommes appelés à vivre ensemble, à nous croiser, à partager.
Pas pour être déracinés.
Pas pour s’imposer.
Pas pour dominer.
Mais plutôt pour s’ouvrir au monde et profiter de la richesse des autres cultures. Car chaque culture est précieuse et mérite respect et honneur. S’affirmer, se valoriser, être fier de soi-même passe par sa culture, ses racines, ses habitudes, sa religion. Voilà ce qu’on appelle l’identité culturelle, et elle n’a pas de prix.
Pourtant, aujourd’hui, certains – ce petit groupe que je vise ici – ont mal compris et mal interprété cette ouverture. Vous en êtes témoins : il y a toujours ceux qui se croient plus intelligents, plus ouverts, plus civilisés, plus modernes… Ceux qui, pour paraître « branchés », n’arrêtent pas d’insérer des mots étrangers dans leurs phrases, qui se réfèrent sans cesse à d’autres cultures pour se donner une image. Ce n’est pas interdit, ni mauvais en soi, mais à condition de respecter son contexte, son environnement, de savoir quand et comment les utiliser. Mais surtout avec une bonne intention. Il faut être conscient que faire appel à une autre culture est possible, au nom de la diversité, de l’universalisation et de la mondialisation culturelles. Pas parce que l’autre culture est plus puissante, meilleure que les autres ou plus méritante. Ça n’existe nulle part.
En ma qualité d’animateur culturel et d’expert en développement culturel et artistique, je le dis clairement : il n’existe pas de petite culture. Chaque culture est bonne et appréciée, et/ou appréciable. Pour être précis : la culture n’a pas de frontières. Il est logique de voyager, mais il faut toujours garder à l’esprit que cela vient d’autres horizons. D’où cette conviction : ma culture prime et doit primer chez moi. D’ailleurs, c’est un devoir pour chaque citoyen de prouver sa fierté envers sa culture.
Raison de plus : si toutes ces idées pouvaient être exprimées en comorien (shikomori), ce serait encore mieux. Consommons local. Comme le font les Anglais, les Français, les Chinois, les Russes. Une petite anecdote : je rêve de voir un jour une célébrité, sur un plateau télévisé, glisser quelques mots de notre langue, le shikomori. Je vais vous citer ici l’un des grands linguistes comoriens, le Docteur Abdou Djohar, qui nous a laissé cette phrase mémorable : « Shikomori shangu shangu ». Ce slogan résonne encore aujourd’hui comme un appel à la fierté et à la responsabilité de parler notre langue. Mais ce jour, je l’attends encore impatiemment. Ou bien ne veulent-ils pas ? Soit ils ignorent catégoriquement notre langue, soit ils privilégient la leur, soit peut-être qu’ils ne donnent pas une grande importance à la nôtre.
Pourtant, il existe encore un petit groupe de personnes qui croient qu’imiter les autres, c’est être moderne, que c’est ça, la vraie classe. Or, nous avons aussi nos auteurs, nos philosophes, nos autodidactes, bref, nous avons nos ressources dans beaucoup de domaines. Pour commencer, valorisons-nous nous-mêmes avant d’aller ailleurs. Faites comme moi, comme certains parmi nous – mais, hélas, nous sommes encore très peu nombreux. Nos enfants naissent ici : qu’ils parlent le shikomori ! Qu’on mange ensemble dans la grande assiette (sinia) ! Qu’on joue à la comorienne, souvent, très souvent ! Oui, parlez de Tintin, de Spiderman, mais aussi de M’na Madi, Ibuna Swiya, Koko Shetwani, Dimkuu… Il est temps. C’est une urgence, je dirais. J’ai envie de vivre ça !
Jouons à Mdri Kiki-Ndri, à Nunda-Nunda… Permettez-moi de remercier publiquement ici notre soprano, qui nous rend tous fiers. L’un des rares artistes comoriens à garder dans son esprit cette conviction : je peux être célèbre et, en même temps, ne pas renier mon identité. Je vais dire : ma « comorianité ». Lui, c’est un exemple. J’ai entendu de mes propres oreilles et j’ai vu à la télévision : il parlait de ses souvenirs d’enfance et n’a pas oublié de glisser, de chanter ce refrain enfantin « Nunda Nunda ». Waouh ! J’ai eu des frissons.
Pour ma part, je m’efforce de m’adapter en restant fidèle à ma culture. Je commence par la langue : je cherche et je trouve les mots nécessaires, je prends plaisir à construire des phrases en comorien (shikomori). Dans mes expressions, je m’efforce de rester cohérent, même si ce n’est pas facile. Mais la détermination et l’engagement à se sentir comorien, à valoriser notre identité, ont un vrai sens. C’est un combat pour la vie.
Notre société est riche de beaucoup de choses. Soyons-en fiers. Nous avons des valeurs à défendre, prouvons-le. Aujourd’hui, dans nos cérémonies, on ne sent plus toujours la comorianité authentique. Nos danses et nos musiques sont peu à peu déformées. Retournons à la source : la chorégraphie doit rester comorienne, la mode vestimentaire aussi.
Pourquoi un Comorien imite-t-il si facilement les autres ? Pourquoi triche-t-il avec sa propre culture ? Depuis nos relations avec les Africains et les Européens, je n’ai jamais vu un président de ces continents porter un boubou comorien, un nkandu ya lassi ou une autre tenue traditionnelle. Pourquoi pas eux, mais toujours nous qui imitons ?
Le respect doit être mutuel. L’appréciation doit venir des deux côtés. Notre culture mérite le respect des autres. Nous avons besoin d’un retour, d’un échange, d’une grande – mais vraiment d’une grande reconnaissance !















