Il est indéniable que l’Union des Comores a encore beaucoup de progrès à faire, mais il est essentiel que la population ne cherche pas à imposer ses décisions au gouvernement. Cette situation entraîne une insécurité manifeste dans le pays. Certes, certains actes criminels sont impardonnables, mais il est crucial de respecter les procédures légales. Il est impératif d’éviter les anathèmes, car nous connaissons les conséquences dramatiques qu’ils peuvent engendrer. Bien que ces individus aient commis des crimes, cela ne justifie en aucun cas des actes barbares de la part de la société.
Actuellement, le présumé coupable du meurtre d’une jeune femme fait l’objet d’un soulèvement populaire. Les notables semblent souhaiter son exécution, soit par la peine de mort inscrite dans le Code pénal, soit en suivant les principes religieux. Il est évident que des mesures doivent être prises pour lutter contre la criminalité et restaurer la stabilité du pays, mais la question se pose : la peine de mort est-elle une solution efficace ? L’exécution d’un individu peut-elle réellement dissuader d’autres actes criminels ? La réponse est non, car cela ne correspond pas aux principes d’un État démocratique respectueux de l’état de droit.
Il y a des éléments qui me choquent. À ce stade, l’individu est toujours présumé innocent ; il est prématuré de le qualifier de criminel, d’autant plus qu’aucun jugement n’a encore été rendu. Pourtant, sur les réseaux sociaux et dans les conversations quotidiennes, il est déjà considéré comme coupable, et beaucoup exigent son exécution. Bien que la visite des habitants des villes et villages auprès de la famille de la victime soit une marque de solidarité humaine, elle n’a pas manqué de véhiculer cette volonté d’exécution. Une influence religieuse se fait entendre, affirmant que « celui qui tue doit être tué ».

Je peine à comprendre comment certaines personnes peuvent adopter de tels comportements, et comment les juristes restent silencieux face à cette situation. Il existe une grande différence entre se dire juriste et l’être véritablement. Se réclamer juriste ne fait pas de soi un défenseur de l’État de droit, ce qui est évident dans cette affaire. Comme quoi, il y a une différence entre jouer les juristes et être véritablement juriste, ce qui est très clair, car se dire juriste est une chose, et l’être en est une autre.
La violation de la présomption d’innocence
La présomption d’innocence a été gravement violée dans ce cas. Il appartient au plaignant de fournir des preuves de la culpabilité de l’accusé, qui doit bénéficier d’un procès équitable, des moyens de se défendre efficacement et du respect de son honneur. À aucun moment, l’accusé n’a bénéficié de cette présomption, un principe fondamental inscrit dans l’article 9 de la DDHC1 : “Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable.” Ce droit est également garanti par l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et par l’article 14-2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) de 1966.
Or, à ce jour, aucun procès n’a eu lieu et la peine de mort est évoquée sous la pression de certaines élites locales. Bien que la peine de mort soit toujours inscrite dans le Code pénal, il est paradoxal que l’on cherche à faire de ce cas une exception, alors que des condamnés, sans être exécutés, purgent des peines en prison. Ce contexte montre l’influence excessive des grandes villes sur le gouvernement, compromettant son indépendance. Cette pression est d’autant plus alarmante lorsque l’on considère que, depuis la fin du 20e siècle, les Comores n’ont pas exécuté de peines capitales.
La peine de mort ne constitue ni une solution ni une dissuasion efficace. Elle est même une violation des valeurs humaines, et son abolition a été le choix de nombreux États, conscients de l’irréversibilité des erreurs judiciaires. Si l’accusé était exécuté et qu’une erreur judiciaire était ensuite découverte, quel prétexte pourrait justifier une telle injustice ? En outre, des études ont démontré que l’application de la peine capitale n’a pas réduit de manière significative les taux de criminalité dans les pays qui l’ont pratiquée, et qu’une certitude de condamnation est bien plus dissuasive que la sévérité de la peine.
L’abolition de la peine de mort est également un signe d’une société démocratique, mais la population comorienne semble encore attachée à des pratiques traditionnelles, ignorantes des principes fondamentaux du droit et de la politique. C’est souvent la pression des notables qui influence les décisions de l’État, comme le montre l’exemple de l’ancien président Ali Soilihi. Pour gouverner de manière juste, l’État doit prendre des décisions en toute indépendance, dans le respect des droits humains.
Le procureur de la République, en tant que magistrat du parquet, est responsable des poursuites, mais il ne doit en aucun cas présumer de la culpabilité de l’accusé tant que celui-ci n’a pas été jugé coupable. Les Comoriens doivent comprendre que la présomption d’innocence est une règle fondamentale du droit, et qu’aucune condamnation ne peut être prononcée sans un procès équitable. Il est essentiel d’éviter les condamnations arbitraires, comme le stipule le principe « nullum crimen, nulla poena sine lege »2.
La place de l’autorité religieuse dans la justice comorienne
Il est important de rappeler au Muftorat qu’il exerce une autorité religieuse consultative. Bien qu’il soit nommé par décret présidentiel, cela ne le place pas au sein du gouvernement. Son rôle est d’être un guide spirituel pour la nation, sans que ses paroles aient force légale. Il n’a ni l’autorité du président qui l’a nommé ni celle du ministre de la Justice. Ses avis n’ont pas de valeur contraignante. La décision finale revient au gouvernement3.
Pour éviter tout conflit de compétences à l’avenir, il est essentiel de clarifier les prérogatives du Muftorat, notamment dans ses prises de position, afin qu’il n’y ait pas de confusion entre religion et droit. En effet, bien que la religion soit un élément fondamental de la culture comorienne, elle ne doit pas interférer avec les domaines politique, juridique ou diplomatique.
Le Muftorat ne doit pas se mêler des affaires judiciaires. La justice doit pouvoir rendre des procès équitables et garantir les droits des accusés, indépendamment des considérations religieuses. À cet égard, il est crucial de limiter les interventions religieuses aux questions comme le mariage religieux et coutumier, tout en respectant le cadre juridique.
Cela répond également à l’opinion de Maître Ibrahim Mzimba, qui défend la peine de mort. Pour ma part, je prône une justice équitable : des peines doivent être prononcées si la culpabilité est prouvée, mais l’exécution ne doit pas être systématique. Il existe des principes fondamentaux de respect des droits humains que je m’engage à défendre.
HOUDAIDJY SAID ALI, Juriste publiciste et internationaliste, Paris – France
Notes de la Rédaction :
1. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est encore valable en France. Elle n’a aucune valeur juridique aux Comores.
2. En français : « Aucun crime, aucune peine, sans loi », cela veut dire qu’on ne peut pas condamner ou assigner une peine si le crime n’a pas été établi et défini par la loi. Il ne s’agit donc pas ici de la présomption d’innocence, mais de la légalité des peines que prononcent les juges. En l’occurrence, le juge comorien pourra prononcer une peine de mort, vu que celle-ci est bien définie dans la loi du pays.
3. S’agissant de la peine qui doit être appliquée, et en tenant compte du principe de la séparation des pouvoirs, le gouvernement, le ministre de la Justice ou le Président, de la même façon que le Mufti, n’ont rien à dire, du moins dans un pays démocratique et appliquant strictement ses lois. Il appartient aux juges de juger et non au gouvernement ou au chef de l’État.