Au Proche-Orient, alors que de nombreux États arabes nourrissaient autrefois une volonté affirmée de détruire l’État d’Israël, certains d’entre eux ont fini par emprunter la voie diplomatique, amorçant un processus de normalisation des relations. Les événements du 7 octobre ont brutalement ravivé les tensions.
Par HOUDAIDJY SAID ALI. Juriste Publiciste et Internationaliste, Paris-France
Parmi ces initiatives historiques, on peut citer les accords de Camp David signés en 1979 entre l’Égypte d’Anouar el-Sadate et Israël sous Menahem Begin. Plus récemment, en 2020, les accords d’Abraham ont marqué un tournant symbolique, avec les Émirats arabes unis, devenant le premier pays du Golfe à normaliser ses relations avec Israël, sous l’impulsion de l’administration Trump. Le même jour, Bahreïn a suivi cet exemple, bientôt rejoint par le Soudan et le Maroc.

Cependant, les événements du 7 octobre ont brutalement ravivé les tensions régionales et remettent en question l’avenir de cette dynamique de paix.
Depuis 2023, Israël mène une offensive militaire d’une ampleur inédite sur la bande de Gaza. Cette action, souvent qualifiée de génocidaire par divers observateurs, a provoqué une indignation généralisée, notamment dans le monde arabe. D’après les données des Nations unies et des autorités sanitaires locales, plus de 55 000 civils, majoritairement des femmes et des enfants, ont été tués. Dès janvier 2024, l’ONU alertait déjà sur un bilan dépassant les 23 000 morts, des déplacements massifs touchant 85 % de la population, et la quasi-inexistence d’infrastructures médicales encore opérationnelles. Face à cette catastrophe humanitaire, l’absence de réaction ferme des puissances occidentales et l’inaction du droit international ont nourri une colère profonde et persistante.
Dans les discours occidentaux dominants, Israël est souvent présenté comme ayant le droit légitime de se défendre, un principe en soi défendable. Toutefois, il est crucial de rappeler que ce droit ne saurait justifier des frappes sur des hôpitaux, des écoles ou des zones densément peuplées par des civils. Les frappes israéliennes à Gaza ne relèvent pas d’une simple riposte militaire, mais s’apparentent à des violations graves du droit international.
Dans un rapport publié en juin 2024, la Commission d’enquête indépendante de l’ONU a estimé que l’ampleur des tueries pouvait constituer des crimes contre l’humanité, notamment en raison de frappes intentionnelles sur des zones densément peuplées, où se réfugiaient des civils. Le Conseil des droits de l’homme a dénoncé une impunité persistante, alimentée par le silence international, qui mine les principes du droit humanitaire et ouvre la voie à une répétition de telles violences. Ce contexte place de facto Israël au-dessus du droit international, une situation moralement et juridiquement intenable.
Depuis le 13 juin, Israël frappe des installations nucléaires iraniennes, entraînant une riposte directe de Téhéran. Mais, certains observateurs semblent nier à l’Iran le droit de répondre à cette agression, comme si Israël devait être perçu éternellement comme une victime, indépendamment de ses propres actions. Cette lecture ignore les responsabilités multiples dans le déclenchement et l’entretien du cycle de violence.
Les frappes iraniennes sur Israël, bien qu’elles puissent être interprétées comme un acte de rétorsion, doivent également être condamnées dans la mesure où elles ont causé des pertes humaines parmi les civils.
L’Iran, l’adversaire que l’Occident n’arrive pas à briser ?
Dans le prolongement de cette dynamique d’escalade, il devient impératif de s’interroger sur les choix politiques et militaires de. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, semble adopter une posture de confrontation permanente qui, à terme, menace directement l’avenir et la sécurité de l’État d’Israël. Multiplier les fronts dans une région aussi instable, en entretenant des tensions avec presque tous ses voisins, revient à isoler Israël sur la scène régionale et à saper toute perspective de paix durable.
L’Iran, de son côté, ne cesse d’affirmer sa souveraineté, notamment par le biais de sa stratégie nucléaire. Pourtant, Israël – qui possède déjà l’arme nucléaire sans être officiellement reconnu comme puissance nucléaire par les traités internationaux – perçoit tout programme atomique régional, et en particulier celui de l’Iran, comme une menace existentielle.
Cette posture à géométrie variable, tolérée sinon soutenue par les États-Unis, contribue à fragiliser encore davantage l’équilibre régional.
L’alignement systématique de Washington sur les intérêts israéliens prive les États-Unis de toute légitimité comme médiateur impartial. Au lieu de jouer un rôle d’apaisement, leur politique extérieure alimente l’instabilité, perpétuant une logique de confrontation où la paix n’apparaît jamais comme une issue prioritaire.
L’administration Trump, en particulier, a adopté une stratégie de pression maximale à l’égard de Téhéran. L’objectif affiché était de contraindre la République islamique à renoncer à son programme nucléaire en échange d’une levée progressive des sanctions économiques. Cette approche, fondée sur l’intimidation et la démonstration de force, s’est traduite par le déploiement de porte-avions et d’une imposante flotte militaire dans le Golfe persique. Toutefois, cette mise en scène militaire ne semblait guère convaincante.
Donald Trump, malgré ses déclarations martiales, n’a finalement rien entrepris de concret. Ses annonces contradictoires, ses départs théâtraux du G7, suivis de silences prolongés ou de délais indéfinis, ont mis en lumière son incapacité à maîtriser pleinement la complexité de la situation. Dans les faits, les États-Unis ont fini par temporiser, confirmant que, sans leur soutien, Israël n’est pas en mesure de mener seul une guerre contre la République islamique. L’ampleur de la riposte iranienne a d’ailleurs surpris Tel-Aviv et ses alliés : elle s’est révélée bien plus structurée et déterminée que les représailles d’acteurs non étatiques tels que le Hamas ou le Hezbollah.
Poursuivre ce cycle de frappes et de contre-frappes serait une impasse stratégique pour Israël. L’Iran, dont la superficie est 75 fois supérieure à celle d’Israël, dispose d’une profondeur géographique et d’une capacité de résilience autrement plus importantes. Dans un conflit prolongé, Israël risquerait de subir des pertes considérables et de voir l’ensemble de son territoire exposé à des frappes massives, ciblant même les zones les plus densément peuplées.
Par ailleurs, il serait dangereux de sous-estimer la maturité stratégique de l’Iran. L’histoire récente lui a inculqué les leçons de ses erreurs passées, et ses dirigeants – en particulier le guide suprême, Ali Khamenei – incarnent une continuité politique que ni les sanctions ni les menaces d’élimination physique n’ont réussi à faire vaciller. La simple évocation, par certains responsables israéliens ou américains, de l’assassinat du guide suprême démontre un état de panique politique et militaire préoccupant, un niveau de radicalisation inédit dans les discours officiels.
Les récents événements ont également mis en lumière la vulnérabilité du « Dôme de fer », longtemps présenté comme un bouclier technologique infaillible. Les frappes iraniennes, en parvenant à le saturer ou à le contourner partiellement, ont fragilisé un symbole majeur de la supériorité militaire israélienne, et entamé le mythe de son invincibilité.
La guerre, un instrument de survie politique
De plus en plus d’éléments laissent penser que le Premier ministre israélien instrumentalise le conflit actuel comme levier de survie politique. Confronté à une contestation intérieure sans précédent, affaibli par une coalition gouvernementale profondément impopulaire et poursuivi par une procédure judiciaire en cours, Benjamin Netanyahou voit dans la guerre une opportunité de se maintenir au pouvoir coûte que coûte.
En Israël, de vastes manifestations dénoncent depuis plusieurs mois sa gestion sécuritaire et son autoritarisme croissant. Dès lors, la poursuite de la guerre lui permet de différer l’échéance politique, de masquer ses échecs et de reporter les débats de fond. Plus le conflit dure, plus il peut justifier sa présence à la tête de l’État en se présentant comme l’homme providentiel chargé de gérer la crise. La guerre devient ainsi non pas un enjeu de sécurité nationale, mais un outil de consolidation personnelle.
Chaque nouveau front semble s’inscrire dans cette logique : après Gaza, ce fut le Hezbollah au Liban, puis les Houthis au Yémen, aujourd’hui l’Iran, et peut-être demain la Turquie ou même l’Algérie. Il s’agit d’une fuite en avant politique, où la multiplication des ennemis extérieurs sert à repousser les échéances internes.
Mais cette tactique atteint ses limites. Netanyahou apparaît de plus en plus isolé, à la fois sur la scène nationale et internationale. Le départ de Benny Gantz du cabinet de guerre en juin 2024 est un signe fort. Cette démission retentissante a mis en lumière l’absence de stratégie claire de sortie de crise, et a révélé les désaccords profonds au sein même de l’appareil d’État. Benny Gantz a dénoncé un Premier ministre davantage préoccupé par sa carrière que par l’avenir de son pays.
En réalité, la politique actuelle menée par Netanyahou ne garantit ni un avenir meilleur pour Israël ni l’édification d’une paix durable. La destruction systématique, les milliers de morts et les traumatismes infligés aux populations civiles en Palestine comme en Israël ne peuvent que nourrir des générations de rancune, de colère et de volonté de revanche.
La solution à deux États, bien que difficile à mettre en œuvre, demeure l’alternative la plus évidente, la plus juste et la plus réaliste. Pourtant, elle n’a jamais suscité l’intérêt de Netanyahou. Car dans sa vision politique, la paix ne constitue pas un objectif en soi : la guerre est devenue sa condition de survie.