« Remettons les faits à leur juste place : Mayotte est française depuis 1841. Ce n’est ni une erreur de l’histoire ni une annexion forcée, mais le fruit d’un acte volontaire… À l’époque où les Comores n’étaient encore qu’un concept en gestation…Rappelons que Mayotte fut la première île de l’archipel, bien avant les autres, à être rattachée à la France via Madagascar sous l’appellation « Madagascar et dépendances ». Elle a été cédée à la France un siècle avant la création de l’État comorien. Mayotte n’a donc jamais été comorienne, ni de jure ni de facto. »
Par Rabouba Jr Al Shahashahani
Il s’agit là d’un extrait d’une tribune libre de Mayotte-Hebdo du 29 avril 2025 rédigée par un certain Abdou-Roihmane. Le titre de l’article est : « Mayotte, la souveraineté française, l’heure du choix ». Je voudrais revenir sur cette tribune, mais il ne s’agit pas pour moi de remettre en question le choix de la majorité des habitants de Maore sur le destin politique du territoire.

L’auteur de cette tribune nous informe sur l’événement du 25 avril 1841, faisant de Maore une Colonie française. « Ce n’est ni une erreur de l’histoire… », dit-il. Oui. L’annexion de l’île n’est pas du tout une erreur, mais un acte préparé depuis des années par le ministère de la Marine et des Colonies depuis la perte de l’île de France, Maurice, en 1814-15. Le centre des opérations se situait sur l’île de Bourbon, aujourd’hui La Réunion. À partir de là-bas, le gouverneur du Territoire envoya un espion.
Le 24 juillet 1819, le Gouverneur Milius envoya Lelieur de Clèves dans le but suivant : « M. Lelieur prendra /des renseignements/ sur les institutions civiles, l’état de la population, la qualité et l’étendue des terres cultivables/ la quantité des eaux/ les forêts / la facilité des communications et des transports// [il] sondera / les Arabes/ ». En outre ces informations permettraient de savoir si le pays, selon ses propres mots, était « fertile » ou « malsain » pour établir des « établissements de culture ». Ainsi Lelieur devait explorer les îles de Maore et de Hinzwani.
Quelques années plus tard, en novembre 1828, le Gouverneur, le Comte de Cheffontaine indiqua au Commandant Prévost de Langristin à Hinzwani : « Anjouan est un pays peu sain, vous n’y resterez que le temps nécessaire pour l’accomplissement de votre mission. Durant ce temps vous étudierez autant que vous le pouvez la situation de cette île, son gouvernement, ses ressources, ses produits, son commerce, en un mot tout ce qui vous paraîtra digne d’attention, afin de me remettre à votre retour un rapport circonstancié qui me mette à portée de bien juger des avantages qui pourraient offrir pour notre colonie (Bourbon) des relations avec les îles sous la domination du sultan d’Anjouan. »
Le deuxième espion envoyé avait les mêmes objectifs que le premier : connaître le terrain avant d’y préparer leur installation. Le premier a rapporté ses informations. Cela a permis au Gouverneur de l’île de Bourbon de connaître l’étendue du pouvoir et de l’influence du sultan de Hinzwani sur les autres îles. Depuis l’événement du Sultanat au sein de notre archipel, les sultans de cette île étaient considérés comme étant le Sultan des îles des Comores. C’était le système en vigueur qui faisait valoir leur unité à travers cette désignation.
Donc la Marine française souhaitait s’installer dans les îles Comores après la perte de l’Île-de-France. Cela a été facilité par un prince mahorais, Cadi Omar fils de Abubakar al Nabhani, qui a appris d’un des ministres de Driantsuly, Wazir Ahmad, que le Sakalava souhaitait exterminer sa famille et lui afin de prendre le contrôle de l’île de Maore. Alors pour se protéger de ce massacre, le Cadi a préféré offrir l’île au Roi de France. Il espérait avoir les mêmes privilèges que ses cousins de Hinzwani, partenaires des Anglais.
Nous observons qu’au départ l’acte était volontaire pour se mettre derrière un puissant empire européen dans le but de sauver la famille royale de Maore de la tuerie prévue par Driantsuly. Cependant, à la mort de celui-ci, le 26 septembre 1845, Cadi Omar souhaitait le départ de Passot & Co. Il s’était allié à un des Sultans de Ngazidja, Fumbavu, pour l’aider à éloigner les colons de Maore. Deux hommes de Fumbavu étaient envoyés sur l’île. Mais, à peine arrivés, ils ont été arrêtés. Cadi Omar fut destitué de son poste de Cadi, des princes maorais ont été massacrés. Cela a causé l’exode en Grande Terre pour certains alors que d’autres prirent les voiles vers Hinzwani, Mwali et Zanzibar.
Au final, l’annexion de Maore fut forcée. Il s’agit d’une colonisation puisque les autochtones souhaitaient le départ des colons qui les maltraitaient déjà avant le décès de Driantsuly. Cela n’était pas une erreur puisque le ministère de la Marine et des Colonies avait planifié leur installation dans l’une des Comores et l’acte volontaire de donner l’île était présent. En revanche il était limité dans le temps.
La prise officielle de Maore fut effectuée le 13 juin 1843 par un arrêté datant du 27 mai 1843. À cette époque l’île faisait partie des dépendances de la colonie de l’île de Bourbon. Le 25 juillet 1912 fut le jour où Maore, colonie française, et les trois autres îles des Comores, Protectorats français, ont été rattachées comme dépendances de Madagascar. Avant cela les quatre îles formaient ce que les Colons avaient appelé « Mayotte et dépendances » qui a duré entre 1886 et 1896, puis elle fut renouvelée de 1899 jusqu’en 1912. De 1946 à 1975, l’archipel était devenu un Territoire d’Outre-Mer nommé par le Gouvernement de l’époque « Territoire des Comores ». Ces deux entités politiques créées par les Gouvernements français avaient comme Chef-Lieu Dzaudzi.
Les pouvoirs étaient centrés sur un lieu géographique de l’archipel, ce qui correspond au concept d’État-nation. Mais les nôtres n’ont pas attendu qu’une puissance étrangère vienne les unir à travers ces deux entités administratives. Les Gouverneurs de Bourbon avaient remarqué, à l’issue des rapports établis par leurs espions, que le sultan de Hinzwani était aussi le chef politique de l’ensemble de l’archipel. Nos Ancêtres avaient, aussi, fondé la lignée maternelle, Inya shoza shua lors du Congrès de Mzalia qui a eu lieu au cours du XIVe siècle. Il a consisté à établir qui devait être Sultan, ministre, Gouverneur, Cadi, etc. Ces deux manières de s’unir sont classées dans le concept de Nation sans État.
En l’occurrence, il n’y a pas besoin de centraliser un lieu pour gérer toutes les affaires de la Nation, mais chacun le fait chez lui et de temps en temps les concernés se réunissent pour faire un état de lieu de leurs régions respectives. C’est ce que faisaient nos aïeux et cela fut rapporté par James Prior au cours de son voyage datant de 1812 lorsqu’il était passé sur l’archipel.
En résumé, nos Anciens avaient formé leur État sans le centraliser. Celui-ci portait le nom de l’Inya shoza shua, un pouvoir de lignage sur une île. Tous les Rois et les Reines de Mwali, Hinzwzni, Maore et ceux des Inya Fwambaya et Matswa Pirusa en faisaient partie. Ainsi Maore faisait partie des institutions de l’époque et n’était pas du tout à part. En d’autres mots, l’île est comorienne par sa géographie et son histoire. En revanche elle est, aussi, française par son statut, évolué au fil des décennies.