Autrefois, dans mon village, l’éducation coranique était le socle de toute instruction. Chaque parent s’efforçait d’envoyer son enfant à l’école coranique dès l’âge de trois ans, afin qu’il apprenne à lire et réciter correctement le Coran.
Par Ali Athoumane
À six ans, l’enfant comorien maîtrisait déjà les bases du Livre saint avant même de commencer l’école moderne. Cette éducation ne se limitait pas à l’apprentissage religieux : elle inculquait aussi des valeurs fondamentales comme le respect, l’humilité et la discipline.

Mais aujourd’hui, la situation s’est inversée. Les écoles coraniques ont disparu ou sont désertées, et les enfants sont directement inscrits dans les écoles modernes. L’apprentissage du Coran est devenu une option secondaire, voire inexistante. Ce changement ne touche pas seulement notre foi, mais aussi l’équilibre social et moral de notre communauté.
L’influence de la modernisation : un bouleversement des priorités
L’évolution du monde est inévitable, et il est naturel que nos sociétés s’adaptent. Mais devons-nous, sous prétexte de modernité, renoncer à ce qui a toujours été notre force ?
L’éducation coranique ne se limite pas à des versets appris par cœur. Elle forge des individus responsables, conscients de leurs devoirs envers Dieu et envers la société. C’est grâce à elle que nos ancêtres ont grandi avec des valeurs solides et un sens profond du bien et du mal.
Aujourd’hui, un paradoxe inquiétant se dessine : alors que nous avons plus de professeurs coraniques qu’autrefois, il n’y a presque plus d’élèves. Ces enseignants se retrouvent sans travail, car de nombreux parents ne jugent plus utile d’inscrire leurs enfants à l’école coranique.
Un vide éducatif qui favorise la dérive des jeunes
L’absence d’écoles coraniques ne cause pas seulement une perte spirituelle, elle crée aussi un vide éducatif qui expose nos enfants à de nouveaux dangers.
Prenons l’exemple des jeunes qui quittent le village pour poursuivre leurs études dans la capitale. Lorsqu’ils rentrent pour les vacances ou après leurs études, ils se retrouvent livrés à eux-mêmes, sans cadre éducatif ni activité constructive.
Autrefois, les écoles coraniques leur offraient une continuité dans l’apprentissage. Elles les maintenaient connectés à leur foi et occupaient leur temps de manière bénéfique. Aujourd’hui, privés de ce repère, beaucoup errent dans les rues, sans encadrement. Ce vide augmente le risque de délinquance, de mauvaises fréquentations et de comportements contraires à nos valeurs.
Nous en voyons déjà les conséquences : dans certains villages, l’oisiveté pousse certains jeunes vers des dérives comme la consommation de substances illicites, la petite délinquance ou encore l’irrespect des aînés. Comment s’en étonner, alors qu’ils n’ont plus de cadre pour leur inculquer les principes du respect et de la discipline ?
L’éducation moderne : un investissement à sens unique
Aujourd’hui, les parents n’hésitent pas à investir des sommes considérables pour offrir à leurs enfants une éducation moderne. Ils paient des frais de scolarité élevés, engagent des enseignants privés et achètent du matériel pédagogique coûteux. Mais lorsqu’il s’agit d’investir dans l’apprentissage du Coran, beaucoup hésitent, voire refusent de dépenser le moindre euro.
Cette réalité soulève une question essentielle : que voulons-nous vraiment transmettre à nos enfants ?
Une éducation purement académique, tournée vers la réussite matérielle ? Ou une éducation équilibrée, qui prépare aussi à la vie spirituelle et morale ?
L’école moderne enseigne des savoirs, certes utiles, mais elle ne façonne pas les âmes. L’éducation coranique, elle, prépare à l’au-delà. C’est une éducation de fin — celle qui nous accompagnera devant Dieu.
Un avenir incertain pour notre foi et nos valeurs
Si cette tendance persiste, quel sera l’avenir de notre village ? Qui enseignera le Coran aux générations futures ? Qui guidera nos enfants vers la foi ? Aurons-nous encore des imams compétents pour mener la prière ? Trouverons-nous des hommes et des femmes capables de dire non à la corruption et aux dérives morales ?
Ce paradoxe est encore plus frappant quand on voit que nous continuons à construire des mosquées… sans nous soucier de savoir si elles seront un jour remplies. Nous rêvons d’époux pieux, respectueux et responsables pour nos filles, mais nous négligeons l’éducation qui formait ces hommes. Nous voulons préserver notre culture et nos traditions, tout en abandonnant ce qui leur donnait vie.
L’éducation coranique face aux défis du temps
Aujourd’hui, dans notre village, les parents n’hésitent pas à imposer des sanctions à ceux qui enfreignent les règles du ada (tradition). Pourtant, ils ne peuvent rien faire, ou presque, contre ceux qui n’envoient pas leurs enfants à l’école coranique ou qui ne s’acquittent pas des frais de scolarité liés à cette éducation.
Autrefois, il n’était pas nécessaire d’imposer des mesures : la volonté d’envoyer les enfants à l’école coranique existait naturellement. Mais avec l’évolution de la société, beaucoup ont oublié leur devoir premier : offrir à leurs enfants une éducation religieuse qui les guidera tout au long de leur vie, avant même de les inscrire dans les écoles modernes.
Je suis convaincu que la solution repose entre les mains des grands notables. Quels que soient les investissements consentis, sans élèves assidus et sans l’engagement des parents, il sera difficile de perpétuer la transmission du savoir comme autrefois.
L’avenir est entre nos mains
Il ne s’agit pas de rejeter l’éducation moderne — elle est indispensable au développement de nos enfants et de notre société. Mais nous devons retrouver un équilibre. L’éducation religieuse ne doit pas être reléguée au second plan. Elle doit coexister avec l’éducation moderne, car elle constitue le fondement de notre identité, de nos valeurs et de notre foi.
Les parents doivent prendre conscience que l’école coranique est bien plus qu’un lieu d’apprentissage religieux. C’est un espace où se forgent le caractère, la discipline et le respect. Si nous laissons cette éducation disparaître, nous perdrons bien plus qu’une tradition : nous perdrons notre essence même, ce qui nous a toujours unis et protégés.