Par Azhar de Youssouf
Le monde assiste aujourd’hui à une escalade inquiétante des tensions entre l’État d’Israël et la République islamique d’Iran. Entre menaces ouvertes, frappes ciblées et guerre d’influence régionale, les deux puissances avancent sur une voie qui ne peut que mener à la ruine – non seulement pour leurs peuples respectifs, mais aussi pour l’humanité tout entière.
Si les États-Unis jouent un rôle central et visible dans le soutien militaire à Israël et dans l’hostilité ouverte à l’Iran, la Russie et la Chine, elles, adoptent une posture plus subtile, mais non moins influente. Derrière leur neutralité affichée se cache une stratégie de long terme, fondée sur la remise en question de l’ordre mondial dirigé par l’Occident, et sur la consolidation d’un contre-pouvoir multipolaire dans les affaires internationales.

La Russie : soutien tactique à l’Iran et stratégie régionale
Depuis l’intervention militaire de Moscou en Syrie en 2015 pour soutenir le régime de Bachar el-Assad, la Russie a renforcé son alliance avec l’Iran, devenu un partenaire stratégique sur le terrain syrien. Ensemble, ils ont combattu les rebelles islamistes soutenus par les monarchies sunnites du Golfe, les puissances occidentales et parfois même Israël. Mais le soutien russe à l’Iran va bien au-delà de la Syrie. La Russie cherche à affaiblir l’hégémonie américaine au Moyen-Orient et voit dans l’Iran un levier utile pour perturber les intérêts occidentaux. Sur le plan diplomatique, Moscou a souvent soutenu Téhéran à l’ONU et s’est opposé à l’isolement complet de l’Iran.
Cela dit, la Russie ne soutient pas l’Iran de manière inconditionnelle. Elle garde des relations pragmatiques avec Israël, notamment en matière de coordination militaire pour éviter les confrontations accidentelles en Syrie. Moscou préfère maintenir un équilibre entre les deux puissances, jouant les arbitres pour garder la main sur les négociations régionales, tout en vendant ses armes et en consolidant ses bases militaires. En clair, la Russie ne cherche pas la paix, mais un désordre contrôlé dans lequel elle pourrait jouer un rôle indispensable et incontournable dans les équilibres du Moyen-Orient.
La Chine : une implication économique et une vision géopolitique globale
La Chine, quant à elle, n’est pas impliquée militairement, mais elle exerce une influence croissante à travers sa puissance économique, son initiative des Nouvelles Routes de la Soie (Belt and Road Initiative) et son désir d’émerger comme un médiateur de confiance dans les crises internationales.
Depuis plusieurs années, Pékin a renforcé ses liens économiques avec l’Iran, notamment pour contourner les sanctions américaines. En mars 2021, un accord stratégique de 25 ans a été signé entre les deux pays, prévoyant des investissements chinois dans les secteurs clés de l’économie iranienne, en échange d’un accès préférentiel au pétrole iranien. Cet accord est un acte fort de soutien indirect à la résilience de l’Iran face à l’Occident.
Plus récemment, la Chine a surpris le monde en facilitant la reprise des relations diplomatiques entre l’Arabie Saoudite et l’Iran en 2023, deux puissances régionales longtemps opposées. Cet exploit diplomatique montre que Pékin cherche à jouer un rôle de médiateur dans une région traditionnellement dominée par les jeux d’influence américains.
Cependant, la Chine reste prudente vis-à-vis d’Israël, car elle entretient avec Tel-Aviv des liens technologiques et commerciaux solides, notamment dans les secteurs des hautes technologies et des infrastructures. Son approche est donc fondée sur le pragmatisme économique plutôt que sur une logique d’alignement idéologique.
Une recomposition silencieuse de l’ordre mondial
Le conflit Israël–Iran devient ainsi le terrain d’un affrontement indirect entre deux visions du monde. D’un côté l’Occident dirigé par les États-Unis, fondé sur des alliances militaires (OTAN, pactes bilatéraux) et le contrôle des institutions internationales ; et de l’autre le bloc émergent Russie–Chine, qui conteste cet ordre unipolaire et propose une approche multipolaire, fondée sur la souveraineté, la non-ingérence et les intérêts économiques partagés.
Dans cette bataille pour l’influence mondiale, les populations du Moyen-Orient deviennent les victimes silencieuses d’un nouvel affrontement Est–Ouest, où les guerres locales deviennent les théâtres de rivalités globales.
Tant que ces grandes puissances continueront à instrumentaliser les conflits régionaux pour leurs intérêts stratégiques, la paix ne sera jamais sincère ni durable. Le sang continuera de couler, les exils de se multiplier et les peuples de payer le prix d’un jeu qui les dépasse.
Le conflit qui oppose aujourd’hui l’État d’Israël et la République islamique d’Iran ne se limite pas à un affrontement religieux ou territorial. Il s’agit d’un choc aux répercussions mondiales, en particulier sur le plan économique, énergétique et commercial.
L’énergie au cœur du conflit
L’un des effets immédiats de toute montée de tension au Moyen-Orient est l’instabilité sur le marché mondial du pétrole. L’Iran, membre fondateur de l’OPEP, possède d’immenses réserves d’hydrocarbures, tandis qu’Israël joue un rôle stratégique dans les circuits de transit et de sécurité en Méditerranée orientale.
Chaque frappe, chaque menace d’escalade entre ces deux pays fait grimper le prix du baril, provoquant des hausses des coûts de production et de transport à l’échelle mondiale, affectant directement les pays dépendants des importations énergétiques, notamment les pays africains, dont les économies restent fragiles et vulnérables à la volatilité des marchés mondiaux.
L’économie de guerre et l’appauvrissement des peuples
Israël, avec l’aide des États-Unis, injecte des milliards dans son secteur de la défense, tandis que l’Iran, sous sanctions, consacre une grande partie de ses ressources à maintenir ses milices alliées et son arsenal balistique. Cette économie militarisée détourne les investissements publics de la santé, de l’éducation et du développement humain, en Iran comme en Israël.
Mais l’impact ne s’arrête pas aux frontières de ces deux États. L’instabilité régionale freine les investissements étrangers, ralentit le commerce international via le golfe Persique, le canal de Suez ou la mer Rouge et alimente une incertitude globale nuisible aux pays en développement.
Alors que les grandes puissances instrumentalisent le Moyen-Orient, les peuples africains prennent de plus en plus conscience de leur propre place dans l’histoire du monde. La guerre entre Israël et l’Iran doit aussi être analysée à la lumière des dynamiques d’éveil, d’émancipation et de souveraineté en Afrique.
L’Afrique ne veut plus être un champ de bataille par procuration
L’Afrique a longtemps été traitée comme un terrain neutre, convoité ou instrumentalisé dans les logiques de guerre froide, de domination économique ou d’alliances militaires. Mais aujourd’hui, une nouvelle génération d’intellectuels, de dirigeants, de mouvements citoyens et de peuples réclame un droit à l’autodétermination.
Les Africains ne veulent plus mourir pour les guerres des autres ni subir les conséquences de sanctions économiques décidées ailleurs. Ils dénoncent l’hypocrisie des puissances qui prônent la paix tout en vendant des armes, qui parlent de droits de l’homme tout en fermant les yeux sur les victimes civiles à Gaza, au Yémen ou en Syrie.
Avec une population jeune, dynamique et connectée, l’Afrique devient une force morale et stratégique. Elle n’a pas besoin de choisir entre Washington, Pékin ou Moscou ni de se soumettre à des blocs idéologiques construits ailleurs. Elle peut porter une troisième voie, fondée sur la paix, la justice et la dignité.
Les Africains savent aujourd’hui que la vraie puissance n’est pas dans les bombes, mais dans la capacité à faire vivre ensemble différentes cultures, religions et mémoires. C’est cette sagesse du vivre-ensemble, encore visible dans nos villages, nos langues et nos solidarités, qui doit inspirer le monde.
Pour une humanité libérée de la domination religieuse et des logiques impériales
Le conflit Israël–Iran est le reflet tragique d’un monde où l’on sacrifie la paix au nom de Dieu, et la justice au nom des empires. Les États-Unis, loin d’être arbitres neutres, attisent les flammes en instrumentalisant les divisions religieuses. Israël et l’Iran, chacun à leur manière, utilisent la foi pour justifier des politiques d’exclusion et de violence.
Mais il est temps de rompre avec cette logique de confrontation. Le monde n’a pas besoin d’un nouvel affrontement entre idéologies religieuses ou empires concurrents. Il a besoin de paix, de justice, et surtout, d’humanité.
L’humanité est unique. Elle ne se divise pas entre juifs, musulmans ou chrétiens, entre chiites et sunnites. Elle se partage entre êtres humains qui veulent vivre, aimer, construire, et transmettre. Détruire l’autre, c’est se détruire soi-même.
Le conflit entre Israël et l’Iran montre que deux nations, fondées sur des idéologies religieuses exclusives, peuvent entraîner des régions entières dans des guerres sans fin. Mais ce conflit, soutenu ou entretenu par des puissances étrangères, révèle surtout la fragilité d’un monde gouverné par la force.
Face à cela, l’Afrique a un rôle à jouer. Elle doit refuser les logiques d’alignement, défendre ses intérêts, et rappeler au monde que l’humanité est une, et que personne ne gagne une guerre qui détruit l’humain.
C’est en refusant la haine, en promouvant la pluralité, en construisant des modèles de développement justes et enracinés, que les peuples africains pourront offrir une autre vision de la paix et du vivre-ensemble.
*Écrivain, juriste de formation, diplômé en histoire des relations internationales et militant politique au sein du parti USHE.















