La présidente sortante de la République unie de Tanzanie, Samia Suluhu Hassan, du parti CCM a été déclarée élue par la Commission électorale nationale indépendante (INEC), avec plus de 97% des voix exprimées lors du scrutin controversé du 29 octobre 2025.
Par Djambaé Shohezi
Dix-sept candidats étaient en lice pour les élections de ce 29 octobre 2025 en Tanzanie. Mais, Samia Suluhu Hassan, la présidente sortante, qui avait accédé à la charge après la mort du président élu, était seule, sans aucune opposition crédible et/ou de poids. Les autres candidats étaient simplement des représentants de petits partis, insignifiants sur l’échiquier politique tanzanienne. Cet état de fait a amené certains observateurs même à ironiser, en disant que Samia était concurrencée par deux véritables opposants : Suluhu et Hassan. Elle l’aurait donc remporté avec 97% des suffrages, selon la Commission électorale nationale indépendante (INEC).

La République unie de Tanzanie, connue jusqu’à présent comme un « havre de paix » en Afrique, a vu son image tâchée du sang de ses jeunes martyrs, des Gen Z qui se sont soulevés dès le matin du 29 octobre 2025. Mécontents de la façon dont leur pays est géré, par ce qu’ils considèrent comme un pouvoir oligarchique, autour de la présidente Samia, télécommandée par l’ancien président Jakaya Mrisho Kikwete et son mtandao « réseau », qui inclut les riches hommes d’affaires tanzaniens d’origine indienne. Les jeunes sont persuadés que cette oligarchie s’est emparée du pouvoir et de la richesse du pays et ne font que servir leurs propres intérêts. Ils pensent que cette même oligarchie est derrière les disparitions, les tueries et les kidnappings des opposants dans le pays. Poussés par le sentiment d’injustice et encouragés par l’opposition politique, des milliers de jeunes tanzaniens sont descendus dans les rues des 26 régions de la Tanzanie continentale (ex-Tanganyika). Il était prévu une manifestation pacifique, mais les jeunes ont vite oublié l’aspect pacifique et ont dirigé leur colère dans la destruction de tout ce qui symbolise le parti au pouvoir, le CCM (Chama Cha Mapinduzi), constamment au pouvoir depuis l’indépendance du pays en 1961. Ils ont brulé les posters des campagnes de présidente Samia Suluhu Hassan partout où ils en trouvaient, ainsi que les biens des influenceurs et des artistes au service du parti au pouvoir. Les biens de certains membres du gouvernement du CCM n’ont pas été épargnés.
La présidente Samia Suluhu Hassan va donc entamer son premier mandat de cinq ans, de présidente élue, de la République unie de Tanzanie, dans un climat d’incertitude et de vives tensions. Selon les chiffres avancés par l’opposition tanzanienne et cités par RFI et plusieurs autres médias, le pays déplore plus de 700 morts en date du 31 octobre 2025, en trois jours de manifestations. Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guteress, a exprimé sa profonde préoccupation par la situation dans le pays après les élections générales, y compris par les informations sur des morts et des blessés pendant les manifestations. Il a déploré les pertes en vies humaines et a présenté ses condoléances aux familles des victimes. Il a appelé à une enquête approfondie et impartiale sur les allégations liées à un recours excessif à la force. Il s’est dit profondément troublé par les informations sur les disparitions forcées et les détentions pendant la période préélectorale. Il a exhorté les autorités à garantir un procès équitable à tous les détenus, à assurer leur sûreté et leur sécurité, et à mener des enquêtes approfondies et impartiales sur toutes les allégations relatives aux violations des droits de l’homme, conformément aux normes internationales.
Tout semble montrer que la République unie de Tanzanie ne connaîtra plus le silence de la tombe qui a caractérisé le pays depuis l’indépendance et qui a permis à ceux qui sont au pouvoir de se permettre de négliger les voix de leur peuple. Ils seront obligés de trouver une solution convenable et acceptable pour résoudre les problèmes sociopolitiques et économiques qui rongent le pays. C’est pourquoi, aujourd’hui, tous les observateurs de la scène politique tanzanienne s’accordent sur la légitimité des revendications majeures de la population tanzanienne qui ne pourront plus être négligés, ou renvoyer aux calendes grecques : l’adoption de la nouvelle constitution[1] qui relève de l’expression du peuple, les réformes électorales et la justice politique, économique et sociale. Mais, tout cela ne pourra pas se faire dans un climat de tension et méfiance. La Tanzanie a besoin de lancer un dialogue national qui aboutira à la réconciliation nationale.
Les élections de Zanzibar
Les résultats des élections de Zanzibar en faveur du candidat du parti au pouvoir, CCM, n’ont pas non plus été reconnus par l’opposition, Alliance for Change and Transparence (ACT). La commission électorale de Zanzibar (ZEC) a déclaré l’actuel président de Zanzibar, Hussein Ali Hassan Mwinyi, vainqueur par presque 75% des voix exprimées. Vu la concurrence, très serrée entre les deux partis politiques dans les îles, gagner avec 75% semble être très excessif.
Depuis la réintroduction du multipartisme, il n’y a jamais eu un parti qui a pu gagner avec autant de voix d’avance. Le principal parti d’opposition, ACT, considère ces résultats annoncés par la commission électorale de Zanzibar comme étant le vol du siècle. L’opposition a donc appelé à la réorganisation de nouvelles élections pour sauver le pays, Zanzibar, et éviter qu’il ne sombre dans une crise sans précédent. L’opposition a adressé une lettre/pétition à la commission électorale de Zanzibar dans laquelle ils ont énuméré tous les vices de procédure, les maltraitances dont été victimes leurs observateurs ou représentants, les bourrages d’urnes, l’attribution de bulletins de votes et des cartes électorales à des personnes n’ayant pas droit de vote, le refus de la commission électorale de coopérer avec les représentants de leur parti, ACT. Dans la circonscription de Makunduchi, la commission électorale a déclaré le candidat du CCM, Hussein Mwinyi, gagnant avec 106% des voix exprimées.
Le 1er novembre 2025, le président Hussein Ali Mwinyi a prêté serment pour servir le pays (Zanzibar) pour un deuxième mandat de cinq ans, devant un public très réduit, composé essentiellement de membres de son parti CCM. Sa réélection n’a pas provoqué beaucoup d’enthousiasme dans les îles. Par contre, son opposant, Othman Masoud Othman, a été reçu dans les quartiers de Zanzibar avec beaucoup d’enthousiasme et des acclamations de « Président, président, président ».
Comme pour la présidente de République unie de Tanzanie, Samia Suluhu, le président de Zanzibar, Hussein Ali Mwinyi, entame son deuxième mandat dans l’incertitude avec un avenir politique semé d’embuches. Il ne sait pas comment il pourra faire, si l’opposition décide de le boycotter, pour se conformer à l’exigence de la constitution de Zanzibar qui veut qu’il y ait un gouvernement d’union nationale.
Les Zanzibaris se sont engagés par le passé dans les revendications politiques actives, et avaient perdu des dizaines de leurs compatriotes. Cette fois-ci, ils ont choisi de ne pas se mêler aux manifestations qui ravagent la partie continentale de Tanzanie. Ils cherchent à résoudre la crise politique actuelle dans les îles par des voies alternatives.
[1] Le 3 juin 2013, la Commission de révision constitutionnelle (CRC), également connue sous le nom de Commission Warioba, a rendu public le projet de nouvelle constitution. Ce projet a été initiée par Président Jakaya Mrisho Kikwete (2005-2015). La commission, présidée par le juge Joseph Warioba et l’ancien président de la Cour suprême de Tanzanie, Justice Agostino Ramadhan, ainsi que l’ancien premier ministre de Tanzanie, Salim Ahmed Salim. Ils ont parcouru le pays pour recueillir l’avis de la population. Ils ont élaboré un projet de constitution reflétant l’opinion du peuple, mais celui-ci a été rejeté par le gouvernement de Kikwete. La présidente Samia Suluhu n’était pas non plus prête à l’adopter.















