Le lundi 30 décembre 2024, dans la ville de Ouani, une conférence-débat a été organisée par le Collectif des Enseignants de Philosophie à Anjouan (CEPHA). Le thème abordé était : « L’identité culturelle et ses valeurs ».
Par Mouayad Ahmed
L’événement a attiré une audience impressionnante, composée principalement d’élèves issus de divers établissements scolaires de la région, mais également des cadres et enseignants de disciplines variées. La participation notable de doyens de la philosophie comme Nicole Ribaira et Ahmed Ibrahim Kalar a rehaussé la portée de cette initiative. La rencontre avait pour objectif principal de mettre en lumière la crise de l’identité culturelle qui secoue la société comorienne à l’ère du multiculturalisme et de la mondialisation.

Une thématique ancrée dans l’actualité
Les conférenciers principaux, le doctorant Nourdine Salim Mazamba et le Dr Charraf-Eddine Houmadi ont capté l’attention de l’auditoire en explorant ce sujet sous divers angles. Pour Dr Charraf-Eddine Houmadi, il est essentiel que les élèves s’approprient des éléments conceptuels susceptibles d’enrichir leurs connaissances, d’autant plus que la culture constitue un thème fondamental dans le programme de philosophie des classes de première et terminale.
Quant à Nourdine Salim Mazamba, professeur de philosophie chevronné, il a insisté sur le rôle primordial de l’éducation dans la préservation de la culture. « La nature humaine change à travers l’éducation », a-t-il affirmé, soulignant que les bases d’une identité culturelle solide se construisent dès le plus jeune âge.
Le Doyen Faissoil Ben Halidi, enseignant de littérature à l’Université des Comores, a élargi le débat en démontrant que la question de l’identité culturelle transcende les frontières philosophiques. S’appuyant sur des auteurs noirs comme Cheikh Hamidou Kane, Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, il a invité les élèves à s’armer de connaissances pour comprendre et valoriser toutes les cultures.
Le Doyen Ahmed Ibrahim Kalar a conclu sur une note de tolérance, rappelant qu’aucune culture n’est intrinsèquement supérieure ou inférieure à une autre. Cette réflexion a permis de recentrer le débat sur l’importance du respect et de la préservation des divers patrimoines culturels.
Une reconnaissance méritée
La conférence s’est terminée par une cérémonie de remise de certificats de mérite à plusieurs enseignants de philosophie pour leur engagement dans l’enseignement et la promotion de cette discipline aux Comores. Parmi les récipiendaires figuraient le Doyen Ahmed Ibrahim Kalar, Daniel Mahandhi alias Disco, Dr Charraf-Eddine Houmadi, Nicole Aurélie Ribaira, Abdou Saïd Mdomoni et Nadhoiri Baco.
Un hommage particulier a été rendu à Abdoulhamid Afraitane, doyen retraité de Ouani et à feu Said Ousseni, connu sous le nom de Mwé Saindou Zabibouni. Ce dernier, décédé, a marqué l’histoire de l’enseignement de la philosophie à Ouani et au-delà.
Un contexte préoccupant
Le thème choisi, « L’identité culturelle et ses valeurs », revêt une importance particulière dans le contexte actuel. La société comorienne est confrontée à une acculturation croissante, marquée par un abandon progressif des valeurs traditionnelles au profit de pratiques culturelles étrangères.
Cette transformation se manifeste notamment chez les jeunes, souvent influencés par des modèles étrangers véhiculés à travers les médias et les réseaux sociaux. Des phénomènes comme la délinquance juvénile, l’usage de stupéfiants, la prostitution et l’insolence trouvent parfois leurs racines dans cette perte de repères culturels.
La conférence a permis de mettre en lumière ces dérives et de proposer des pistes de solution, notamment par la réhabilitation des valeurs locales et le renforcement de l’éducation culturelle dès le plus jeune âge.
Une initiative saluée par les élèves
Les élèves, principaux bénéficiaires de cette conférence, ont exprimé leur satisfaction et partagé leurs impressions sur les enseignements qu’ils en ont tirés. Izaourat Ahmed, élève en classe de terminale, nous a confié : « Ces échanges m’ont permis surtout de comprendre que la philosophie peut être un atout permettant de réfléchir sur des préoccupations liées à notre existence. »
De son côté, Moustoifa Chamasse, étudiant en première année au département de Langues Étrangères Appliquées (LEA), a souligné l’importance de préserver nos valeurs dans un monde multiculturel : « J’ai compris que dans la diversité culturelle, ce qui importe, c’est de préserver nos valeurs, car notre culture représente notre identité. »
Ces témoignages illustrent l’impact positif de cette conférence sur la jeunesse, renforçant ainsi la pertinence de telles initiatives éducatives et philosophiques.
Une initiative à renouveler
Cette conférence-débat s’est distinguée par la richesse des interventions et l’enthousiasme du public. Elle a démontré l’importance d’organiser régulièrement de telles rencontres pour maintenir vivante la réflexion sur des enjeux majeurs comme l’identité culturelle et les valeurs sociétales. Ces événements ne sont pas seulement des moments d’échange intellectuel, mais aussi des occasions de sensibilisation collective et de prévention contre les dérives sociales.
En effet, dans un monde de plus en plus globalisé, où les influences extérieures tendent à éclipser les spécificités locales, ces conférences jouent un rôle fondamental. Elles rappellent la nécessité de cultiver une identité culturelle forte et de protéger les valeurs propres à la société comorienne. C’est aussi une manière d’alerter sur les conséquences de l’acculturation et de mobiliser les jeunes pour qu’ils soient des acteurs de la préservation de leur héritage.
Le CEPHA a prouvé, à travers cette initiative, que la philosophie a toute sa place dans nos sociétés modernes. Trop souvent perçue comme une discipline abstraite, la philosophie démontre ici son rôle pratique en fournissant des outils pour analyser, comprendre et résoudre des problèmes concrets. La pertinence des thèmes abordés lors de cette conférence, tout comme celle de la précédente organisée par le collectif, en est une parfaite illustration. Le CEPHA avait, en effet, déjà organisé une première conférence sur un sujet tout aussi d’actualité, confirmant ainsi sa volonté de placer la philosophie au cœur des préoccupations contemporaines.
Cette conférence s’inscrit également dans le cadre de la Journée mondiale de la philosophie, célébrée chaque année le troisième jeudi du mois de novembre. Exceptionnellement, l’événement a été déplacé à décembre pour permettre une participation optimale, une décision qui s’est révélée judicieuse compte tenu de la mobilisation massive constatée.
D’autres disciplines académiques pourraient s’inspirer de cette initiative. Comme l’a souligné un des intervenants, il serait bénéfique pour la société comorienne que toutes les matières contribuent à des réflexions collectives sur des thématiques cruciales. Ces rencontres interdisciplinaires renforceraient la cohésion sociale tout en montrant que chaque discipline a un rôle à jouer dans la construction d’une société éclairée et résiliente.
Cette conférence a mis en lumière l’importance de poursuivre et d’élargir ce type d’initiatives. Le CEPHA, en fédérant des acteurs de divers horizons autour de thèmes fédérateurs, montre la voie à suivre pour faire de la philosophie et des autres disciplines un outil puissant au service de la société comorienne.