Dans l’histoire diplomatique de l’Afrique, peu de figures ont incarné avec autant de constance l’unité et la paix du continent que Salim Ahmed Salim. Peu connu aux Comores, il a pourtant toujours défendu les intérêts des Comores.
Par Fahmy Nassor
Homme d’État tanzanien, ancien ministre des Affaires étrangères et secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), il a été un artisan majeur de la diplomatie africaine durant plusieurs décennies. Pourtant, son rôle dans l’histoire des Comores demeure largement sous-estimé. À l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance comorienne, il est essentiel de revenir sur son engagement pour la stabilité et l’intégrité territoriale de l’archipel.

Un lien personnel et politique avec les Comores
Né en 1942 sur l’île de Pemba, Salim Ahmed Salim est issu d’une famille d’origine omanaise. Son nom complet est Salim Ahmed Salim Riyami. La famille Al Riyami existe encore aujourd’hui à Oman. Orphelin de mère à l’âge de trois ans, il est élevé par sa belle-mère comorienne, du nom de Tiba Boina, un élément souvent ignoré, mais qui illustre ses liens profonds avec les Comores dès son plus jeune âge. Son père, militant pour l’indépendance de Zanzibar, l’initie à la politique très tôt.
Après une carrière diplomatique impressionnante – ambassadeur en Égypte à seulement 22 ans, puis représentant de la Tanzanie aux Nations unies, il devient en 1981 ministre des Affaires étrangères sous la présidence de Julius Nyerere. C’est dans ce cadre qu’il effectue sa première visite officielle aux Comores, amorçant un rapprochement entre Moroni et Dar es Salam.
Un discours enflammé qui marque sa carrière
En 1971, alors qu’il est représentant permanent de la Tanzanie aux Nations unies, Salim Ahmed Salim se fait remarquer sur la scène internationale en prononçant un discours enflammé en faveur du retour de la Chine populaire au sein de l’ONU. Ce moment historique marque un tournant dans la diplomatie mondiale, puisque l’Assemblée générale des Nations Unies vote en faveur de l’intégration de la Chine de Mao Zedong au détriment de Taïwan.
Salim Ahmed Salim manifeste alors son enthousiasme avec une joie que la délégation américaine, dirigée par George Bush Sr., juge trop bruyante. Cet épisode aura des conséquences durables sur sa carrière. En 1981, lorsque l’OUA propose sa candidature au poste de secrétaire général des Nations unies, les États-Unis, sous la présidence de Ronald Reagan, opposent leur veto. Pour beaucoup d’observateurs, ce refus est une revanche de Washington contre ce jeune diplomate africain qui, dix ans plus tôt, avait défié l’hégémonie américaine sur la scène onusienne.
Les Comores, un pays à la croisée des intérêts internationaux
Dans les années 1980, les Comores se retrouvent sous le feu de plusieurs influences contradictoires. Le président Ahmed Abdallah Abderemane, au pouvoir avec le soutien du mercenaire Bob Denard, entretient des liens avec l’Afrique du Sud de l’apartheid, qui finance la RENAMO, un mouvement rebelle contre le gouvernement du Mozambique. Or, la Tanzanie, fidèle à sa ligne panafricaniste, soutient activement le FRELIMO, au pouvoir à Maputo.
Malgré ces divergences, Salim Ahmed Salim œuvre à maintenir une relation stable entre la Tanzanie et les Comores. Fin des années 1980, une visite d’Ahmed Abdallah en Tanzanie symbolise cette volonté de rapprochement, preuve de la diplomatie habile de Salim, soucieux de l’unité africaine malgré les clivages géopolitiques.
La crise séparatiste d’Anjouan : un tournant majeur
Lorsque Salim Ahmed Salim est élu secrétaire général de l’OUA en 1988, l’Afrique entre dans une nouvelle ère avec la fin de la Guerre froide. Les Comores, elles, font face à une crise existentielle : en 1997, l’île d’Anjouan proclame son indépendance, menaçant l’intégrité du pays.
Face à cette crise, Salim Ahmed Salim joue un rôle déterminant. Son objectif est clair : éviter une guerre civile et préserver l’unité nationale. À travers des négociations patientes, il contribue à la mise en place d’un dialogue entre les parties en conflit. Il nommera, comme envoyé spécial, le ministre Mozambicain Francisco Madeira. Ce processus aboutira en 2001 à l’Accord de Fomboni, qui accorde une large autonomie aux îles tout en maintenant l’unité des Comores. Cet accord, bien que critiqué, empêche une fragmentation irrémédiable du pays et illustre l’importance de la diplomatie africaine dans la résolution des conflits internes.
Un héritage oublié ?
Aujourd’hui, alors que les Comores célèbrent leur indépendance, le rôle de Salim Ahmed Salim dans l’histoire du pays semble relégué au second plan. Pourtant, sans son engagement, le pays aurait pu sombrer dans une instabilité encore plus profonde. Son attachement personnel aux Comores a été renforcé par des liens familiaux. En effet, sa sœur est mariée à un Comorien, et cela l’a toujours poussé à agir en faveur de leur intégrité et de leur stabilité.
Dans un contexte où les figures historiques africaines sont souvent éclipsées par des narrations dominées par les grandes puissances, il est temps de redonner à Salim Ahmed Salim la place qui lui revient dans l’histoire comorienne. L’OUA, sous son leadership, a évité un éclatement définitif des Comores, un fait qui mérite d’être reconnu et enseigné aux nouvelles générations.
Aujourd’hui à la retraite, Salim Ahmed Salim continue de contribuer aux réflexions sur la paix en Afrique à travers la Fondation Mo Ibrahim. Son parcours rappelle que l’unité africaine passe par des engagements concrets, loin des discours de façade. Les Comores lui doivent beaucoup, et son nom mérite d’être inscrit dans l’histoire du pays comme un véritable ami de l’archipel.