Encore une fois, une délégation de sportifs comoriens a décidé de s’enfuir à la Réunion, cette fois avant même la participation aux épreuves sportives. Ni le ministre des Affaires étrangères ni celui des Sports ne donnent une explication.
Par M.H.
Sur la délégation comorienne de 57 personnes parties à l’île française de la Réunion pour des manifestations sportives, seules trois sont revenues. Et elles ne sont pas athlètes.
Cette affaire qui a fait grand bruit dans la société comorienne a des origines multiples. Il serait trop simpliste d’adopter une lecture linéaire du dossier, car ce n’est pas une simple fuite d’athlètes. Certes, ce n’est pas la première fois que des sportifs comoriens répondent absents à la phase retour d’un voyage sportif, mais jamais aussi massivement.
Une vie de plus en plus difficile
Notons que même d’anciens hauts fonctionnaires ne sont jamais rentrés. Mais actuellement c’est différent. Énormément de Comoriens aspirent à fuir ce pays qui n’offre aucune possibilité d’épanouissement. Cette terre qui jadis était vantée pour sa stabilité et son hospitalité n’est devenue, et les mots sont pesés, que champ de désolation et d’incertitude. Depuis 2016, la vie devient de plus en plus impossible. Tout est verrouillé et de jeunes diplômés se voient refuser l’accès à l’emploi parce qu’ils ne se soumettent pas au régime en place. Et même ceux qui le font ne s’en sortent pas pour la plupart. Pour espérer intégrer un cercle au sein duquel seuls ceux qui sont en haut s’enrichissent avec insolence, un jeune hautement qualifié doit faire l’apologie de la médiocrité. Prier à tous les endroits où le Chef de l’État se rend pour diriger la prière hebdomadaire. Aller faire la photo avec lui à Mitsoudjé le jour de l’Aïd et servir même le café aux invités pour acter son adoption par le couple présidentiel. Sachant que tous ces efforts ne constituent pas forcément un gage de récompense. Donc franchement pourquoi rester si l’occasion de partir s’offre ? Quand l’espoir de rejoindre un ailleurs des possibles se présente ?
Une situation de blocage pour ceux qui sont formés
Les jeunes athlètes qui sont partis et sont restés à la Réunion ont la bénédiction de leurs familles. De tout le monde. « Ici tout est joué d’avance, on ne peut rien changer. Tout dépend de ta naissance et moi je ne suis pas bien né », chantait Goldman à la fin des années 1980 en décrivant la situation dans un pays du tiers-monde. Rien de plus réel chez nous, où ces propos revêtent un parfum d’actualité. Les professions libérales sont cadenassées. Il est normalisé de passer par la petite porte pour les intégrer. Le notariat et le barreau sont fermés faute de concours pour des corporations qui ne coûtent rien à l’État. Beaucoup décident de laisser de côté leur conscience pour suivre la seule voie possible. Un jeune notaire disait, suite à un article publié dans Masiwa sur le notariat : « J’ai vu dans votre article que le seul moyen de devenir notaire c’est le concours. Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Faire un concours qui n’est pas organisé ? Nous avons fait ce que tout le monde fait ». Il a peut-être raison, même si d’autres refusent de céder. Quand on sait que partout ces concours ont lieu tous les ans sans interruption.
Les emplois publics sont une autre histoire. Ils nécessitent normalement des concours d’après la loi, mais sont accessibles ici par népotisme et clientélisme.
L’émergence sous condition ?
Alors, pourquoi rester encore une fois ? Jacques Attali disait dans « Devenir soi », une œuvre saisissante, qu’un jeune doit se dire que ça n’ira toujours pas dans dix ans. C’est le seul moyen de se prendre en charge à temps. Avant qu’il ne soit trop tard. Il ne faut pas cautionner la décision de ces jeunes. D’ailleurs il leur sera très difficile de s’en sortir dans une petite île comme la Réunion, au vu surtout du nombre important de personnes en fuite. Mais, peut-on les juger ? Ce serait trop prétentieux. L’émergence vantée par-ci par-là semble sourire à une minorité qui ne manque d’ailleurs aucune occasion pour narguer les laissés-pour-compte par leurs conditions de naissance ou à cause de leur conscience. Personne ne songe à quitter son pays, ses souvenirs, ses proches avec gaieté de cœur. C’est l’une des décisions les plus difficiles à prendre, de surcroit, partir pour la clandestinité et l’irrégularité. Un jeune diplômé a dit un jour « Je suis revenu pour servir le pays, car j’estime avoir quelque chose à proposer, à offrir. Mais décidément, il n’a pas besoin de moi. Je peux le quitter sans aucun problème de conscience ». Et il n’est pas le seul dans cette situation. Il y a des pays qui exigent que les diplômés de leurs grandes écoles servent l’administration avant de décider de travailler dans le privé. Aux Comores, on reçoit tous les ans, des jeunes qui ont obtenu des bourses de l’État pour de grandes universités du continent. Sauf que les autorités ne le savent même pas. Ces jeunes finissent par partir, parmi eux, il y a des médecins.
Le développement impossible
Donc comment espérer l’émergence d’un pays qui fait fuir ces enfants ? Pour une fois, la réponse est simple : aucun développement n’est possible dans ces conditions. Il faut commencer par créer une atmosphère rassurante. Rendre le pays attractif par une justice solide et une réelle égalité des chances. Activer l’ascenseur social qui est en panne pour une bonne partie de la population. Sinon, on continuera à partir. Pas seulement à travers une délégation officielle comme l’ont fait les handballeurs, mais par divers moyens. Comme la voie Campus France. Les étudiants comoriens partis en France ne reviennent pas pour la plupart. Ils restent une fois leurs études finies pour ceux qui en font. Et là nous parlons des chanceux qui parviennent à obtenir le précieux sésame qui leur permet d’entrer dans le territoire français en toute légalité. D’autres étudiants risquent leurs vies dans la traversée de la Méditerranée. C’est la représentation la plus limpide de la désespérance d’une population livrée à son triste sort. Enfin, l’affaire des handballeurs qui ont fui à la Réunion n’est que la partie visible de l’iceberg. Et cette visibilité est due au nombre important des sportifs en cause. Sinon comme démontré ci-haut, tout le monde s’est mis à partir au grand dam du pays qui perd régulièrement ses ressources humaines. Sa matière grise et sa jeunesse.