Mamoudzou, après le passage du typhon Chido
Après le passage du cyclone Chido, le chef lieu de Mayotte, Mamoudzou est à reconstruire.
Par Salec Halidi Abderemane, géographe, doctorant en sociologie à l’université de Bordeaux, chercheur associé au Laboratoire Profession Architecture Ville Environnement à l’Ecole Nationale d’Architecture et Paysage de Bordeaux.
La ville de Mamoudzou à Mayotte se déploie en plusieurs villages et compte une population de 71 437 habitants selon l’INSEE en 2021. Ce chiffre est celui des habitants dit « légaux », puisque le comptage d’un grand nombre d’« illégaux », échappe aux outils de mesure de l’INSEE et à ceux des autorités locales et nationales. Aucune projection démographique n’est exploitable, si ce n’est à partir « d’à priori ». La croissance démographie des « illégaux » est explosive et perceptible au travers du quartier qu’ils re-fabriquent sur la hauteur de Mamoudzou. Son caractère de bidonville, est une devanture précaire face à Mamoudzou et re-interrompt sa spectaculaire urbanisation.
« L’endroit ! »
Devenue département français en 2011, après une consultation de sa population en 2009, l’île de Mayotte garde Mamoudzou comme son chef-lieu. Elle se lançait dans une allure moderne après le passage du cyclone chido. L’origine de cette modernité est à rechercher dans l’élan de son histoire et des relations entre la France et les îles voisines de l’Union des Comores. Une origine qui façonnait, en même temps, sa géographie, parée de caractéristiques occidentales, et de celles d’un pays en sous-développement, comme on peut facilement l’observer dans les îles de l’Union des Comores. C’est pourquoi, avant de se heurter à un village du tiers monde, complètement dévasté par le cyclone, implanté sur la hauteur de Mamoudzou, ce qu’on nommait le quartier, la ville occidentale s’y déployait : rocade, routes et ronds-points, bâtiments administratifs et commerciaux, lieux de vie. Tous ces éléments aujourd’hui détruits par chido occupaient le centre-urbain, au Nord et au Sud de la ville, et s’étendaient respectivement vers le village de Kawéni, de M’gombani et Cavani. Dans ces villages, les populations sont majoritairement originaires des autres îles de l’archipel et sont venus s’installer avant et après l’indépendance des Comores en 1975. Le dialecte parlé dans ces lieux, les retrouvailles dans les festivités de mariage et l’accueil du cousin et de la cousine devenus immigrés clandestins à partir de l’instauration du Visa Balladur en 1995, maintiennent toujours l’ambiance de village limitant l’urbanité dans ces lieux voulus urbains et du prolongement de l’urbanisation du chef-lieu Mamoudzou. Les attributs modernes et occidentaux du pouvoir sont visibles : l’autorité municipale, avec ses infrastructures, ses équipements et ses services ; la préfecture également, expression du pouvoir central et métropolitain peinent à se saisir du lieu.
Puisqu’avant le passage décanteur du cyclone Chido, toutes ces autorités interagissaient et « civilisaient » le chauffeur de taxi, celui du bus scolaire, du transport en commun public, le passager lambda, le piéton. Elles « couraient » également derrière l’immigré venu du continent africain. Installé récemment sur l’île, il est jeune et s’investit dans la mobilité. Il conduit une moto taxi, malgré qu’il ne soit pas autorisé, cela le rend solvable pour louer dans la ville. Avec les Comoriens, les premiers à investir le concept de taxi illégal, surnommé « taxi mabawa ou taxi clandestin ». Aujourd’hui, après le passage du cyclone Chido, la ville essaie tant bien que mal de retrouver l’ordre préexistant par l’autorité métropolitaine.
Si « l’endroit » (la ville moderne, coloniale, développée, la ville sous contrôle des autorités, des « légaux ») se distingue de « l’envers », la bidonvilisation des hauteurs, un lieu sans autorité, celui des illégaux, construit en partie avec l’aide des premiers venus ; cette dichotomie révèle encore une re-production du « quartier » ; re-fabrique d’un « lieu sans autorité » après le passage du typhon Chido.
« L’envers ! »
Puisque cette ville côtière qu’avait conquis l’intérieur, vers sa partie Nord et Sud-Est, la hauteur de Kawéni et de Cavani se heurtait à un ensemble de petites collines, l’envers du chef-lieu ! Ces petites collines sont extrêmement bidonvillisées de telle sorte que la hauteur sur laquelle se localisait l’habitat en tôle, naturellement précaire, donnait l’image d’un camp suspendu face à Mamoudzou, la ville. L’habitat individuel est « exotique » dans ce petit bout d’occident sous les tropiques. Surnommé « banga », faisant référence à la petite case en tôle selon le dialecte local, elle servait de lieu de vie de populations issues de l’immigration clandestine et de Mahorais avec des revenus modestes, incapable de louer dans la ville.
Leur multiplication fabriquait le « quartier » et un lieu sans autorité avant le passage de Chido. Aujourd’hui, cette ville se réinvente en s’interrogeant sur son « endroit » alors que son « envers » se reproduit et re-fabrique le lieu sans autorité.
Cette re-production du « quartier » et re-fabrique d’un « lieu sans autorité » après le passage du typhon Chido devient la réalité du lendemain. La reconstruction du bidonville, le rôle et la visibilité des autorités, les débats et les discussions sur ce qui se passe dans la ville animent les longues files d’attente dans les stations-services, les distributeurs de billets et les magazines qui redéfinissent temporairement les espaces publics après que le cyclone ait tout ravagé sur son passage.