Après avoir mené une opération pour empêcher une cérémonie religieuse de se tenir l’après-midi du mercredi 12 octobre et après avoir été refoulée par les jeunes de la ville de Mbeni, l’AND avait entassé ses troupes autour de la ville interdisant quiconque d’y entrer ou de sortir. Le vendredi 14 octobre, elle a donné l’assaut à la ville puis a procédé à son occupation pendant près d’une semaine. Elle vient de quitter la ville pour permettre de nettoyer, réparer et reconstruire la paix de ses habitants.
Par Abdourahim Bacari/MiB
Abdourahim Saïd Himidi a 14 ans. Ce jeune de Mbeni fait partie des blessés à balles réelles le 12 octobre 2022. La balle lui a traversé le bras. On peut dire, sans hésiter, que l’armée a tenté de mettre fin à la vie de cet enfant, pour une situation qui n’était pas grave au départ.
Des tirs à balles réelles
C’est ce jour-là que l’armée a décidé de lancer des grenades lacrymogènes sur des notables assis en train de lire et a créé la panique au sein d’une mosquée. Il faut rappeler ce fait, car même parmi les Républicains, on entend ici et là des phrases du genre : « Ils n’avaient qu’à obéir à la loi ». Certes, ils ont ignoré un arrêté qui visait particulièrement leur ville, leur interdisait de prier l’après-midi, mais ce jour-là les notables qui priaient à l’occasion du mois sacré de mawulid ne représentaient aucun danger. Pour une question d’ego, et pour un délit qui méritait une amende pour les organisateurs, le gouvernement a décidé de donner l’ordre à l’armée de disperser par des grenades lacrymogènes une cérémonie religieuse. C’est une première aux Comores.
Les jeunes de Mbéni ont donc réagi avec l’intention claire de refouler l’armée en dehors de leur ville, non pas par défi, mais juste pour défendre leurs vieux et empêcher qu’ils ne soient étouffés dans les fumées des lacrymogènes. Et pour pouvoir fuir la ville et les pierres des jeunes, les hommes de Youssouf Idjihadi, chef d’état-major, ont utilisé des fusils chargés à balles réelles.
On comptabilise aujourd’hui 24 jeunes qui ont été blessés par les tirs de l’armée comorienne, dont quatre gravement. Ils ont été atteints au ventre, à la tête, aux pieds, aux bras, etc. Ce 12 octobre 2022 est une journée sombre, une journée de deuil pour la région de Hamame dont les notables étaient tous réunis dans leur chef-lieu, Mbéni, pour célébrer l’anniversaire de la naissance du prophète Muhammad (swala Allah anlaihi wa salam, que la paix soit sur lui). Les notables des vingt villages de Hamame ont été gazés alors qu’ils étaient à l’intérieur de la grande mosquée de vendredi de la ville.
L’assaut de vendredi matin
Malgré tous les blessés graves du mercredi 12 octobre, actuellement évacués ou en état de convalescence, l’armée comorienne investit la ville de Mbéni très tôt dans la matinée du vendredi, après avoir regroupé les soldats dans la région pendant la journée de jeudi.
Les soldats et les gendarmes de l’armée comorienne font irruption dans la ville pour arrêter des habitants. Les jeunes ayant pris la fuite pour se cacher dans la forêt et les villages voisins, les militaires sous les ordres du gouvernement ont pris pour cible, les personnes âgées, hommes, femmes et quelques jeunes qui n’ont pas jugé nécessaire de quitter leur village. Un ancien ministre des Finances sous Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, Hassani Assoumani, un septuagénaire est arrêté violemment par de jeunes soldats qui l’embarquent vers le camp militaire de Mdé avec d’autres personnes.
Ces événements ont eu lieu le vendredi 14 octobre 2022. Les habitants se rappelleront encore longtemps qu’à cause de cette irruption de l’armée comorienne, la ville de Mbéni n’a pas, pour la première fois, pu faire la prière de vendredi.
Ce même vendredi, l’armée est entrée avec force dans les maisons. Elle a saccagé les biens qui s’y trouvaient et détruit les voitures. Les militaires de l’Armée nationale de Développement (AND) ont occupé la ville pendant une semaine et la plupart des habitants sont restés cloîtrés dans leurs maisons, n’osant sortir sous peine d’être violentés par l’armée. C’est un silence de mort qui a régné à Mbéni. Toutes les activités sociales étaient paralysées. Les établissements scolaires étaient fermés. Au total, dix-huit écoles sont restées fermées sans que le gouvernement ne s’inquiète. Même les écoles de la région fonctionnaient très mal parce que les professeurs ne se présentaient pas. L’AND a poussé le mépris de l’Éducation jusqu’à occuper le bâtiment de la Circonscription d’Inspection pédagogique régionale (CIPR), le transformant en caserne. Aucune réaction du ministre de l’Éducation n’a été enregistrée. La solidarité gouvernementale était quasi unanime pour punir violemment la ville de Mbéni. Le ministre des Finances, Mze Abdou Mohamed Chanfiou, originaire de la ville et dont la maison a été brûlée a été le seul à l’Assemblée de l’Union à se montrer quelque peu critique vis-à-vis des exactions de l’armée face à une population de civile.
Réparer le mal
Pourtant, toutes ces violences n’ont pas fait plier la ville de Mbéni, qui en a connu d’autres au cours de l’histoire. Cette ville à la fois intellectuelle et traditionnelle refuse de courber l’échine face à un gouvernement qui prouve encore une fois qu’il n’hésite pas à faire couler le sang des Comoriens, jeunes ou vieux.
Non seulement la ville a refusé d’être soumise par la force d’une armée aux mains de quelques politiques, mais elle s’organise avec l’aide de sa diaspora pour évacuer certains des blessés graves et soigner les autres.
Un pôle d’avocats a aussi été réuni pour engager des procédures judiciaires, qui certes dans les conditions de fonctionnement actuel de la Justice ne peuvent pas aboutir, mais qui peuvent permettre de juger les principaux responsables de ces exactions d’ici quelque temps. En effet, l’arrêté signé par le ministre des Finances (en l’absence de son collègue de la Justice) qui interdit toute organisation de Mawulida l’après-midi ne visait que Mbéni, puisque c’est la seule ville des Comores qui célèbre le Mawulida à 15 heures. Et cela date de plus de vingt ans.
Dans notre pays, habituellement, ceux qui dirigent utilisent l’armée et les forces de l’ordre pour maltraiter le peuple, pour satisfaire l’égo d’un président, d’un ministre, ou d’un Directeur général d’une société d’État. Ce qui fait qu’à cause de ces pratiques, les rapports entre le peuple et l’armée comorienne restent toujours confus, voire tendus. Les Comoriens ont à l’esprit qu’à chaque fois que l’armée pénètre dans une ville, c’est pour saccager, tabasser, torturer, ou bien tirer à balles réelles sur des civils sans arme. Ce qui est malheureux, c’est quand des intellectuels préfèrent soit se taire soit trouver des raisons pour justifier l’injustifiable : des tirs à balles réelles sur une population en prière.
Ce nouveau drame provoqué par l’AND pose encore de nombreuses questions. Pourquoi, à chaque fois qu’elle mène des opérations dans une ville ou une région l’armée nationale se conduit comme une armée étrangère n’hésitant pas à tirer à balles réelles sur les habitants, détruisant leurs biens, se livrant aux saccages et aux pillages ? Quelle est la nature de cette armée qui au fil des années perd tout lien avec des citoyens qu’elle est censée défendre ? Comment des officiers et sous-officiers issus du peuple peuvent accepter d’être réduits à n’avoir pour seule mission que la protection des egos et des intérêts de quelques hommes politiques ? Jusqu’à quand une telle situation peut-elle durer ?