À Ouani et à Mutsamudu, deux nouvelles infrastructures sanitaires ont été inaugurées mardi 7 octobre 2025.
Le pôle Mère-Enfant Sheikat Fatima et le centre de dialyse de l’hôpital de Hombo. Des projets ambitieux, salués par les autorités, mais qui ravivent aussi les doutes des citoyens comoriens face à un système de santé en crise.
Par Saïd Anli

C’est sous un soleil éclatant et devant une foule nombreuse que la cérémonie d’inauguration du pôle Mère-Enfant Sheika Fatima s’est tenue ce mardi 7 octobre à Ouani. L’événement, placé sous le haut patronage du président de la République, Azali Assoumani, marque l’ouverture officielle de ce complexe moderne dédié à la santé maternelle et infantile. Dans la même journée, à quelques kilomètres de là, un autre ruban a été coupé, celui du nouveau centre de dialyse de l’hôpital de Hombo, à Mutsamudu.
Ces deux infrastructures, financées par le Croissant-Rouge des Émirats arabes unis dans le cadre du programme humanitaire de la fondation Sheika Fatima, traduisent une volonté affichée de moderniser le système de santé comorien. Construites par la société chinoise Shenyang Economic and Technical Corporation, elles viennent enrichir le paysage sanitaire d’Anjouan, où les besoins restent considérables.
Le pôle Mère-Enfant de Ouani se veut un établissement de référence sur l’île. Il comprend trois blocs opératoires, un service de néonatalogie, une capacité d’accueil de vingt lits, ainsi que plusieurs unités spécialisées pour la prise en charge des mères et des nouveau-nés. À Hombo, le centre de dialyse, équipé de huit postes modernes, représente une bouffée d’oxygène pour les patients souffrant d’insuffisance rénale, souvent contraints de se rendre à Moroni — voire à l’étranger — pour suivre leurs traitements.
Entre espoir et scepticisme
Si ces inaugurations suscitent la fierté des autorités et l’espoir d’une amélioration des soins, elles soulèvent aussi des interrogations. Beaucoup de Comoriens redoutent de voir ces nouvelles structures connaître le même sort que d’autres hôpitaux modernes, inaugurés avec faste, mais rapidement délaissés par les autorités.
L’exemple de l’hôpital de Bambao Mtsanga reste dans toutes les mémoires. Offert et équipé par la Chine, ce joyau sanitaire d’une capacité de plus de cent lits avait été présenté, au début du premier mandat du président Azali Assoumani, comme une avancée majeure. Mais quelques années plus tard, le bâtiment flambant neuf est sous-utilisé, faute de personnel qualifié et de moyens suffisants pour assurer des soins de qualité.
Cette situation alimente le scepticisme. « On inaugure des bâtiments, mais sans les moyens humains et matériels nécessaires pour les faire fonctionner », confie un infirmier de l’hôpital de Hombo, qui a requis l’anonymat. « Sans recrutement, sans formation continue et sans équipements d’entretien, ces centres risquent de devenir des coquilles vides. »
Un système de santé à bout de souffle
Le constat est largement partagé : le système de santé comorien reste fragile, marqué par le manque de personnel, l’insuffisance de matériel et l’absence de politique sanitaire cohérente. Dans de nombreux établissements, les soins sont assurés par des stagiaires non rémunérés ou par des agents sous-qualifiés.
Les malades, eux, continuent de fuir. Ceux qui en ont les moyens se tournent vers les hôpitaux de Dar es Salaam, Madagascar ou encore ils prennent le kwasa-kwasa pour Mayotte, à la recherche de soins de qualité. Selon des sources médicales, le nombre de Comoriens qui se rendent à l’étranger pour se faire soigner augmente chaque année.
« Ce n’est pas seulement une question de bâtiments, mais de confiance », explique un médecin à Mutsamudu. « Les patients n’ont plus foi dans nos structures locales. Il faut investir dans la formation, la motivation du personnel et la maintenance des équipements. Sinon, les plus pauvres continueront de souffrir ici, pendant que les autres s’envoleront pour se soigner ailleurs. »
Des inaugurations aux accents politiques
La mise en service de ces deux nouveaux centres intervient dans un contexte politique tendu, à quelques mois d’importantes échéances politiques, des pourparlers à Mohéli en février 2026 prévus par le gouvernement actuel. Certains observateurs y voient un calendrier soigneusement orchestré.
Le centre Mère-Enfant, construit depuis 2023, n’entre en service qu’en fin d’année 2025, un décalage qui alimente les critiques. « On aurait pu ouvrir ces structures bien avant, mais il fallait attendre le bon moment politique », commente un membre de l’opposition, un brin ironique.
Ce n’est pas la première fois que le gouvernement est accusé d’utiliser les inaugurations comme instruments de communication. L’exemple du Centre Rural de Développement Économique (CRDE) de Ouani, inauguré récemment alors que les travaux étaient achevés depuis des années, reste dans les esprits.
Des partenariats étrangers essentiels, mais fragiles
Les nouvelles infrastructures d’Ouani et de Hombo illustrent aussi la forte dépendance du pays envers les financements extérieurs, notamment ceux des Émirats arabes unis et de la Chine. Ces partenariats ont permis de doter les Comores d’équipements modernes, mais il faut que l’État comorien assume sa part, en garantissant l’entretien, la gestion et la formation du personnel. Sinon, dans quelques années, ces bâtiments deviendront de simples symboles d’une coopération sans lendemain.
Sur le terrain, les habitants accueillent les inaugurations avec un mélange d’espoir et de prudence. À Ouani, Amina, jeune mère de deux enfants, se réjouit : « J’espère que nous pourrons enfin accoucher dans de bonnes conditions, sans devoir aller chez Dr Kader pour payer des sommes astronomiques ».
Le défi est donc double : transformer ces infrastructures en véritables centres de soins fonctionnels et redonner confiance à la population dans son système de santé.
En attendant, les Comoriens continuent, malgré tout, de rêver d’un jour où ils n’auront plus besoin de traverser la mer pour se soigner.
Les inaugurations du pôle Mère-Enfant de Ouani et du centre de dialyse de Hombo constituent indéniablement une avancée sur le plan des infrastructures sanitaires. Mais, elles mettent aussi en lumière les faiblesses persistantes du système de santé national.
Sans personnel qualifié, sans politique de formation durable et sans financement stable, ces édifices risquent de s’ajouter à la longue liste des promesses non tenues.
À l’heure où le pays aspire à une meilleure couverture sanitaire, l’enjeu n’est plus seulement de bâtir des murs, mais de bâtir la confiance.















