Les bateaux de la société Maria Galante ont repris leurs rotations avec des gens expulsés de Mayotte, malgré les affirmations et les menaces des autorités comoriennes, aussi bien le gouvernement que le gouvernorat et le Directeur du Port de Mutsamudu.
Par MiB
La Citadelle, le premier bateau transportant des expulsés de Mayotte jusqu’au port de Mutsamudu, est arrivée mercredi 17 mai 2023 vers 16 heures 30. La police de Mayotte, dans un tweet repris par le Préfet, avait annoncé que « 19 personnes en situation irrégulière… étaient éloignées » sur Anjouan. Pourtant, une liste nominative établie par la même police au Centre de Rétention administrative (CRA) indique les 16 personnes (13 hommes et 3 femmes) qui devaient embarquer avec la signature du commandant de Police dirigeant le CRA.

Expulsés de Mayotte
Sur ces 16 hommes et femmes, la section comorienne de la Croix Rouge indique dans son rapport (dont Masiwa s’est procuré une copie) qu’un homme n’a finalement pas été embarqué. Au total, ce sont donc 15 hommes qui ont été expulsés de Mayotte ce 17 mai. Ils n’ont reçu aucun accueil ni du gouvernement comorien ni des autorités de l’île et la Croix Rouge ne s’est même pas préparée à les prendre en charge si besoin.
La Citadelle était très attendue par une foule nombreuse aux abords du port, mais aussi par de nombreux journalistes. Les fonctionnaires du port étaient plus nombreux qu’à l’accoutumée, de même pour les gendarmes qui étaient accompagnés de leur nouveau commandant, le colonel Takfine, venu de Moroni pour l’occasion.
Si l’on s’en tient au rapport produit par la section comorienne de la Croix Rouge, les 15 premiers expulsés arrivés mercredi étaient tous Anjouanais, tous adultes, avec une moyenne d’âge qui s’établit à 27 ans. La plupart ont témoigné avoir été retenus au CRA pendant plusieurs jours (certains disent près d’un mois) et n’avoir pas été correctement nourris (repas insuffisants). Quelques personnes ont fait part de maltraitance et de violences subies pendant leur détention.
Aucun expulsé de Mayotte ne serait accueilli
Ils disent avoir été contraints d’embarquer, après avoir été arrêtés. Ces paroles confiées aux journalistes par les expulsés sont en contradiction avec ce que disaient les autorités comoriennes et particulièrement le porte-parole du gouvernement, Houmed Msaidié (voir Masiwa n°429 : « Wuambushu. Le marché de dupes ») dans une conférence de presse le lundi 15 mai, soit deux jours avant l’arrivée des premiers expulsés. Il avait notamment affirmé qu’aucun Comorien qui serait expulsé dans le cadre de l’opération Wuambushu ne serait admis dans les bateaux qui accostent à Anjouan ou à la Grande-Comore. Le gouvernement n’accepterait, selon lui, que les départs volontaires de Mayotte.
Le Gouverneur d’Anjouan, Anissi Chamsidine, qui théoriquement ne peut pas prendre de décisions concernant les entrées et les sorties de personnes sur le territoire national, avait même pris un arrêté interdisant l’entrée au port de Mutsamudu de toute personne sans papiers comoriens. Or, plusieurs des expulsés n’avaient uniquement qu’une OQTF (Obligation de quitter le territoire français). De même pour le directeur du Port de Mutsamudu, Mohamed Salim Dahalani, qui avait prévenu que les bateaux de la société Maria Galante ne devaient transporter aucune personne expulsée de Mayotte.
48 interpellés et expulsés de force
Un autre bateau de la compagnie Maria Galante a accosté à Mutsamudu vendredi 19 mai. Cette fois, il a transporté 48 personnes qui attendaient depuis plusieurs jours au CRA de Pamandzi. Il est probable que ce chiffre des expulsés augmentera au fur et à mesure des rotations pour atteindre les 300 expulsés par jour prévu depuis le début par les autorités françaises. Sauf nouvelle réaction du gouvernement comorien qui n’est pas à exclure, d’autant qu’il parait difficile à la ville de Mutsamudu et à l’île d’Anjouan d’accueillir 10.000 personnes en un mois ou deux, sans préparation et sans moyens financiers.
Vraisemblablement le Directeur de la société Maria Galante n’a tenu compte d’aucune des indications des autorités comoriennes. Du côté de la préfecture de Mayotte, il semble même qu’on est sur le mode du défi. En effet, Outremer 1re rapporte les paroles du sous-préfet Fréderic Sautront, chargé de la Lutte contre l’immigration et il répond clairement aux propos du Porte-Parole du Gouvernement dans sa conférence du 15 mai dernier : « les 48 personnes éloignées ont été interpellées par les forces de l’ordre, elles ne se sont pas portées volontaires ».
Humiliation
La honte est telle que les autorités portuaires ont tout tenté pour ne pas que les expulsés puissent croiser les journalistes. Ils les ont retenus plus longuement et les ont laissés ressortir bien après les voyageurs normaux, et par une porte dérobée, semble-t-il.
Houmed Msaidié a beaucoup de mal à justifier que la parole du gouvernement comorien soit à ce point foulée aux pieds et méprisée à cause de ses affirmations péremptoires. Dans un débat organisé par FCBK FM et le journaliste Oubeidillah Mchangama samedi 20 mai, il tente une manœuvre incompréhensible pour justifier l’humiliation subie par le gouvernement. Pour lui, les gens qui sont arrivés par bateau mercredi et vendredi sont volontaires. « Toute personne qui refuse de monter dans un bateau ou un avion [il ne peut être contraint] … parmi eux certains veulent revenir ».
Interrogé par Masiwa sur ces propos de Houmed Msaidié, l’avocat Franco-Comorien, spécialiste des Droits de l’Homme, Me Midhoir Ali qui vient d’effectuer un séjour de deux semaines à Mayotte avec d’autres avocats français répond : « Dans un avion, le commandant peut refuser d’embarquer une personne reconduite à la frontière, mais c’est rare. Pour le cas de la personne qui a été placée au CRA, son refus d’embarquer n’est pas pris en considération car elle fait nécessairement l’objet d’une obligation de quitter le territoire (OQTF). Pour exécuter cette mesure d’éloignement, la Police aux frontières peut contraindre la personne à entrer dans le bateau, en usant de la force. Cette dernière n’a donc pas le choix si ce n’est de se soumettre et d’embarquer contre sa volonté pour être éloignée».
Haute trahison ?
L’affaire ne tourne pas seulement à l’humiliation pour le gouvernement d’Azali Assoumani, il pourrait avoir des répercussions dans l’avenir pour ceux qui détiennent le pouvoir aujourd’hui. La foule massée au port de Mutsamudu l’a rappelé en criant : « Haute trahison ! » ou « Belou, Fakri na Msaidié warhaada ».
En effet, de passage en France il y a deux semaines, le chef de l’État comorien, Azali Assoumani s’était confié à plusieurs médias en France avant sa rencontre avec le président Macron. Il avait affirmé au journal « Le Monde » le 8 mai : « comment puis-je justifier devant mes compatriotes le fait que j’accepte les bateaux qui renvoient des Comoriens de Mayotte ? C’est trahir notre Constitution, qui dit que Mayotte est comorienne. Je peux être poursuivi en justice pour cela. » Sa confidence au « Monde » n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd et plusieurs Comoriens et partis politiques ont déjà demandé sa destitution et son jugement pour « haute trahison ». C’est le cas du mouvement Ukombozi qui dans une déclaration du 18 mai 2023 affirme : « Azali est le président qui a le plus nui à l’intégrité du pays. Sa trahison est aujourd’hui établie et crève les yeux. Azali ne peut donc plus continuer à diriger le pays. » Le mouvement créé récemment et qui compte dans ses rangs Idriss Mohamed appelle également à une désobéissance civile.