Le procès opposant Najda Saïd Abdallah et Nourdine Mparti dit Bachar s’est déroulé jeudi 5 juin au Palais de Justice de Moroni. À huis clos, mais l’essentiel s’est passé en amont. Quelques jours avant le jugement, une communication bien orchestrée a fait de Najda Saïd Abdallah, commissaire au Plan, 4e personnage de la CRC, parti qui occupe tous les pouvoirs, bras droit du puissant SGG des Comores, le symbole de la femme bafouée, victime de violence. Une communication qui a quand même du mal à prendre.
Par MiB
Une semaine avant le procès qui s’est tenu, à huis clos, au Palais de Justice de Moroni, jeudi dernier, les partisans de la Convention pour le Renouveau des Comores(CRC), parti du pouvoir et même de simples amis de l’intéressée ont été rameutés dans les réseaux sociaux, priés de dire, un à un, combien ils apprécient Najda Saïd Abdallah, femme politique, commissaire au Plan et proche du Secrétaire général du Gouvernement (SGG), Nour el Fath, qui détient aujourd’hui l’essentiel des pouvoirs politiques et économiques. Même ceux qui n’ont aucune raison de l’apprécier ont dû se plier à l’exercice. Pourtant, les juges comoriens ayant perdu toute possibilité d’autonomie, il n’y a aucun doute sur l’issue du procès engagé par cette femme ambitieuse contre Nourdine Mparti dit Bachar.

Des attaques dirigées contre les personnalités du régime
Nourdine Mparti était désigné comme influenceur, journaliste ou lanceur d’alerte. Mais, comme il a fini par l’avouer, son métier consistait plutôt à insulter, diffamer ou accuser à la demande de certaines personnes, surtout à l’intérieur du pouvoir, contre de l’argent. Et si on en croit certains enregistrements retrouvés dans ses téléphones, il n’hésitait pas à exiger de certains de l’argent pour qu’il arrête ses insultes et accusations.
Quand on écoute rétrospectivement ses « émissions » dans lesquelles il passait des heures à faire des « révélations », on s’aperçoit que Najda Saïd Abdallah n’est pas celle qui a subi le plus d’attaques de cet homme qui était installé en Tanzanie et qui n’avait jamais pensé qu’il en serait expulsé, alors qu’il n’avait pas d’autorisation d’y résider. On peut penser à l’ancien ministre, Houmed Msaidié, qui a été accusé d’avoir passé le jour de l’an avec des femmes emmenées de Moroni jusqu’à Dar es Salam et d’autres « révélations » qui sont de l’ordre de la diffamation. On peut également penser à l’ancien ministre de l’Intérieur, Fakri Mradabi, accusé par Bachar d’être au centre d’un trafic de faux passeports. C’est d’ailleurs, sans doute, ces accusations qui lui ont valu son limogeage du gouvernement. Ces deux hommes sont au centre du pouvoir d’Azali Assoumani, fidèles des fidèles. Le premier est conseiller du président et le second a été nommé à la tête de la Direction nationale de la Protection de l’État (DNPE). Ils ont plus de raisons de vouloir que Bachar soit enfermé et surtout qu’il dévoile tous ceux qui lui fournissaient des renseignements. Beaucoup plus que Najda Saïd Abdallah. Et il est plus que probable qu’ils sont à la manœuvre pour l’élaboration des scénarios d’une série à plusieurs épisodes par lesquels de nouveaux opposants, mais aussi des « partenaires » au sein du pouvoir vont être écartés sinon mis en prison.
Injures, diffamation et cyberharcèlement
Pourtant, c’est la commissaire au plan qui a été choisie pour le premier épisode de la série, contrainte de jouer le rôle de la femme innocente et victime de violence de la part d’un homme. Nourdine Mparti, comme d’autres influenceurs, l’a présentée souvent comme la maîtresse du fils du président. Il est poursuivi pour injures, diffamation et cyberharcèlement.
Le scénario de la femme victime est trop beau pour ne pas être utilisé par les communicants de Beit-Salam ou ceux du puissant SGG, Nour el Fath Azali. Lui-même, comme son père ou sa mère, souvent pris à partie par le même Nourdine Mparti, ou comme Houmed Msaidié ou Fakri Mradabi aurait pu porter plainte. Mais, toutes ces personnalités puissantes du parti au pouvoir ont décidé de se placer derrière Najda Saïd Abdallah. Des femmes du parti CRC ont même été sollicitées pour organiser une manifestation devant le Palais de Justice pour soutenir leur Trésorière.
Pourtant, cette stratégie de communication choisie par le gouvernement a du mal à passer parmi les Comoriens. Nombre d’entre eux rappellent notamment que plusieurs jeunes ont été tués froidement et que le régime en place, dont fait partie Najda Saïd Abdallah n’a jamais organisé de procès ni même eut un petit mot pour les mères ou les enfants de ceux qui ont été tués à bout portant ou après des tortures des forces de l’ordre.
D’autres ont montré que de nombreuses jeunes femmes ont subi des viols, des agressions sexuelles et que le gouvernement n’a jamais agi avec rapidité. Il n’a jamais non plus permis une manifestation de soutien et les victimes n’ont jamais pu bénéficier du huis clos. Devant la Justice d’Azali Assoumani, Najda Saïd Abdallah n’est pas n’importe quelle femme comorienne, c’est d’abord une notable du parti CRC, qui bénéficie des largesses du régime en place, y compris en matière de justice. C’est pourquoi son procès contre Bachar ne pourra pas être une leçon pour d’autres. Pour cela, il aurait fallu des juges indépendants.
210.000 euros demandés
Le premier volet de l’affaire Bachar est donc une citation directe, une procédure qui évite de passer du temps dans les enquêtes et l’instruction. Idrisse Mze Mogné, l’avocat de Najda Saïd Abdallah affirme dans les réseaux sociaux que tout cela n’était pas utile, car l’infraction est constituée. Selon lui, tout le monde a pu constater par les vidéos la diffamation et le cyberharcèlement, donc il n’y avait pas besoin d’instruction. À se demander même, pourquoi faire un procès et perdre une journée. Tout paraît évident pour lui. Le cyberharcèlement comme le fait que sa cliente demande 105 millions FC (soit 210 000 €) aux six prévenus dans un pays où le SMIC est à environ 50.000 FC (100€).
Lorsqu’un journaliste de la Chaine Libre des Comores lui demande si ce n’est pas abusé, il est catégorique : « Tous les procès de diffamation dans le monde, les intérêts sont très supérieurs », assumant avoir conseillé à la politicienne cette somme. Or même en France, où le SMIC est quatorze fois plus élevé, les dommages et intérêts pour diffamation ou cyberharcèlement contre des stars ou des personnalités politiques sont rares et ne montent que très rarement à plus de 10.000€. Sandrine Rousseau, élue de gauche, harcelée en permanence pendant deux ans (parfois plus de 70 messages d’insultes à caractère sexuel et de menaces par jour) n’a obtenu contre son harceleur que 12 mois d’emprisonnement avec sursis, aucune mention d’une somme d’argent. Ce qui est frappant, c’est que Me Idrisse Mzé Mogné estime qu’il peut demander la somme qu’il veut sans calculer ou estimer le préjudice, qu’il qualifie d’« éternel ». Pour lui, Najda Saïd Abdallah est une femme forte, il ne l’a jamais vue pleurer, mais, affirme-t-il, elle doit sans doute pleurer quand elle est seule. Cela suffit à montrer l’énorme préjudice subi par sa cliente qui justifie la demande d’une somme aussi colossale. Édifiant.
Quant au Procureur de la République, il aurait demandé six ans de prison ferme, alors que selon un juriste comorien joint par Masiwa, la diffamation peut être punie d’un an maximum d’emprisonnement et le cyberharcèlement de 5 ans maximum. Il a sans doute cumulé les deux peines. Et lui non plus n’a pas besoin de montrer qu’il y a eu un cyberharcèlement ni les conséquences sur la Trésorière du parti au pouvoir. C’est une évidence que tout le monde doit accepter.
Victime et prophète
Quant à l’avocat de Bachar, Me Djamal-Edine Bacar, il estime que son client est une victime, contraint par son handicap à chercher de l’argent partout et donc à accepter d’insulter n’importe qui, pourvu qu’on le paie. Un mercenaire moderne, qui, à défaut d’épée ou de mitraillette, porte des mots pour d’autres. Mais, pour l’avocat, son client est un « prophète », grâce à qui le pouvoir en place va connaître « les traitres ». Il mériterait presque la reconnaissance du régime. Et nous comprenons à travers ses paroles que Bachar a fait un accord pour donner les noms de ceux qui lui ont fourni des informations sur les personnalités du pouvoir, et peut-être aussi éviter les méthodes d’interrogation des Renseignements comoriens qui conduisent à des tortures.
Nourdine Mparti sera certainement poursuivi, après les investigations, pour d’autres accusations. Une saison qui tient les Comoriens déjà en haleine : vivement le deuxième épisode. En attendant, rendez-vous jeudi prochain pour le verdict.