Le paysage politique comorien est en ébullition, secoué par une candidature qui interpelle plus qu’elle n’enthousiasme : celle du fils du président Azali, prétendant au poste de député de Hambou. Ce jeune homme, décrit par certains comme inexpérimenté, peu éloquent et dépourvu de charisme, aspire à représenter une région en crise, malgré un bilan désastreux de son père dans cette même région.
Par ABDOURAHIM Bacari
Depuis des mois, le microcosme politique comorien s’interroge. Pourquoi un homme qui a récemment été doté de pleins pouvoirs au sein de l’exécutif par un décret présidentiel ambitionne-t-il soudainement un poste parlementaire ? Ce parcours inverse de la logique habituelle suscite des soupçons. La thèse qui domine est que cette manœuvre s’inscrit dans un plan familial savamment orchestré : son élection à Hambou ne serait qu’une étape vers sa nomination comme vice-président de l’Assemblée nationale, une fonction stratégique qui pourrait préparer sa succession présidentielle.
Une région oubliée par le pouvoir
Mais au-delà des intrigues politiques, les habitants de Hambou posent une question fondamentale : qu’a fait le président Azali pour cette région durant ses années au pouvoir ? La réponse est sans appel : presque rien. Hambou illustre l’une des facettes les plus marquantes de l’abandon étatique aux Comores. La région manque cruellement d’infrastructures de base. Il n’y a aucun lycée public pour offrir une éducation accessible et de qualité aux jeunes, les obligeant à se déplacer vers d’autres localités ou à abandonner leur scolarité. Pas de marché communal pour stimuler une économie locale pourtant pleine de potentiel. Pas d’hôtel pour encourager le tourisme et accueillir des visiteurs dans une région pourtant riche en histoire et en culture. De même, aucune infrastructure sportive ou culturelle n’a vu le jour : pas de gymnase pour permettre aux jeunes de s’épanouir par le sport ni de centres culturels pour préserver et transmettre le riche patrimoine de Hambou. L’absence de jardins publics prive les habitants d’espaces de détente et de socialisation, contribuant à un sentiment général de négligence. Cette situation d’abandon a des conséquences dramatiques. Le chômage des jeunes atteint des niveaux alarmants, favorisant la montée de la délinquance juvénile. Des fléaux tels que l’alcoolisme et le banditisme s’installent dans le paysage quotidien, sans qu’aucune politique publique cohérente ne soit mise en place pour y faire face. La jeunesse de Hambou, pourtant dynamique et dotée d’un grand potentiel intellectuel, se sent trahie et abandonnée par un État qui semble ignorer ses aspirations. Paradoxalement, Hambou est connue pour abriter une élite intellectuelle respectée et compétente. Pourtant, le président Azali semble choisir d’ignorer cette richesse humaine. Il ne s’appuie pas sur les cadres et intellectuels de Hambou pour occuper des postes de responsabilité ou pour contribuer au développement de leur propre région. Au contraire, il s’appuie sur une stratégie de division : il divise les familles et les communautés locales pour asseoir son pouvoir et neutraliser toute opposition. Ce jeu politique cynique ne fait qu’aggraver les fractures sociales, sapant le tissu communautaire de Hambou et réduisant encore les perspectives d’un développement harmonieux. Ainsi, Hambou se trouve dans un état paradoxal : une région dotée de citoyens talentueux et ambitieux, mais empêtrée dans un marasme économique et social orchestré par un pouvoir central qui concentre les ressources entre les mains d’un cercle restreint, principalement issu de la ville natale de la famille présidentielle. Cette politique de marginalisation et de mépris alimente la frustration et le sentiment d’injustice des habitants, les plongeant dans un désespoir grandissant.
Un candidat mal armé pour relever le défi
Dans ce contexte, la candidature du fils du président suscite un scepticisme grandissant. Les critiques à son encontre se multiplient, et pour cause : son manque d’expérience politique, son éloquence limitée et son absence de vision claire pour la région ne cessent de lui être reprochés. À Hambou, où les défis sont nombreux et urgents, les habitants ne voient en lui aucune capacité à apporter des solutions concrètes. Il n’a proposé aucune politique en matière d’habitat ou de logement, par exemple, pour permettre aux jeunes d’avoir accès au foncier, une question pourtant essentielle dans une région en proie au chômage et à l’exclusion sociale. Le fils du président semble être à l’image de son père : dépourvu d’idée pertinente et incapable d’incarner le changement attendu. Son arrogance et son attitude hautaine, régulièrement dénoncées par les habitants, ne font qu’accentuer la distance entre lui et les électeurs. Dans une région où le sentiment d’abandon est profondément enraciné, il apparaît déconnecté des réalités locales et des préoccupations quotidiennes des citoyens. Comment un homme perçu comme distant, insensible et peu charismatique pourrait-il relever les défis colossaux auxquels Hambou est confrontée ? Son style de campagne ne fait qu’amplifier les doutes. Derrière le déploiement ostentatoire de moyens financiers et médiatiques, rien ne semble indiquer une volonté sincère d’écouter et de répondre aux préoccupations des habitants. Au contraire, tout dans sa démarche donne l’impression d’une opération purement cosmétique, orchestrée pour masquer son incompétence et son manque de légitimité. Ses discours manquent cruellement de substance et de profondeur, tandis que ses promesses paraissent creuses et irréalisables dans une région qui n’a vu aucun changement significatif sous l’ère Azali.
Les meetings du fils du président sont une autre source de controverse. Plutôt que de refléter un véritable engouement populaire, ils apparaissent comme des spectacles fabriqués de toutes pièces pour donner l’illusion d’une popularité inexistante. La présence massive des membres du gouvernement, notamment le ministre des Finances et du Budget, le ministre de la Défense, ainsi que des directeurs des grandes sociétés d’État, ne passe pas inaperçue. Ces figures du pouvoir central sont mobilisées pour gonfler artificiellement l’audience de ses rassemblements. À cela s’ajoute la participation de la Première Dame, dont la présence vise clairement à conférer une aura institutionnelle à cette campagne. Ces manœuvres s’accompagnent d’un effort logistique important : des bus remplis de personnes, souvent transportées de villes voisines ou même de régions éloignées, viennent grossir les foules, donnant l’impression d’un candidat aimé et apprécié par la région. Cependant, les habitants de Hambou ne sont pas dupes. Derrière cette mise en scène, ils perçoivent un manque flagrant d’authenticité et une absence totale de connexion avec les véritables enjeux locaux. Loin de renforcer la crédibilité du candidat, ces démonstrations de force orchestrées par le pouvoir central ne font qu’accentuer la méfiance. Pour les électeurs de Hambou, ces rassemblements éclatants, mais vides de sens ne sont qu’une preuve supplémentaire du décalage entre les préoccupations réelles de la population et les ambitions personnelles du fils du président, soutenues par une machine politique qui semble mépriser les besoins fondamentaux de la région.
Une démocratie en péril
Les circonstances entourant cette candidature ajoutent une couche supplémentaire d’opacité et de controverse. La Commission électorale nationale indépendante (CENI), pourtant censée garantir la transparence et l’équité du processus électoral, est accusée d’avoir écarté un adversaire sérieux du fils du président pour faciliter son élection. Ce geste, perçu comme une manipulation flagrante, illustre la dérive autoritaire du régime en place, où les institutions politiques sont systématiquement piétinées au profit d’intérêts personnels et dynastiques.
Le président Azali Assoumani n’en est pas à son coup d’essai. Lors des précédentes élections, il a usé et abusé de stratagèmes antidémocratiques pour parvenir au pouvoir. Des accusations de tripatouillage électoral, des emprisonnements d’opposants politiques, et un musellement brutal des libertés d’expression et de presse ont marqué ses mandats. Ces pratiques répressives n’ont pas seulement érodé la confiance des Comoriens envers les urnes, elles ont également sapé les fondements mêmes de la démocratie dans le pays. Aujourd’hui, beaucoup perçoivent la candidature de son fils comme l’aboutissement d’un projet soigneusement orchestré en coulisses : une succession familiale déguisée en élection, avec les mêmes méthodes antidémocratiques pour en assurer le succès. En vérité, ce n’est un secret pour personne : Azali prépare depuis des années son fils à prendre le relais. Ce rêve dynastique s’appuie sur un contrôle étroit des institutions étatiques et sur une neutralisation systématique de toute opposition crédible. Pendant que les Comoriens sont accablés par les difficultés du quotidien, les ressources de l’État sont utilisées pour pérenniser un pouvoir familial. Et aujourd’hui, alors que le président lui-même est malade et doit s’absenter pour recevoir des soins, il ne fait confiance à personne d’autre que son propre fils pour lui succéder. Cette absence de confiance envers les cadres compétents du pays illustre à quel point Azali a réduit la gestion des affaires publiques à un cercle restreint de proches et de fidèles, excluant les talents et les compétences issus d’autres horizons.
Cette situation met les habitants de Hambou, et plus largement les Comoriens, face à un dilemme historique. Accepteront-ils de voir leurs institutions réduites à de simples outils au service d’une ambition dynastique ? Fermeront-ils les yeux sur le bilan désastreux de l’actuel pouvoir dans la région de Hambou, marquée par une absence totale de développement, au profit d’une continuité familiale dépourvue de vision et de légitimité ? Ou exigeront-ils des comptes ? Les électeurs sont désormais appelés à choisir entre la résignation et la résistance. Ils doivent décider s’ils veulent être les spectateurs passifs d’une mise en scène où le pouvoir se transmet de père en fils, ou s’ils se lèveront pour réclamer une véritable alternance politique. Ce n’est pas seulement l’avenir de Hambou qui est en jeu, mais celui de toute la nation comorienne, qui risque de sombrer davantage dans un système où les intérêts familiaux et le népotisme priment sur le bien commun et la démocratie.
Un appel à la vigilance
Ce débat dépasse de loin les frontières de Hambou. Il s’agit d’un test pour la démocratie comorienne, de sa capacité à résister aux dérives autoritaires et aux tentatives de concentration du pouvoir entre les mains d’un clan. Les institutions, en particulier la CENI et la Cour constitutionnelle, doivent faire preuve d’une impartialité sans faille. Quant aux électeurs, ils doivent poser les bonnes questions : quel avenir veulent-ils pour Hambou ? Un avenir marqué par des institutions fortes et transparentes, ou un avenir où les ambitions personnelles d’une famille continuent d’éclipser les besoins du peuple ? Le fils du président Azali pourrait-il relever les défis de Hambou alors même que son père n’a rien fait pour la région ? Peut-on confier un mandat aussi crucial à un homme perçu comme hautain et déconnecté des réalités locales ? Ces interrogations, si elles ne trouvent pas de réponses claires, pourraient marquer un tournant décisif pour Hambou et pour l’avenir politique des Comores.