Le chef de l’État, Azali Assoumani, a agité récemment l’idée d’une réconciliation politique. Ce n’est pas la première fois. Il l’a fait à chaque fois qu’il voulait la participation de l’opposition aux élections, et même en 2018 avant les Assises qui allaient aboutit à une modification profonde de la Constitution. L’ex-candidat du parti Juwa aux présidentielles de 2024, Dr Issa Salim, semble avoir intégré l’idée et fait ici des propositions dans ce sens.
Par Propos recueillis par Hachim Mohamed
Masiwa – Pendant la journée de réflexion organisée à Dar-Nadjah, le 19 juillet, le chef de l’État a évoqué la réparation des erreurs de gouvernance et proposé un bilan de l’Accord de Fomboni de 2001. Quelle lecture faites-vous de cette affirmation ?

Issa Salim – Il ne s’agit là que de politique politicienne. S’il était réellement question de réparer les erreurs de gestion, il faudrait les lier non pas aux Accords de Fomboni, mais bien à la mauvaise gouvernance chronique dont ce régime s’est rendu coupable. Faire le bilan des accords de Fomboni était, en réalité, le leitmotiv de ses assises qualifiées de « nationales », mais qui ne l’ont jamais été dans les faits. Tout le monde connaît la suite : aucune conclusion de ces assises n’a été appliquée, hormis la révision constitutionnelle menée en violation flagrante de la loi (suppression de la Cour constitutionnelle, référendum boudé par les Comoriens, élections présidentielles et législatives de 2019, 2020, 2024 et 2025 organisées dans des conditions inédites et contestées). Les résultats, nous les vivons aujourd’hui : absence de vision, blocage du développement, discours changeants de l’Émergence au Renouveau, mais jamais de véritables perspectives pour le pays. En moins de sept ans, Azali veut remettre en cause ce qu’il a lui-même imposé pour s’accrocher au pouvoir ? La logique voudrait plutôt qu’il s’efface.
Masiwa – Croyez-vous au discours du pardon et de la repentance dans le processus de réconciliation de la part du président ?
Issa Salim- Je n’ai pas entendu Azali prononcer un véritable discours de pardon ou de repentance. Mais, même s’il le faisait, il faut distinguer les paroles des actes. Malheureusement, son habitude est de ne jamais traduire ses déclarations en réalité. Ses promesses sont comme les nuages qui ne passent sans jamais donner de pluie. Le pardon ne peut exister que si l’on cesse d’abord de nuire. Or, ce régime continue de persécuter, d’emprisonner et de diviser. Comment parler de réconciliation dans un tel contexte ? En revanche, lorsque les auteurs de violations reconnaissent sincèrement leurs torts, expriment des remords et demandent pardon, alors oui, il devient possible d’accorder le pardon. Mais encore faut-il commencer par des actes concrets.
Masiwa – Parmi les options possibles de réconciliation, laquelle privilégiez-vous ?
Issa Salim – À mon sens, les options ne s’excluent pas, mais peuvent se compléter. La médiation et le dialogue entre les parties prenantes peuvent faciliter la compréhension mutuelle et la recherche de solutions. Premièrement, la médiation implique les principaux acteurs qui ont dirigé le pays. J’ai fait allusion aux trois présidents qui sont encore vivants, à savoir Azali Assoumani, Mohamed Abdallah Sambi et Ikililou Dhoinine. Ces trois personnalités doivent reconnaitre leurs erreurs en se regardant dans la glace et fumer le calumet de la paix ensemble. Cette option est suivie d’une Commission Vérité et Réconciliation. L’essentiel, c’est la sincérité. S’il y a une volonté réelle de tourner la page, peu importe la formule choisie, l’important est de se dire les choses en face et de repartir sur des bases solides.
Masiwa – Quelles autres étapes vous semblent nécessaires une fois les torts reconnus et condamnés ?
Issa Salim – Une fois les faits reconnus, condamnés et des mesures prises pour éviter leur répétition, il ne reste plus qu’à garantir l’efficacité de ces engagements. L’étape capitale consiste à mettre en place des mécanismes de prévention solides afin que les mêmes erreurs ne se reproduisent pas. La stratégie doit être claire : reconnaissance, condamnation, prévention.
Masiwa – Quelle forme peut prendre cette reconnaissance ?
Issa Salim – Au-delà des mots, il faut des gestes publics. Les déclarations officielles devant les victimes et la nation sont importantes, mais elles doivent être accompagnées de programmes éducatifs avec ou sans commémorations suivant le cas. C’est vrai qu’il y a des questions beaucoup plus importantes et urgentes à régler pour consolider notre démocratie, comme sensibiliser les générations futures aux conséquences des divisions et des conflits. En tout état de cause, voilà une approche qui vise à consolider et compléter les acquis politiquement.
Masiwa – Quelle est la position de votre parti Juwa dans ce processus ?
Issa Salim – Je ne suis pas mandaté pour parler officiellement au nom du parti, mais ce que je peux affirmer, c’est que Juwa a toujours soutenu les initiatives allant dans le sens de la paix, de la cohésion et du développement. Le parti est prêt à participer à toute démarche sincère qui vise à la guérison collective. Nous croyons fermement que le développement des Comores ne peut advenir que dans la stabilité, avec une volonté politique réelle et une bonne foi partagée.
Masiwa – Cette question a-t-elle été discutée au sein de l’opposition unie ?
Issa Salim – Vous voulez dire dans nos changes internes. Cette affaire de réconciliation n’a pas été expressément abordée, ce n’est pas encore le cas, mais c’est une question centrale.
Masiwa – Comment liez-vous réconciliation et élections de 2029, avec une tournante prévue à Anjouan selon la Constitution ?
Issa Salim – La réconciliation et les élections de 2029 sont intimement liées.
La tournante a beau avoir 24 ans, les déchirements moraux qui l’entourent sont toujours latents. Il ne s’est rien passé de concret, si ce n’est les manœuvres machiavéliques d’un homme, Azali, qui a voulu coûte que coûte confisquer le pouvoir au détriment de la paix et de la cohésion. La Constitution a été bafouée, la justice instrumentalisée, les opposants réprimés, les institutions réduites au silence. Comment espérer des élections libres et crédibles dans un tel climat ? C’est précisément là que la réconciliation prend tout son sens et non un changement constitutionnel, comme pourrait le tenter Azali. Elle est le socle qui permettra, en 2029, à l’Anjouanais choisi par le peuple de diriger le pays conformément aux Accords de Fomboni. Cela ne pourra pas se faire à coups de tromperies, mais par des élections libres et transparentes. Si Azali veut réellement la paix et la stabilité qu’il proclame partout, il doit poser des actes forts : respecter la Constitution et ouvrir sans délai la voie à une alternance démocratique. Comme le dit un proverbe comorien, « Celui qui ferme la porte de la justice ouvre celle du chaos ».















