Achmet Saïd Mohamed, leader du parti HURY, a été libéré ce samedi 3 mai, après presqu’un an et demi d’emprisonnement dans des conditions très difficiles. Il s’agit d’une libération provisoire qui ne sera certainement jamais suivie d’un jugement, mais qui condamne l’opposant à ne plus pouvoir s’exprimer sur la place publique et donc à ne plus faire de la politique.
La chambre d’accusation de la Cour de Sûreté de l’État a examiné une nouvelle fois une demande de mise en liberté du leader du parti HURY, Achmet Saïd Mohamed, samedi 3 mai 2025. Cette fois, cette juridiction, dont nombre de juristes comoriens et étrangers ont montré qu’elle n’a plus d’existence légale a statué favorablement à la demande de Me Djamal el-dine Bacar, avocat de l’opposant accusé d’atteinte à la sûreté de l’État. Achmet Saïd Mohamed a donc été libéré en attendant son procès, qui n’aura sans doute jamais lieu.
En effet, jusqu’à maintenant, le pouvoir en place a utilisé la justice, et particulièrement la Cour de sûreté, dans trois stratégies différentes pour réprimer et éliminer ses opposants les plus sérieux. La première stratégie a consisté après une longue détention, au-delà de ce que prévoit la loi, c’est-à-dire huit mois au maximum, à juger l’opposant, à l’enfermer et à ne plus envisager sa libération, surtout s’il conteste le jugement et ne veut pas le crédibiliser en formulant une demande de grâce. C’est le cas le plus rare, appliqué à l’ancien président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi ou l’ancien Gouverneur d’Anjouan, Abdou Salami, jugés trop populaires.

La justice comorienne, une machine à broyer les opposants
La deuxième stratégie consiste à faire condamner les opposants par la Cour de Sûreté, puis à les obliger directement ou par l’intermédiaire de notables à réclamer une grâce présidentielle que le chef de l’État, Azali Assoumani, s’empresse d’accepter, parce que le prisonnier (ou ses proches) s’engage à ne plus parler de politique. C’est ce qui est arrivé à Saïd Ahmed Saïd Tourqui (SAST) ou Me Bahassane Ahmed, le frère de l’ancien vice-président Djaffar Ahmed qui ne parlent plus de politique. Des notables se sont engagés pour qu’Azali Assoumani leur accorde la grâce présidentielle.
Et enfin, la troisième stratégie est celle qui a été appliquée à Achmet Saïd Mohamed et avant lui à de nombreux militants du parti HURY : après une longue détention destinée à casser l’homme politique, il obtient de la Cour une libération provisoire, en attendant son jugement. Mais, avant ce jugement (qui ne sera jamais programmé), il est éliminé de toute vie politique.
Ils sont à présent plus d’une vingtaine de membres du parti HURY en « liberté provisoire » depuis plusieurs années. Et il est possible qu’ils ne soient jamais jugés. Chamsoudine Soudjay, Ingénieur Informatique, Ahmed Msahazi, Doctorant Chimiste et Saleh Assoumani, expert-comptable, ont tous été arrêtés pour atteinte à la sûreté de l’état. Ils ont fait cinq mois de prison ferme sans procès et ont été libérés le 28 août 2019 sans jugement, mais avec un contrôle judiciaire particulièrement difficile. Il leur était interdit d’être présents dans une réunion ou de faire des publications dans les réseaux. Saleh Assoumani a refusé ces mesures restrictives. Il a été de nouveau appréhendé et remis en prison le 1er octobre 2019 après avoir publié un poste sur Facebook. Il sortira de prison en juin 2021, sans jugement préalable également, mais avec une autorisation d’aller se soigner à l’hôpital.
Un autre groupe de militants composé d’Azali Ahamada Himidi, docteur en toxicologie, Nizar Ahamada, Chirurgien, Youssouf Boinaheri, docteur en Droit, docteur Kaou, Enseignant-Chercheur et docteur Hassane Mohamed, sont tous sous contrôle judiciaire pour complicité d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Ils ont aussi interdiction de voyager, de se réunir et de faire des publications dans les réseaux sociaux. Ces mesures ont été levées après trois ans de pointage au tribunal, mais aucun d’eux n’a été jugé.
Sept autres membres du parti HURY ont été arrêtés le 16 janvier 2024 après la révolte du 14 janvier, consécutive aux fraudes pendant les élections présidentielles, sept mois après ils ont retrouvé aussi la liberté sans jugement préalable. Comme pour tous les autres militants, aucun n’a été condamné par la justice, mais ils ont été privés de leurs droits les plus élémentaires et pour certains et torturés.
L’élimination d’un opposant sérieux
Tous ces précédents montrent qu’Achmet Saïd Mohamed n’est pas prêt à refaire de la politique, du moins tant que le régime actuel reste en place. Cette libération place, en réalité, l’opposant dans une autre sorte de prison, une prison à ciel ouvert. Si on se base sur les restrictions imposées aux autres membres de HURY, Achmet Saïd Mohamed n’a pas le droit de sortir du pays. Il est obligé d’aller « pointer » à la Justice au moins une fois par semaine. Il ne peut plus s’exprimer publiquement sur la politique, ni dans les médias classiques ni dans les réseaux sociaux. Autant dire que son activité d’homme politique est entravée.
Encore une fois, la justice comorienne et les juges perdent toute crédibilité et apparaissent comme les hommes liges d’un pouvoir politique obligé d’enfermer ses opposants pour continuer d’exister. Après avoir repris mot à mot les conclusions du service de renseignement qui a usé de la torture pour obtenir des aveux, les juges avaient accusé Achmet Said Mohamed d’avoir préparé des attentats et voilà qu’il bénéficie d’une libération provisoire. Comment peut-on encore prendre au sérieux des juges qui libèrent un homme qu’ils ont auparavant désigné eux-mêmes comme l’ennemi public n°1 ?
Nous rappelons qu’Achmet Saïd Mohamed a été enlevé en pleine rue, le 9 janvier 2024, par des hommes cagoulés. Il a été gardé pendant plusieurs jours par les services de renseignement, soumis à la torture, sans que personne ne sache où il se trouvait. Il a ensuite été remis à la justice qui a rendu public un audio présenté comme une preuve que l’opposant était en train de préparer des attentats dans le pays. Il est également accusé de complot contre l’État.
Un an après son emprisonnement, en janvier dernier, il avait entamé une grève de la faim pour demander soit un jugement, soit une libération. Hospitalisé d’urgence, il a dû interrompre sa grève de la faim.