Mon séjour aux Comores m’a permis d’analyser en profondeur la politique et le système de gouvernance du pays, et d’en dégager certaines perceptions. Depuis l’investiture de mai 2024, une vague de décrets a été adoptée, accompagnée d’une nouvelle vision de la gestion de l’État. Cette série de nominations massives répond aux promesses maintes fois répétées par le parti au pouvoir durant la campagne électorale. Cependant, un problème persiste.
HOUDAIDJY SAID ALI, Juriste publiciste et Internationaliste, Paris – France
Tout d’abord, il est crucial de rappeler que la politique n’est pas un jeu d’enfant, mais une affaire d’intelligence et de stratégie. Définir ce concept complexe peut donner lieu à une multitude d’approches et de définitions. La politique englobe non seulement les campagnes électorales et les promesses faites aux électeurs, mais aussi les stratégies de financement et les dynamiques de pouvoir. À partir de cette perspective, il est essentiel de mettre en lumière les risques auxquels s’exposent les acteurs politiques comoriens, ainsi que les difficultés rencontrées par la plupart des dirigeants, en particulier ceux qui affichent un désir sincère de servir le pays et d’en favoriser le développement.
Depuis quelques mois, le secrétaire général du gouvernement, M. Nour El Fath Azali, a pris une place prépondérante sur les plans politique et administratif, affichant une volonté manifeste de propulser l’Union des Comores vers un nouvel élan. Il est devenu l’une des figures incontournables du gouvernement, misant sur la jeunesse qu’il considère comme le principal atout de sa réussite politique. En confiant ainsi une part importante de ses espoirs à la jeunesse, le parti au pouvoir cherche à insuffler une dynamique nouvelle. Toutefois, cette stratégie suscite des interrogations quant à sa viabilité à long terme, et laisse présager des turbulences politiques à venir.
Il convient de rappeler que le président Azali Assoumani dirige le pays depuis 2016. Son ascension à la présidence a été facilitée par une coalition politique qui a surpassé Mohamed Ali Soilih, alors vice-président sous la présidence d’Ikililou Dhoinine, ainsi que l’ancien gouverneur de l’île de Ngazidja, Mouigni Baraka Said Soilih. Le parti CRC a bénéficié d’un soutien considérable, notamment de l’ancien président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, du parti Orange dirigé par l’ancien ministre de l’Intérieur, Mohamed Daoud dit Kiki, et d’autres acteurs influents. Cette solide alliance, conjuguée à une stratégie politique avisée et au soutien massif de la population, avait pour objectif principal de faire obstacle au parti en place.
Les défis de la nouvelle politique
La révision de la Constitution en 2018 a marqué un tournant, accompagnée d’élections anticipées intégrées dans le cadre du projet d’émergence 2030. Cette démarche a suscité de vives critiques, notamment de la part de politiciens anjouanais, qui accusaient le président Azali d’adapter la Constitution à son avantage. Par ailleurs, l’arrestation de l’ancien président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, qui avait soutenu Azali en 2016, a également secoué la scène politique comorienne. Cependant, le président a su s’appuyer sur des alliés fidèles, parmi lesquels un directeur de cabinet loyal, un porte-parole en la personne de Houmed Msaïdié, et un ministre de l’Intérieur prêt à défendre ses intérêts. Cette équipe l’a notamment soutenu avec succès lors des élections de 2019, où il a une fois de plus triomphé.
Depuis 2021, des événements ont de nouveau redéfini le paysage politique, avec l’émergence de Nour El Fath Azali, fils du président, qui occupait alors le poste de conseiller avant de devenir secrétaire général du gouvernement en 2024. Si cette nomination ne constitue pas une violation de la Constitution, elle s’est accompagnée d’une révision des prérogatives renforçant son rôle central au sein de l’administration. Cette ascension a cependant suscité des jalousies et des tensions au sein de la classe politique.
Autrefois, les critiques de l’opposition faisaient partie du paysage politique habituel. Désormais, ce sont des personnalités politiques de premier plan, voire des membres du gouvernement, qui expriment leur désaccord, en particulier concernant la mise en avant de Nour El Fath Azali. Ces acteurs, qui ont gouverné avec le père, n’acceptent pas aisément de recevoir des leçons de son fils, remettant en question l’autorité de la jeune génération, pourtant déterminée à prouver ses compétences.
La situation actuelle illustre les mécanismes complexes de la politique comorienne, où l’attribution de postes résulte souvent d’accords tacites, récompensant ceux qui ont contribué au succès électoral du président. Toutefois, la résistance de la vieille garde se manifeste clairement : hormis le directeur de cabinet, surnommé Belou, les autres fidèles du président, tels que Houmed Msaïdié, ancien homme fort du régime, ont été relégués à des rôles moins influents, comme celui de conseiller politique.
Cette résistance soulève une question essentielle : les anciens responsables politiques sont-ils prêts à céder leur place ? Cette réticence à quitter la scène, fréquente en Afrique et ailleurs, où le pouvoir tend à devenir une fin en soi, pourrait bien engendrer une crise politique aux Comores. Le cas de Said Ali Chayhane, marginalisé jusqu’à se présenter en tant que candidat indépendant au poste de gouverneur de Ngazidja, illustre la difficulté de certains à accepter l’évolution du pouvoir.
Il semble d’ailleurs qu’une fracture se soit déjà installée au sein du camp présidentiel, affaiblissant progressivement le parti CRC du président. Cette situation pose la question du modèle à adopter : doit-on opter pour une démocratie authentique, une méritocratie, ou un autre système ? Quoi qu’il en soit, Nour El Fath Azali reste aujourd’hui l’une des figures centrales du parti, une position qui suscite de nombreuses oppositions.
Les risques d’une crise politique imminente aux Comores
Il est désormais temps d’évaluer les risques et d’analyser les perspectives : l’ancienne classe politique se retirera-t-elle facilement ? Telle est la question que j’ai posée à Mariama Boina, conseillère juridique du ministre des Affaires étrangères. Selon elle, le renouveau ne représente pas une simple innovation, mais constitue une dimension essentielle du parti, comme le suggère son nom même – Convention pour le Renouveau des Comores. Ce concept de renouveau, loin d’être une nouveauté, est au cœur de l’action politique du parti depuis longtemps. Mariama Boina souligne que cette continuité dans les objectifs devait exclure tout raisonnement alarmiste. Elle affirme qu’une seule et même vision guide les Comores vers l’horizon 2030, conformément à une ligne directrice suivie depuis de nombreuses années.
En évaluant les risques, une interrogation s’est imposée : la figure de Nour El Fath Azali représente-t-elle une menace pour le CRC, risquant de précipiter le président dans une situation périlleuse ? D’autres questions surgissent immédiatement.
La première concerne son expérience : est-il véritablement préparé à ce rôle ? Si les compétences techniques et administratives dont il dispose ne font aucun doute, il est en revanche prématuré de juger de ses capacités à diriger un pays. Gouverner exige plus qu’une expertise théorique ; c’est un défi qui requiert une maîtrise politique que seul le temps permettra d’évaluer. Le président, qui n’a jamais failli sur le plan stratégique, a pris ici un pari audacieux, mais il devra se montrer à la hauteur de ses précédents succès.
Il convient également de noter un signe de faiblesse du gouvernement depuis le décès du jeune Fanou. Cet événement a mis en lumière une gestion hésitante des affaires publiques, révélant un exécutif encore en quête de maîtrise politique. En effet, la pratique du pouvoir aux Comores diffère des principes démocratiques traditionnels, et cette crise a mis en évidence un manque de solidarité au sein de l’équipe gouvernementale. Contrairement à l’ancienne classe politique, où les figures comme Houmed Msaïdie savaient tempérer les débats et désamorcer les polémiques, le gouvernement actuel semble éprouver des difficultés à combler ce vide laissé par les prédécesseurs.
La deuxième préoccupation se manifeste à travers la faiblesse et l’inexpérience dont certains peuvent faire preuve. Il est essentiel de comprendre qu’obtenir des diplômes et des compétences ne suffit pas à faire de quelqu’un un bon gouvernant. Gouverner est un véritable art qui dépasse la simple maîtrise académique.
Lors de cette « tragédie Fanou », je me suis interrogé, à distance, sur les motivations réelles de l’individu impliqué. Agissait-il véritablement de son propre chef ? Une analyse pessimiste des récents développements politiques m’amène à m’interroger : se pourrait-il que l’ancienne classe dirigeante ait tenté d’attenter à la vie du président ? Ce scénario mérite d’être pris au sérieux, car il pose une question légitime : ces anciens politiciens sont-ils réellement prêts, dans leur for intérieur, à se retirer de la scène et à laisser la place à la jeunesse ? Sont-ils disposés à permettre à Nour El Fath de diriger une nouvelle génération, perçue comme la force motrice du gouvernement ? Il est d’ailleurs troublant de constater qu’un tel acte n’avait jamais été observé auparavant, alors même que les critiques envers le président ne sont pas récentes. Pourquoi ce changement d’attitude précisément à ce moment où la classe politique se renouvelle ?
Il est également légitime de s’interroger sur les raisons pour lesquelles l’individu a été exécuté aussi rapidement. Je ne m’exprime pas ici sur les modalités de cette exécution, mais sur la rapidité avec laquelle elle s’est déroulée, ce qui ne peut manquer de susciter l’étonnement. Cette célérité est-elle le signe d’un État fort, ou bien cache-t-elle la volonté de certains responsables de dissimuler leur implication dans la tentative d’assassinat du président ? Bien qu’il soit difficile de le prouver, il est crucial de ne pas écarter cette hypothèse compte tenu du contexte.
Enfin, il est envisageable que cette situation résulte d’une manœuvre de personnes malveillantes cherchant à s’emparer du pouvoir, en réaction à la nouvelle orientation politique ou à la mise en avant de Nour El Fath Azali. Une telle démarche pourrait plonger le pays dans une crise politique d’une ampleur inédite.