Par Azhar de Youssouf*
Le monde assiste aujourd’hui à une escalade inquiétante des tensions entre l’État d’Israël et la République islamique d’Iran. Entre menaces ouvertes, frappes ciblées et guerre d’influence régionale, les deux puissances avancent sur une voie qui ne peut que mener à la ruine – non seulement pour leurs peuples respectifs, mais aussi pour l’humanité tout entière.
Dans la guerre qui oppose Israël et Iran, il n’y aura ni gagnant ni libérateur, seulement des morts, des ruines et des générations traumatisées. Aucune nation, aucune religion, aucun système politique n’a intérêt à l’anéantissement de l’autre. Lorsque des bombes frappent des hôpitaux, que des enfants fuient sous les décombres, que des familles sont brisées et que les mémoires collectives sont meurtries, c’est une parcelle de notre humanité commune qui s’effondre.

La guerre entre ces deux États ne peut aboutir à aucune paix durable, car elle repose sur la haine, la peur et la réciprocité dans la violence. Détruire l’autre, c’est se détruire soi-même. Israël ne deviendra pas plus sûr si l’Iran est réduit en cendres. L’Iran ne gagnera rien à voir Tel-Aviv engloutie par les flammes. Ce sont les peuples, les civils innocents, qui paient toujours le prix fort.
Deux États bâtis sur une idéologie religieuse
L’un des éléments les plus préoccupants dans ce conflit réside dans les fondements mêmes de ces deux États : ils sont issus d’idéologies religieuses dominantes qui ont profondément structuré leur identité nationale et leur politique étrangère. Ce type d’organisation, où l’État se confond avec une croyance, est non seulement source d’exclusion interne, mais aussi un ferment de tensions régionales et internationales.
L’État d’Israël, proclamé en 1948, puise ses racines dans le mouvement sioniste, une idéologie politique née à la fin du XIXe siècle en Europe. Face à la montée de l’antisémitisme, le sionisme appelait à la création d’un État juif, où les Juifs pourraient vivre à l’abri des persécutions. Cette aspiration s’est accompagnée d’un projet de colonisation territoriale en Palestine, terre alors habitée majoritairement par des Arabes musulmans et chrétiens.
Le plan de partage de l’ONU en 1947, qui accordait une part considérable du territoire palestinien à l’État juif naissant, a été perçu comme une injustice par les populations arabes. La création d’Israël a ainsi été marquée par la Nakba, l’exode forcé de centaines de milliers de Palestiniens.
Le sionisme, dans sa forme politique et étatique a instauré un régime où la religion juive devient un élément structurant de la citoyenneté, de l’identité nationale et des droits. L’État d’Israël se définit comme « juif et démocratique »,une formule paradoxale quand on sait que plus de 20 % de sa population est arabe – musulmane, chrétienne ou druze – et que des millions de Palestiniens vivent sous occupation militaire sans citoyenneté ni droits égaux.
Cette instrumentalisation de la foi au service d’un projet territorial et militaire a fait du sionisme non plus un simple refuge, mais un projet hégémonique. À mesure que les gouvernements israéliens se radicalisent – comme en témoigne l’expansion continue des colonies en Cisjordanie ou la loi sur l’État-nation de 2018 –, le sionisme devient une idéologie d’exclusion, qui justifie la violence par la promesse biblique et sacralise les frontières par le récit religieux.
En face, l’Iran est l’exemple achevé d’un régime théocratique chiite. En 1979, la révolution islamique, menée par l’ayatollah Khomeini, renverse le régime monarchique du Shah – soutenu par les puissances occidentales – et instaure une République islamique.
Depuis cette date, l’Iran est gouverné par un système dans lequel le Guide suprême – une autorité religieuse – est plus puissant que le président élu. La législation, la justice, l’armée, les médias et même la diplomatie sont encadrés par une lecture chiite de l’islam. Là encore, l’uniformisation religieuse est érigée en système politique, marginalisant les minorités sunnites, chrétiennes, bahaïes ou athées. Des voix dissidentes sont réduites au silence, et l’idéologie islamique devient une arme d’État.
De plus cette théocratie chiite développe une diplomatie « de la résistance » qui cherche à exporter son modèle au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen. Elle inquiète alors non seulement Israël, mais aussi les grandes puissances sunnites de la région comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis ou l’Égypte.
Une région prise en otage par deux visions religieuses opposées
Au Moyen-Orient, le conflit israélo-iranien ne peut donc se résumer à une opposition politique. Il prend une dimension idéologique dangereuse. D’un côté, un sionisme politique qui sacralise la terre d’Israël et voit toute opposition comme une menace existentielle ; de l’autre, un chiisme révolutionnaire qui rêve d’un islam politique dominant et s’oppose frontalement au sionisme et à l’influence occidentale.
Ce choc entre deux visions religieuses exclusives se traduit sur le terrain par des guerres indirectes. Il alimente aussi une autre fracture : celle entre l’Iran chiite et les régimes sunnites du Golfe, qui redoutent sa montée en puissance. Ainsi, l’Iran se retrouve confronté à une coalition régionale informelle, soutenue par les États-Unis et Israël, qui voit dans la République islamique une menace à contenir à tout prix.
Le danger est immense. Car ce sont deux États où la religion devient un instrument d’identité nationale, de légitimité militaire et d’expansion géopolitique.
Or, un État digne de ce nom doit pouvoir accueillir en son sein la diversité.
Il est temps que les dirigeants israéliens et iraniens, au lieu de nourrir la haine, ouvrent les yeux sur la richesse de la diversité humaine.
En définitive, si la guerre entre Israël et l’Iran continue, ce n’est pas une victoire militaire qu’il faut attendre, mais une défaite morale pour l’ensemble de l’humanité. Et si la paix doit un jour naître, ce sera à partir de ce principe simple : seule l’humanité partagée peut nous sauver.
Les États-Unis, chef d’orchestre ou pyromane géostratégique ?
Il est impossible de comprendre la conflictualité persistante entre Israël et l’Iran sans évoquer le rôle central – et parfois trouble – des États-Unis. Washington n’a jamais été un acteur neutre dans le théâtre du Moyen-Orient. Bien au contraire, les États-Unis ont joué un rôle d’accélérateur dans la polarisation religieuse et géopolitique qui oppose l’État d’Israël à la République islamique d’Iran.
Depuis sa création en 1948, Israël bénéficie d’un soutien inconditionnel de la part des États-Unis. Ce partenariat stratégique, fondé autant sur des affinités culturelles que sur des intérêts militaires et géopolitiques, se traduit par une aide financière et militaire colossale : des milliards de dollars annuels injectés dans l’armement israélien, un accès privilégié aux technologies américaines les plus avancées, et un veto systématique de Washington contre toute résolution de l’ONU qui condamnerait les exactions israéliennes en Palestine.
Ce soutien indéfectible a contribué à l’arrogance stratégique de l’État israélien, convaincu de pouvoir agir en toute impunité. Il explique en partie l’expansion illégale des colonies, les interventions militaires à Gaza, au Liban ou en Syrie, et aujourd’hui, les frappes contre les positions iraniennes dans toute la région.
En parallèle, depuis la Révolution islamique de 1979, les États-Unis considèrent l’Iran comme un ennemi à abattre. L’occupation de l’ambassade américaine à Téhéran, la montée d’un islam politique anti-occidental, puis l’ambition nucléaire iranienne ont fait de l’Iran un épouvantail idéal pour les États-Unis.
Les sanctions économiques, les cyberattaques, les opérations d’assassinats ciblés (comme celui du général Qassem Soleimani en 2020), la dénonciation de l’accord nucléaire de 2015 par Donald Trump – tout cela a contribué à radicaliser le régime iranien et à exacerber sa stratégie de confrontation avec Israël et ses alliés sunnites dans la région. Les États-Unis jouent ainsi un double jeu : garants de la paix dans le discours, mais acteurs de guerre dans les faits.
Une région piégée dans une géopolitique du chaos
Le conflit Israël–Iran dépasse le cadre de ces deux États : il s’inscrit dans une géopolitique de blocs antagonistes, où chaque puissance régionale se positionne en fonction de son appartenance religieuse, de ses alliances stratégiques et de ses ambitions territoriales.
L’Iran, chef de file du chiisme politique, a tissé autour de lui un réseau d’alliances idéologiques et militaires. Ce réseau constitue ce que l’on appelle “l’axe de la résistance”, censé s’opposer à l’impérialisme américain et israélien.
Face à cet axe, on trouve un bloc sunnite pro-américain, emmené par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Jordanie et, de plus en plus, des pays naguère hostiles à Israël, mais qui normalisent désormais leurs relations avec Tel-Aviv, comme c’est le cas avec les Accords d’Abraham.
Ce climat d’affrontement, entretenu par les rivalités religieuses et alimenté aussi par des intérêts économiques, transforme la région en une zone de guerre permanente, où aucun compromis n’est possible.
Les populations civiles : premières victimes d’un conflit sans fin
Ce sont toujours les peuples qui paient le prix fort des ambitions des puissants.
En Palestine, les habitants de Gaza vivent sous blocus depuis plus de 15 ans, sans eau potable, sans électricité stable, exposés à des bombardements réguliers. Les civils, femmes et enfants compris, sont souvent les principales victimes des offensives israéliennes justifiées par la « sécurité ».
En Iran, les sanctions économiques imposées par les États-Unis ont asphyxié l’économie. Ce sont les citoyens ordinaires – étudiants, travailleurs, familles – qui en subissent les conséquences : hausse du chômage, pénuries de médicaments, inflation incontrôlée.
Au Liban, en Syrie, au Yémen, les guerres par procuration opposant des milices soutenues par l’Iran à des groupes armés soutenus par les sunnites ou Israël ont fait des millions de morts, déplacé des millions de personnes, détruit des infrastructures et laissé des cicatrices durables sur des sociétés entières.
En d’autres termes, pendant que les élites idéologiques, politiques et militaires se battent pour des symboles religieux et des ambitions hégémoniques, ce sont des enfants, des vieillards, des familles entières qui meurent, fuient ou survivent dans l’indifférence du monde.
(à suivre)
*L’auteur est écrivain, juriste de formation, diplômé en histoire des relations internationales et militant politique au sein du parti USHE.