Autrefois, le ministère de l’Intérieur avait été transformé en prison pour ceux qui étaient soupçonnés d’être des Sambistes notamment contre Soulard, cette fois c’est le palais présidentiel comorien, Beit-Salam, qui a servi de cellule pour torturer Ahmed Abdou dit Fanou. On aura tout vu avec la dictature d’Azali Assoumani.
Par Omar Mirali, Enseignant
Vendredi 13 septembre 2024. Il est 17h, je sors de ma salle de classe où, ironie du sort, j’enseignais l’histoire du jeune Olaudah Equiano, capturé à l’adolescence et vendu comme esclave avant d’être affranchi et de lancer un gigantesque mouvement abolitionniste en faveur de la fin de l’esclavage. J’allume mon téléphone et je découvre, au départ sans y croire, qu’Assoumani Azali avait été agressé au couteau. Je me renseigne un peu partout et l’information m’a été confirmée : Azali a bel et bien été attaqué au couteau. Il est blessé. Ma première réaction a été de dire immédiatement aux collègues autour de moi : l’assaillant présumé souffrira le martyr.
Samedi 14 septembre 2024. Très tôt le matin, la nouvelle est tombée. C’est l’effroi. Le jeune Fanou, agresseur présumé d’Assoumani Azali, est décédé. Il aurait été retrouvé mort au palais présidentiel de Beit-Salam. Cette mort est à la fois banale et exceptionnelle. Je comprends très vite qu’elle laissera des traces et que cet homme a dû subir des atrocités des plus cruelles. Elle est banale parce que ce régime, en matière de crime, a une très longue expérience et n’est pas à son premier coup d’essai. Le nombre de héros tombés sous les balles d’Assoumani Azali, si l’on en croit les chiffres de SOS Démocratie frôle aisément la trentaine. Alors, dans ce concert macabre, une victime ou deux de plus, quoi de plus ordinaire ! Cependant, mourir en plein palais présidentiel, c’est quand même peu commun. Les obligés du régime diront qu’il avait été transféré ailleurs et que sa mort est intervenue en dehors de Beit-Salam. La question restera inchangée : qu’est-ce que cet homme faisait au palais présidentiel ? Sa présence sur place est attestée et ne peut faire l’objet d’aucune contestation. Ali Mohamed Djounaid qui sert de procureur de la République l’avait reconnu lui-même dans sa conférence de presse. Le palais présidentiel comorien a donc été transformé, au moins pour quelques heures, en cellules de tortures. Une chose, là aussi banale dans ce régime. On se souvient des tristement célèbres cellules Kiki, des pièces du ministère de l’Intérieur dédiées aux tortures. C’est dans une de ces pièces que le pauvre Soulard avait été contraint de se nourrir de ses propres excréments.
Comme si la barbarie avec laquelle Fanou a été mis à mort n’avait pas suffi, le sinistre Ali Mohamed Djounaid avait été envoyé au secours, pour tenter d’éteindre le feu. En s’exprimant comme il l’a fait, c’est-à-dire avec indignité et mépris, il a mis le feu aux poudres, prenant les Comoriens pour des idiots. Le pompier a versé dans la pyromanie, le pays était à feu et à sang. Oui, Djounaid a osé. Il a osé insulter l’intelligence des Comoriens. Il s’est bien gardé de donner des détails sur les lieux de détention et d’assassinat de Fanou, comme s’il voulait à tout prix éviter d’évoquer le palais présidentiel. Par contre, sans tergiverser, il a osé insinuer que le héros national était mort de mort naturelle. Il aurait été retrouvé mort simplement. Il n’a fait aucune mention des tortures qui lui ont été infligées et encore moins, de ses tortionnaires. L’histoire retiendra le nom de cet homme, comme celui qui aura cautionné qu’un garçon de l’âge de son propre fils soit découpé en mille
morceaux comme un vulgaire morceau de viande.
Permettez-moi d’interroger l’humanité d’Ali Mohamed Djounaid. Mon cher Djounaid. Je t’ai vu t’exprimer. Tu avais des yeux et des oreilles. Comme moi, comme d’autres êtres humains. Mais es-tu franchement un être humain ? Ou, en bon imposteur, tu portes un costume qui est plus grand que toi ? Un être humain, c’est une peau. Ce sont des organes. Mais un être humain, c’est surtout un cœur, une conscience. Ton cœur, à supposer que tu en aies un, de quoi est-il fait ? Pourquoi n’a-t-il pas tremblé au moment de découvrir le corps inanimé et en morceaux, de ce jeune homme de vingt ans ? Pourquoi ta conscience te permet-elle de lancer de telles inepties au point de te persuader toi-même, qu’un homme, accusé d’avoir agressé l’un des plus grands tyrans de cette terre, aurait pu mourir naturellement, quelques heures seulement après son acte de bravoure ?
Mon cher Djounaid, j’interroge ta paternité. Si un jour tu t’étais enorgueilli du statut de père, je te prie de revenir à la raison. Un père n’accepte pas la violence exercée sur les enfants d’autrui. Un père protège les enfants de ses semblables comme il protégerait les siens. Mes condoléances à tes pauvres enfants, devenus subitement orphelins. Un jour, vous aviez eu un père. Il était mort pour rien.
J’interroge enfin, mon cher Djounaid, ton statut de citoyen. Un citoyen, un vrai, ne reste pas insensible à la détresse de ses compatriotes. Les Comoriens sont aujourd’hui livrés à eux-mêmes. Ils font face à un régime cynique qui a fait d’eux des ennemis à abattre. Et tu as choisi de servir les gouvernants qui nous tuent. Je te plains et préfère être du côté des justes qu’on tue. Un jour peut-être, retrouveras-tu ton statut perdu de citoyen. Il sera déjà trop tard. Tu auras enterré déjà tous les dignes hommes de notre pays. Et si d’aventure il devait rester un seul vrai Comorien, il ne cesserait de te rappeler le nom de ceux qui sont tombés avec ta complicité.
Ce régime aura franchi toutes les limites. Comme Elaudah Equiano, il ne reste au peuple comorien qu’une seule solution. Il doit s’en sortir et forcer son propre destin. Il doit se délivrer et s’affranchir. Fanou a montré la voie. Comme le font tous les héros en leur temps. Une brèche s’est ouverte. Azali Assoumani risque de mourir assassiné. Il sera poignardé. Peut-être sera-t-il assassiné autrement. Une chose est sûre, tous les Comoriens ont compris que le tyran n’est pas si immortel que cela. Il a aussi ses vulnérabilités et ses faiblesses. Il est surtout entouré de plaisantins qui n’hésitent pas à lui tourner le dos dès qu’un danger frappe à la porte. Donc, que chacun choisisse son camp ! Si Assoumani Azali pouvait, une fois dans sa vie, faire preuve d’un peu de lucidité, il choisirait, à cet instant précis, de rendre le tablier pour faire face à la justice. Autrement, il risque de finir lui-même emporté par la vindicte populaire, comme tant de tyrans. Et pour une fois, dans ce régime, au milieu de toutes ces familles en miettes, la lumière jaillirait pour éclairer nos cœurs meurtris.