Me Gérard a dénoncé de l’intérieur les fraudes préparées et exécutées par la CENI et son président Saïd Idrissa. Depuis, l’étranger, il observe le pays et notamment le fonctionnement de la Justice.
Propos recueillis par Hachim Mohamed
Masiwa – Le 5 juin dernier, l’activiste Laurent Désiré clame haut et fort que l’opposition porte le combat contre la dictature sans vouloir connaître la prison, sans vouloir se faire fusiller et veut facilement gagner la bataille… Qu’en pensez-vous ?
Gérard Youssouf – C’est un point de vue personnel que je ne peux que respecter. C’est sa vision et son opinion. Je dirai par contre que le combat contre l’injustice et la dictature a échoué à cause de la division orchestrée volontairement par les fraudeurs et acceptée par les candidats. Par cette imprudence, la classe politique comorienne a détruit tous les espoirs du peuple comorien vis-à-vis d’un changement certain de la situation chaotique dans le pays. Sauf erreur de ma part, le repli inopiné de certains candidats face à la détermination d’empêcher la tenue de l’investiture de la honte fut un échec total. Il est clair que le régime des tricheurs était à bout de souffle. C’est dans ce contexte qu’ils ont mobilisé des moyens financiers énormes et ressources humaines importantes pour convaincre les anciens candidats à travers des négociations et des fausses promesses afin d’apaiser le climat tendu qui leur faisait peur. Malheureusement certains se sont fait avoir en acceptant de dialoguer avec un clan qui ne respecte jamais ses engagements et qui est habitué à tromper tout le monde. D’un autre côté, je ne suis pas d’accord avec Désiré, car ce n’est ni les emprisonnements ni les agressions barbares qui donnent des gages solides pour la réussite d’un combat comme le nôtre. Je crois plutôt à la détermination et aux objectifs des acteurs qui doivent être pris en considération afin d’escompter de meilleurs résultats.
Masiwa – C’est la quatrième fois que Désiré est jeté en prison sans aucune autre forme de procès. Vous avez été son avocat par le passé, qu’en pensez-vous ?
Gérard Youssouf – Je pense qu’il n’existe pas de miracle. Quand on vit dans un pays où la Justice est dans la rue, tout est possible. Dans notre pays, il n’existe pas d’institution judiciaire sérieuse. Il y a des magistrats carriéristes qui profitent de la situation pour s’enrichir illicitement. Les règles de procédure ne sont plus respectées dans le pays. Ce que Désiré subit malheureusement n’est ni le début ni la fin. Bon nombre de Comoriens sont passés par là et d’autres vivront pire que cela. Notre Justice est instrumentalisée par le clan présidentiel et le parti au Pouvoir. Les Comores, c’est le seul pays au monde où l’on peut être poursuivi et placé sous mandat de dépôt pour des faits qui ne constituent pas une infraction pénale légalement établie et prévue. Je vous rappelle que suite à la révolte populaire consécutive aux fraudes des centaines des personnes ont été arrêtées arbitrairement et enfermées dans des contenaires sur des bases militaires durant des mois sans aucun formalisme judiciaire. Et jamais nos fameux Procureurs ne s’expriment sur les cas de violations flagrantes des droits humains ni même sur les assassinats prémédités par des militaires sur des civiles ou sur les cas de disparitions forcées de certaines personnes, dont deux femmes. Donc, je pense qu’il n’y a pas lieu de faire de parler de justice sous le régime d’Azali Assoumani, président par usurpation de fonction.
Masiwa – Laurent Désiré a aussi évoqué l’emprisonnement de jeunes sans jugement et les maladies qui tuent à petit feu les détenus…
Gérard Youssouf – C’est un secret de polichinelle. Depuis plus de 4 ans, des mineurs de 10 à 14 ans sont détenus dans la prison de Moroni en violation de la loi du 31 décembre 2005 relative à la protection de l’enfance et à la répression de la délinquance juvénile. C’est une triste réalité. Le pays plonge dans les abus et la violation des droits des enfants. C’est une autre forme d’injustice et d’agression. Pire, durant leur incarcération, ils sont enfermés avec des adultes et dans des conditions insalubres en violation de l’article 37 de la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant. C’est un constat accablant, car nous sommes dans un pays où les valeurs républicaines n’existent pas.
Masiwa – Désiré parle aussi de la nourriture des détenus qui rassemble à celle qu’on donne aux chiens, aux animaux…
Gérard Youssouf – La déclaration de Désiré est juste, constante et vérifiable. Il n’existe plus de règles de droits communs dans les prisons comoriennes. Les seules règles applicables sont les instructions données par le fameux commandant en chef des prisons. Aucun juge ni procureur n’ose intervenir ou s’opposer à sa décision. Il est clair que nos prisons sont des cimetières à ciel ouvert au service de la dictature. Bon nombre de mes clients sont passés par là, je parle donc en connaissance de cause. Au-delà de ces conditions de détentions et des traitements cruels des mineurs dans nos prisons s’ajoute le nombre croissant des personnes assassinées, torturées et empoisonnées dans ces prisons. Ces crimes restent impunis parce qu’il y a d’autres qui en profitent pour garder leurs postes et s’enrichir.
Masiwa – Le rapport du département américain sur l’état de la démocratie aux Comores note que certains journalistes ont été victimes de harcèlement de la part des autorités gouvernementales. Un commentaire sur ce durcissement du régime ?
Gérard Youssouf – Le droit à la liberté est inviolable. La liberté d’expression, de manifestation et de réunion est consacrée par l’article 21 de la Constitution de 2018. Malheureusement, ces principes constitutionnels ne sont pas applicables dans notre pays. Ils ont été suspendus par le régime anarchique qui règne. Donc si des journalistes sont persécutés et harcelés, il n’y a pas lieu de se poser des questions dont on connait les réponses. En ce qui concerne le rapport du département américain sur les violations des droits de l’homme aux Comores, il faudrait bien saluer la ferme volonté de cette grande puissance. Elle indique au monde entier la situation réelle dans laquelle se trouve le peuple comorien en termes de droits de l’homme, alors que d’autres pays négocient leurs intérêts stratégiques et économiques au détriment du peuple comorien ou n’hésitent pas à afficher leur soutien à ce régime ou encore à encourager les crimes commis contre les Comoriens.
Masiwa – Dans le rapport américain, quels sont les éléments que vous pouvez confirmer avec des faits ?
Gérard Youssouf – Tous les éléments du rapport sont justifiés. Le rapport illustre de manière explicite l’ensemble des violations des droits de l’homme dans le pays. Tous les domaines des droits humains sont évoqués. On peut citer les homicides ou les assassinats commis à des fins politiques, les actes de tortures et autres peines ou traitements cruels ou dégradants, en passant par les conditions d’incarcération dans les prisons, les arrestations ou détentions arbitraires, les violations des procédures judiciaires, les mauvais traitements des détenus, le déni d’un procès public équitable, la répression transnationale, les ingérences arbitraires ou illégaux dans la vie privée, les violations de domicile et de la correspondance, le non-respect des libertés civiles, les contraintes liées à la libre participation au processus politique, la corruption à grande échelle, la maltraitance des enfants… sont autant d’aspects et domaines des droits de l’homme qui sont violés aux Comores, selon ce rapport.