Une démarche aussi vieille que le monde : soit on regarde le verre à moitié vide ou à moitié rempli. Je retiens aujourd’hui la deuxième option : les Comores ont enregistré un succès notable dans le combat contre l’ignorance.
Par Docteur ès Lettres et Arts
Éloge des présidents comoriens

Quelques chiffres. En 1975, le taux de scolarisation primaire était de trente-cinq pour cent, cinq pour cent de ces derniers accédaient au collège tandis que dix pour cent de ceux-ci parvenaient au baccalauréat. En 2019, il était de 81% chez les hommes et 73,7% chez les femmes avec tout de même de fortes disparités insulaires. Et, depuis trente ans à peu près, les Comores produisent plusieurs milliers de bacheliers par an.
Le président Ahmed Abdallah a, dans une certaine mesure, démocratisé le système scolaire comorien (presque un collège par région), diversifié les formations (des lycées professionnels ont vu le jour) et posé les bases de l’enseignement supérieur comorien (création en 1980 de l’ENES). Le président Djohar, ayant libéré les énergies et les services, a permis la création de plusieurs écoles privées dans les différents recoins du pays et remplacé l’ENES par ce qui deviendra l’IFERE. Le président Azali a créé l’Université des Comores, le président Sambi l’a décentralisée et valorisé les salaires de ses agents. Et le président Dhoinine a poursuivi la décentralisation et fait voter la première loi comorienne sur l’enseignement supérieur le 14 juin 2014.
Faiblesses des lois de 2014 et 2023
Trois absences caractérisent néanmoins ces deux textes : absence de valorisation de la recherche, des rémunérations et des compétences de la diaspora comorienne.
Les deux textes stipulent que pour accéder au titre de maître de conférences, il faut avoir une expérience dans l’enseignement supérieur de quatre ans (article 61 de la loi du 14 juin 2014 et article 40 de loi du 27 novembre 2023). Si on ne considère pas l’Université des Comores comme un gigantesque lycée, on devrait mettre en avant la recherche dans le recrutement et l’avancement des carrières, ce qui conduirait à une grande qualification des enseignants ainsi qu’à une avancée dans la recherche. Tout cela se traduirait par une grande qualité dans l’enseignement dispensé. Autrement dit, ce qui devrait prévaloir dans le recrutement et la valorisation des carrières est moins l’expérience que l’innovation : on ne devrait pas accéder à l’enseignement supérieur par son expérience, mais par son apport au monde de la connaissance. Et pour stimuler la concurrence intellectuelle, les maîtres de conférences et professeurs des universités devraient être mieux payés et augmentés à chaque publication.
Valorisation de l’innovation qui devrait s’accompagner d’une hausse des salaires. En 2018, un enseignant débutant titulaire d’un master touchait 230000 KMF (470 €) alors que celui qui est titulaire d’un doctorat percevait 250000 KMF (510 €). Ces traitements sont très insuffisants et n’arriveront jamais à créer une compétition intellectuelle pourtant nécessaire dans l’enseignement supérieur et dans la recherche. Il faut impérativement un effort salarial considérable pour redonner ses lettres de noblesse à cette institution : le prestige seul ne nourrit pas les enfants. Sinon, tout jeune qualifié, raisonnable et bien renseigné, courra comme un dératé, vers les sociétés étatiques où ses compétences seront mieux prises en considération.
Le manque de stratégie pour attirer les compétences de la diaspora constitue le troisième défaut majeur de ces lois même si les articles 57 de la loi de 2014 et 40 de celle de 2023 prévoient le recrutement d’enseignants associés. Or ce pays dispose d’un vivier de personnel hautement qualifié vivant à l’étranger dont il a besoin pour son développement. Ces personnes, dont les interventions, jadis, coûtaient cher, pourraient être l’une des solutions aux problèmes de ressources humaines de l’institution. Elles pourraient dispenser des cours à distance et corriger les copies des étudiants de façon dématérialisée. L’université équiperait ainsi quelques salles pour ces enseignements à distance et n’aurait pas à payer des billets d’avion et des frais de séjour à des personnes pour quelques semaines par an dont le coût pouvait avoisiner celui d’un salaire moyen d’un enseignant resté sur place et corvéable à merci. Les intervenants de la diaspora, qui pourraient être embauchés comme des chargés d’enseignement, coûteraient probablement moins cher qu’un enseignant permanent.
2003 : une réelle avancée
L’ordonnance n° 03-008/PR du 6 septembre 2003 institue l’Université des Comores tandis que celle du 8 novembre 2003 (n° 3-009/PR) restructure les établissements d’enseignement supérieur et de recherche. La création de l’Université des Comores par le président Azali constitue incontestablement l’un des plus grands succès de ce pays : elle l’a doté d’un personnel au moins qualifié sinon hyperqualifié. Cette institution, encore chancelante, a tiré indubitablement le pays vers le haut. Ce petit pays, de moins d’un million d’âmes, indépendant depuis moins de cinquante ans, produit maintenant plusieurs de ses enseignants, de ses cadres de santé, de ses administrateurs, de ses techniciens, et, mieux encore, forme un terreau favorable aux plus ambitieux qui se dirigent de plus en plus vers des études encore plus qualifiées et diversifiées. Un rappel : en 1988, un peu moins de trois cents coopérants étrangers prêtaient encore main-forte à l’état comorien pour fonctionner.
2014 : confiance à l’intelligence comorienne
Les deux lois déclarent que les universités publiques sont autonomes (articles 12 et 13 de la 2014 et 1er de la loi de 2023). Mais en réalité, celle, portée par le défunt Docteur Abdoulkarim Mohamed, sous l’autorité du Docteur Ikililou Dhoinine, garantissait une relative autonomie à l’Université des Comores : le président de l’institution, vrai détenteur du pouvoir de l’institution, est élu par ses pairs et le personnel IATOS (article 17) tout comme les chefs des composantes (article 18). Et le gouvernement nommait le secrétaire général, les directeurs des différents services ainsi que l’agent comptable. Il s’agissait d’une cogestion de l’institution relativement équilibrée avec un avantage accordé au président de l’institution, enseignant-chercheur, élu par ses paires. Abdoulkarim Mohamed et Ikililou Dhoinine, issus de formations universitaires solides, décomplexés face au monde de la connaissance, accordaient une confiance à l’intelligence comorienne.
2023 : un vrai recul
La loi de 2023, votée sous l’autorité du Colonel Azali, énonce que les chefs des composantes, le secrétaire général, les directeurs des différents services et l’agent comptable sont nommés par le gouvernement (articles 12, 25 et 26). Quant au recteur (nouveau nom du président), réel décideur de l’institution, un conseil d’administration composé majoritairement par le gouvernement choisit trois dossiers qu’il soumet au ministre de tutelle pour non-objection puis au président de l’Union des Comores pour nomination (article 24).
Cette loi consacre tout simplement une mise au pas de l’élite comorienne. Elle transforme l’Université des Comores, cet espace, initialement, de connaissances, d’intelligences et de progrès au mieux en une simple société étatique sinon en un camp militaire.
L’innovation, la création du savoir et l’émulation intellectuelle, caractéristiques de toute université moderne, objectifs vers lesquels tend cette toute jeune institution, s’accommodant très mal de la caporalisation des esprits, il faudra, quand les temps redeviendront favorables, proposer à l’intelligence comorienne, un texte plus efficace, plus fin et plus démocratique : c’est-à-dire porteur de progrès pour le pays.
Nassurdine Ali Mhoumadi
Docteur ès Lettres et Arts