Les Comoriens réalisent peu à peu qu’ils ont perdu un grand artiste en la personne de Bourguiba Hamada. Le chanteur comorien décédé jeudi dernier en France d’un arrêt cardiaque chantait l’amour, et était aussi un artiste engagé et apprécié de tous pour sa gentillesse.
Par Omar Mirali.
Jean D’Ormesson, un auteur que j’affectionne particulièrement écrivait : « Il y a quelque chose de plus fort que la mort. C’est la présence des absents dans la mémoire des vivants. » Non. Bourguiba n’est pas mort. Il vit encore. Il survivra à tout. Au moins dans nos souvenirs les plus tendres. Car oui, Bourguiba laisse derrière lui un héritage culturel exceptionnel. Il était jeune et déjà si grand. Son œuvre, immortelle, survolera les temps et les périodes. Un jour, plus loin devant nous, quelqu’un interprètera quelque part une de ses compositions les plus envoutantes. Un jour, parmi nos descendants, des discussions enflammées porteront sur le plus grand artiste comorien de tous les temps. Il sera question de Maalesh, de Salim Ali Amir, mais aussi, de Bourguiba. Bourguiba est mort, vive Bourguiba !
Il est quatre heures du matin en ce triste vendredi 6 septembre 2024. Le sommeil me quitte, comme s’il fuyait la sinistre nouvelle qui ne tarda pas à s’imposer à moi. J’allume mon téléphone. Je me connecte sur Facebook et partout, des hommages sont rendus à Bourguiba. Le chanteur venait de tirer sa révérence. C’est l’effroi. Comment est-ce possible ? Depuis quand les immortels trépassent ? Pourquoi si tôt ? La mort aura beau rôder autour de chacun d’entre nous, elle apporte toujours une part de mystère et de stupéfaction à chaque fois qu’elle sévit autour de nous. Personne ne s’y habitue.
Les Comores viennent donc de perdre un de ses meilleurs éléments. Véritable ambassadeur de la culture comorienne, Bourguiba aura porté haut et fort, les couleurs de notre drapeau et celle de la musique comorienne. Il aura réussi, toute sa carrière durant, cette rarissime prouesse de s’adresser à toutes les générations, à travers des textes engagés, accompagnés de rythmiques à la fois très modernes, respectueux des traditions et du grand public.
Je décide donc de quitter mon lit. Ma tristesse et mon cœur bousculé m’accompagnent tous deux sur le chemin du travail. Mon téléphone allumé tourne en plein régime. J’écoute en boucle, plusieurs chansons parmi les plus emblématiques du répertoire du monument. À commencer par l’intemporel et iconique « Hazi », un hymne au travail et à l’engagement. Immédiatement, je réalise le génie de l’homme. Ses textes, cela est de notoriété publique, sont d’une rare finesse. Quant à ses mélodies que j’écoutais sans toujours y prêter l’attention qu’elles méritaient, je venais de me rendre compte qu’elles étaient posées aussi minutieusement qu’on poserait des pièces de puzzle. Chaque instrument était à sa place. Aucune sonorité n’avait dépassé les autres. Le tout respectait une certaine harmonie qui frôlait la perfection. J’ai retenu plusieurs passages de cette chanson. L’un d’eux, à mon sens, résume à lui tout seul, Bourguiba et son œuvre. Il fut homme déterminé, toujours prêt à affronter les aléas de la vie seul, et toujours disposé à agir sans rien attendre des autres, le tout avec profondeur, sérieux et humanité. ‘’Ô toi, te voilà jeune et éduqué. Tu as un savoir-faire. Ne compte pas sur un quelconque gouvernement. Bats-toi. (…) Ce pays que nous aimons tant n’attend que nous ! »
J’ai écouté d’autres de ses chansons, non moins fameuses. À chaque fois, le même sentiment d’impuissance face à l’irrévocable m’avait pris. À chaque fois, je mesurais à quel point l’homme était talentueux. Il faut croire que les génies n’aiment pas s’éterniser ici-bas. Salim Hatubou, un autre génie, avait déjà essayé de nous le faire comprendre. Nous n’étions pas suffisamment outillés intellectuellement pour y parvenir.
Vous l’avez compris. Bourguiba était aussi un citoyen de son temps. Si dans ses chansons émancipatrices, il n’a jamais cessé de prendre position sur la situation politique de notre pays, il s’exprimait très peu, jusqu’à récemment, en dehors de ses compositions artistiques, sur la tyrannie en cours aux Comores. Cependant, depuis quelques mois, il avait décidé de se dresser contre les injustices perpétrées aux Comores et en faveur des artistes comme lui. Dans une publication publiée il y a deux jours seulement sur sa page Facebook, Bourguiba écrivait que l’État devrait faire en sorte de s’occuper des bâtiments publics qui sont tous en situation de délabrement. De même, lors d’un direct, il avait interprété une petite chanson dans laquelle il disait : « Le but de la politique n’est pas seulement de gouverner. Il s’agit aussi et surtout d’assurer le bien-être des citoyens. » Comme si, voyant sa mort approcher, il avait voulu poser le dernier coup de pinceau, celui qui fit rentrer son noble nom, et pour l’éternité, au panthéon des plus grands. Notre pays perd un immense penseur. Notre peuple pleure un brave citoyen. Le monde intellectuel pleure un monument.
Espérons, à présent, que notre gouvernement saura honorer cet homme dont la vie fut vouée à honorer notre Nation. Espérons que pour une fois, notre pays saura reconnaître les meilleurs de ses enfants en organisant les funérailles nationales qui sont dues à Bourguiba et à tous ceux qui consacrent leur vie à défendre la chose publique. Je crois que tu iras au paradis,
Quelque chose me l’a dit.
La voie tracée ici-bas,
Ne t’oubliera pas là-bas.
Ils auront déjà tout oublié,
Tu auras déjà publié.
Tout là-haut parmi les bons êtres,
Le dernier de tes chefs-d’œuvre.
Honneur à toi grand homme. La patrie à jamais reconnaissante.