Depuis un mois et demi, l’île de Ndzuani est frappée par une pénurie de riz ordinaire. Cette denrée de première nécessité, la plus consommée dans l’archipel des Comores n’est plus visible dans les magasins occasionnant, dans une certaine mesure, une famine au sein des familles et une invitation à revoir le modèle d’alimentation de la population.
Par Nezif-Hadj Ibrahim
Dans les assiettes des Anjouanais, de nouveaux produits prennent place à l’occasion de cette crise alimentaire qui touche à des degrés divers trois des îles de l’archipel.
Il y a quelques semaines une vidéo sur Facebook donnait à voir une foule dans un magasin à Mutsamudu pour s’emparer de la farine de maïs. Ce produit n’occupait pas une place importante. Actuellement, les familles recourent aux pâtes. Celles-ci ont fait l’objet d’une hausse comme les autres produits disponibles sur le marché et qui pourraient circonscrire la famine. Ces produits alimentaires ont vu leur prix augmenter cependant et ils sont devenus rares.
Les produits agricoles encore plus essentiels en milieu rural
Depuis le début de la pénurie, les habitants se tournent de plus en plus vers les produits agricoles. Les localités du milieu rural pratiquent l’agriculture depuis longtemps étant donné que ces parties du pays concentrent le plus de victimes des inégalités sociales du pays. Cependant, depuis quelques jours, même les produits issus de l’agriculture ne sont plus visibles sur les marchés.
On retrouve surtout des légumes comme l’indique Andjamy Maftahou originaire de Mremani. « La situation actuelle a favorisé le renforcement des liens de solidarité ». L’entraide est devenue indispensable, les produits agricoles se vendent de moins en moins. On préfère se les offrir.
Une hausse exponentielle des produits agricoles en milieu urbain
Au marché de Mutsamudu, on retrouve quelques produits agricoles, surtout du terroir insulaire comme du manioc et de la banane verte. Les tarots venus de Madagascar sont visibles ici et là. Les prix de ces produits ont été revus à la hausse sûrement en raison de la spéculation et du fait que les autres produits alimentaires disponibles sont chers, donc pas accessibles pour tout le monde.
Un kilo de tarot se vend à 1250 fc alors qu’il était entre 750 et 800 fc. Un tas de bananes dont la quantité est vraiment réduite s’achète à 2000 fc, alors que son prix était de 1000 fc. La tubercule de manioc coûte 250 fc, le tas de cinq tubercules coûte davantage, 1000 fc.
À Domoni, la deuxième ville de l’île, ces produits sont devenus rares sur les étals des marchés. Apparemment, les gens préfèrent les garder en raison de l’incertitude sur la fin de la pénurie.
Déterritorialisation opérée par le gouvernement
Alors que sur l’île de Ndzuani l’absence de riz pèse considérablement sur les ménages, à Mwali comme à Ngazidja la pénurie n’est pas encore présente. De ce fait, certains entreprennent d’envoyer du riz à leur famille à Ndzuani par solidarité. Mais le transport vers de produits de première nécessité n’est pas possible. Sur les zones d’embarcation la police douanière tout comme la police administrative opère des contrôles afin de traquer la moindre once de riz qu’on voudrait faire parvenir à ses familles à Ndzuani.
Pourtant, l’unité territoriale est un principe constitutionnel et la continuité territoriale devrait guider le service public. Malheureusement, ce n’est pas l’approche du gouvernement qui montre ainsi que la population de Ndzuani comme étant une population à part.
Une nouvelle cargaison de riz de 1000 tonnes, un don du Japon, est annoncée à Moroni pour le 6 septembre. Toutefois, à Ndzuani, aucun indice ne semble conduire à supposer une arrivée prochaine d’un bateau cargo transport « l’or banc ». Peut-être que le renforcement du contrôle sur le riz Ngazidja répond à un souci stratégique. Il s’agit d’empêcher de frustrer la population à Ngazidja dont une manifestation serait plus difficile à maîtriser qu’à Ndzuani où on se contentera facilement de mater en prétextant une contestation contre un régime diriger par un Grand-Comorien.
« Un marché noir » de produits alimentaires s’est installé
De Mayotte ou de Majunga, des particuliers font venir du riz à Ndzuani. Tandis que les garde-côtes français sillonnent les eaux maritimes de Mayotte, à la recherche des kwassa qui ramènent du riz de l’île sœur sous administration française. Cette option s’est développée en même temps que le stock de riz s’amenuisait dans les villages et villes côtières. Dans le Shisiwani, cette « importation » clandestines est davantage recherchée.
Selon une source qui requiert l’anonymat, le sac de 20 kilos s’achète à 30 euros et pour le transport, il faut jouer des coudes. À Mutsamudu, du riz se vend en cachette à un prix exorbitant. Le « Basmati » se vend à 2500 fc alors que le prix d’origine était de 1250 fc.
Un monopole en faillite
Les Comores sont un pays qui ne cultive pas le riz, alors qu’il est le produit le plus consommé du pays. L’Office National d’importation et de commercialisation du riz (ONICOR) est en situation de monopole, pourtant, il est tombé en déficit. Dans un communiqué partagé sur sa page Facebook, l’Office annonce qu’il subit des pertes depuis deux ans, des pertes dues à la montée considérable du prix du riz sur le marché mondial.
« Aujourd’hui l’ONICOR enregistre une perte insupportable de 62.000 kmf par tonnes avec un prix de revient de 315.000 kmf la tonne et un prix de vente de 253.000 kmf la tonne ».
Depuis, le prix du riz populaire a augmenté pour résorber ce déficit et sauver la société d’État de la faillite. Le gouvernement a fixé le prix du riz à 400 fc le kilo, alors qu’il était à 300 fc à la mi-juillet. Cela n’a pas empêché la crise et la pénurie actuelles.
Le 26 août dernier, le Directeur général de l’Onicor a fait une tournée en compagnie du Secrétaire général du gouvernement, le ministre des Sports et des dignitaires du pouvoir pour sensibiliser les populations sur la pénurie du riz. À cette occasion, Miroidi Aboudou a fait savoir à la population que « le riz ne tombe pas du ciel, il se cultive ».
Dans une conférence organisée mardi 30 août, le porte-parole du gouvernement, Houmed, ministre de l’Agriculture appelle les Comoriens à prendre à bras le corps l’agriculture. Paradoxalement le pouvoir n’a jamais proposé une politique agricole dont l’objectif serait de diminuer notre dépendance à l’exportation du riz. Depuis le régime communiste d’Ali Soilihi, aucun autre régime aux Comores ne s’est penché concrètement sur la question alors que l’urbanisation dans l’archipel a un impact sur notre culture alimentaire.