L’État n’a pas vocation à défendre un citoyen au détriment d’un autre
Bientôt une semaine après l’agression à l’arme blanche sur le Chef de l’État et la mort suspecte de l’auteur présumé. Aucune parole à la hauteur d’une nation qui, en telle circonstance, s’oblige à questionner le sens de l’État qui l’incarne et la validité du pacte social qui le fonde.
L’effroi est encore à son comble pour s’écarter de la stricte actualité. L’on devrait pourtant. Car l’on ne peut comprendre le double acte qui s’est noué simultanément ce vendredi 13 septembre, sans se reporter à l’un des marqueurs de la vie politique de l’archipel : la banalité du crime. Mais ce serait inverser l’ordre des priorités que de s’affranchir de l’actualité brûlante alors que le pays s’en trouve traumatisé, pour se consacrer à une étude des causes profondes de cette poussée de la barbarie.
Revenons donc au fait et au devoir d’informer qui est aussi celui d’alerter sur les postures qui, de part et d’autre, creusent les sillons du chaos*, faute de ressources – pour le moment – d’un sursaut salutaire. L’agression sur un chef d’État est un fait majeur incontestable qui déborde les lignes partisanes pour concerner directement la nation. Il s’agit dans le cas présent de l’État, dont celui qui le personnifie se trouve touché. À l’évidence, le pays est en train de rater le défi d’une élévation vers ce qui a de plus supérieur pour construire du commun, emporté qu’il est par le vertige des intérêts particuliers et des accommodements à de petites parcelles de pouvoir.
Car, dès l’annonce officielle de cette agression, les services de l’État ont perdu leur sang-froid. Optant pour une communication dévoyée. Oubliant leur devoir de vérité à l’endroit du peuple, ils ont entretenu une confusion dont les premiers effets pervers ont été d’éloigner l’institution étatique de son rôle de garant de la cohésion. Vertu nécessaire pour dépasser les passions et maintenir la paix et la solidarité nationale, à un tel moment de traumatisme collectif. La panique, le rappel des troupes et le mystère autour de la santé du Président dont les Comoriens sont tenus à l’écart alors que c’est leur droit d’en être constamment informés, laissent penser que quelque part, le pouvoir a perdu pied.
Et pourtant, les premières heures qui ont suivi son agression, le ton semblait mesuré, responsable. Les déclarations du gouvernement et les communiqués officiels rassurant la population sur les blessures « sans gravité » du Chef de l’État, ou encore le fait [qu’il] « a reçu les soins appropriés [le mettant] hors de danger », exprimaient une certaine maîtrise des enjeux de la situation. Réelle ou voulue par les communicants de Beit-Salam, cette volonté de dédramatisation de l’acte perpétré contre le Président Azali Assoumani, donnait l’impression que l’entourage assumait ce rôle que l’on attend de l’État, de protéger le pays des dérives éventuelles, de calmer la population dans le respect de l’ordre et de la loi.
Malheureusement, cet équilibre n’a pas tenu longtemps, perturbé par les propos du Procureur de la République dont la mission eut été justement de traduire dans le langage de la loi, cet esprit d’apaisement. Face à la presse, le Procureur s’est au contraire emballé dans un discours contradictoire sur les circonstances du décès de l’auteur présumé quelques heures seulement après son arrestation et son placement en garde à vue. En laissant penser à une mort naturelle, le procureur comorien n’a fait qu’alimenter lui-même les suspicions, discréditant du coup sa promesse d’une enquête débouchant sur une justice équitable telle que pouvaient l’espérer les Comoriens, attentifs à connaître la vérité sur l’agression du Chef de l’État, tout comme celle sur l’élimination de son agresseur présumé. Car c’est la vocation de l’État de protéger l’un et l’autre. Savoir ce qui a poussé un jeune individu à vouloir attenter à la vie du chef de l’État, tout comme ce qui a conduit à ôter la vie à son agresseur, relève de la même exigence de la loi.
En cherchant à opposer l’un et l’autre, le parquet n’a fait que s’embourber encore davantage, contraint qu’il est, de s’expliquer d’abord, pourquoi et comment est mort l’auteur présumé sur les lieux de sa détention ? Certes, les juristes peuvent toujours expliquer la possibilité d’enquêter et de juger une affaire criminelle en l’absence de l’accusé. Mais il sera difficile de contourner la question que tout le pays se pose aujourd’hui. Qui avait intérêt, par ce qui ressemble à une élimination de Fanou (de son vrai nom Ahmed Abdou, 24 ans), de faire taire l’auteur présumé de l’agression sur le président Azali Assoumani ?
Dans cette affaire qui affecte le socle de notre vie en société, chercher absolument des boucs émissaires pour écarter l’hypothèse d’un acte possiblement isolé d’un délinquant ordinaire, comme cela a lieu sous d’autres cieux, ne fait que diffuser la suspicion sur la volonté d’élucider cette séquence dramatique. S’enfoncer dans ce tunnel, brouille l’action légale de l’État en le réduisant aux agissements du clan.
Lune
* La prédiction du Président Ali Soilih Mtsachiwa (1975-1978), selon laquelle les Comores passeraient par une phase historique sanglante avant de retrouver une stabilité et une paix durable, reste une énigme qui hante les Comoriens à chaque crise politique.