Le match de football qui a opposé des femmes et des homosexuels à Mirontsi continue de déclencher des polémiques surtout après le communiqué du ministère des Affaires et étrangères défendant l’Ambassadeur de France accusé de l’avoir encouragé dans une pétition qui n’a recueilli au final que 10 signataires.
Par Nezif-Hadji Ibrahim
L’après-midi du 11 janvier 2023, un match de football a été organisé à Mirontsi (Anjouan). Il a opposé une équipe de femmes à une équipe d’hommes s’assumant ouvertement homosexuels. Si la plupart de ces hommes ne cachent pas leur orientation sexuelle, chose qui n’a jamais provoqué une polémique sur l’île, le match a au contraire retenu l’attention sur les réseaux sociaux au point de faire intervenir les autorités politiques ainsi qu’une association de prédicateurs et de prêcheurs comoriens.
Un match qui fait beaucoup réagir
Dès l’arrivée des images sur le net, la polémique autour de l’organisation du match n’a cessé de s’alimenter. Beaucoup ont condamné l’organisation de ce match, soutenant qu’il s’agit d’une propagande ou d’une manifestation allant à l’encontre de notre culture fortement nourrie par des valeurs musulmanes. D’après Nourdine Mbae, membre de première heure du Mouvement Daula ya Haki – IDF, « ce n’est pas un progrès, même si au regard de l’évolution de notre société, les dégradations qui s’accumulent peuvent permettre cette perte de repères ». En effet, sous d’autres cieux, un tel match aurait été considéré comme un pas vers le progrès, surtout pour les droits, les libertés individuelles et les droits humains en général. Cela aurait été donc un progrès pour le pays en termes de promotion des droits de l’Homme.
C’est à ce titre que l’on a voulu interroger l’un des organisateurs du match, un homosexuel connu sur les réseaux sociaux au nom de Teresa, mais en raison de la proportion que la polémique a prise, il a finalement refusé de répondre à nos questions.
L’idée de la protection des mœurs renvoie à un refus d’une dynamique des valeurs fondant un attachement à la culture comorienne. Sauf que ce n’est pas aussi facile, puisque, comme l’indique Maître Ben Ali Ahmed, « Humainement, je suis encore écartelé entre deux mondes, l’envie de dire que chacun est libre de faire ce qu’il veut tant que son geste ne contrarie pas mes droits et dans le même temps, j’estime que de tels loisirs autorisés dans l’espace public, font la promotion de l’homosexualité dans un pays musulman, ce qui est inacceptable ».
Ce qui semble démontrer une position plus originale qui ne tombe pas dans la dichotomie entre conservatisme et progressisme. Pour le militant politique comme pour l’avocat, la libéralisation des mœurs ne doit pas être un mimétisme. D’ailleurs, pour Maître Ben Ali Ahmed, « cela choque la majorité des Comoriens, car ce type de manifestation publique heurte la sensibilité de la société comorienne, profondément musulmane ». Pour l’un comme pour l’autre, la majorité détient un pouvoir normatif que les homosexuels, dans leur sentiment de liberté, ne devraient pas violer. Toutefois, le premier souligne que cela est symptomatique d’une société mal-gouvernée, dans laquelle les actes des autorités ont une influence négative sur la population.
Pourtant, les Comores sont habituées à l’homosexualité
Dans les rues de certaines localités des Comores, il n’est pas rare de rencontrer des personnes homosexuelles. Fort heureusement, elles ne sont ni persécutées ni marginalisées. Les Comoriens hétérosexuels ont appris à vivre avec elles. Cette minorité de la population est aussi sollicitée par des hommes se réclamant ouvertement hétérosexuels. C’est à se demander pourquoi le match du 11 janvier 2023 a réellement choqué.
Par ailleurs, un autre fait doit aussi être relevé, s’agissant de la représentation de cette minorité. De plus en plus d’homosexuels sont sur les réseaux sociaux, ne cachant pas leur orientation sexuelle. Pour un pays avec une pression démographique assez légère, « tout le monde connaît tout le monde », comme on a l’habitude de l’entendre. Cela fait des Comores un pays tolérant à l’homosexualité. Peut-être qu’on pourra dire que c’est d’une manière minimale qu’on accepte le fait homosexuel. Exprimer son homosexualité aux Comores est une chose. Par contre, quand le public juge qu’un tel acte est choquant, la situation change. Le match de Mirontsi rappelle la vidéo qui avait fuité sur Facebook montrant deux hommes dans un moment d’intimité. Pour certains, c’est parce que la vidéo a atterri sur les réseaux que cela a occasionné un tollé, alors que les Comoriens connaissent les homosexuels, et sont amis, frères, sœurs, collègues avec eux. Cela relève d’une forme de paradoxe.
L’ambassade de France se dédouane
Dans cette polémique consécutive au match de Mirontsi le 11 janvier, l’Ambassadeur de France aux Comores, Sylvain Riquier, a été pris pour cible. Dans une pétition, il était accusé d’avoir financé le match, et la raison serait le fait de vouloir « pervertir » la société comorienne. Suite à ces accusations, l’Ambassade de France a publié un communiqué ce 19 janvier. Tout en condamnant « des contenus accusatoires et haineux » ayant été « diffusés sur les réseaux sociaux », elle soutient que « ces procédés portent la signature de réseaux hostiles pro-russes ». L’ambassade assure qu’elle n’a ni « organisé » ni « financé le match de football à Mirontsi dont elle a appris l’existence par la presse ». Elle conclut son communiqué par des remerciements envers les autorités comoriennes : « L’ambassade saisit cette occasion pour remercier chaleureusement les autorités comoriennes de leur soutien et du soutien qu’elles apportent à la communauté diplomatique dans son ensemble ».
À la lumière de ce message, on doit retenir un volet que l’espace public comorien n’a pas encore intégré dans ses débats. Il s’agit de la lutte entre la France et la Russie. Jusqu’à maintenant, on n’a jamais relevé officiellement que les Comores étaient le théâtre d’une telle opposition.
Le gouvernement prend position, des leaders religieux aussi
Quelques jours après le match du 11 janvier à Mirontsi, le ministre de la Culture et du Sport, Djaanfar Salim Allaoui s’est rendu dans cette localité pour tenir une conférence. Le maire et des dignitaires de la ville étaient aussi présents. Mais une déclaration officielle du gouvernement à propos du match a émané de ministère des Affaires étrangères. Le document prenait la défense de l’ambassade de France : « Le Gouvernement comorien condamne avec fermeté les accusations gratuites et mensongères, portées contre l’Ambassadeur de France en Union des Comores, SEM Sylvain Riquier, à travers une pétition diffamatoire qui circule dans les réseaux sociaux et dont les auteurs se sont réfugiés dans l’anonymat ». Pourtant, la pétition a des auteurs indiqués, à savoir : l’ONG SOS Démocratie et le Gouvernement de Transition en exil. Une enquête judiciaire sera ouverte selon le ministère pour identifier les auteurs de la pétition et « les mettre devant leur responsabilité ». Ce qui interroge dans cette pétition est le fait que SOS Démocratie, ONG qui milite pour les droits humains, ne le fasse pas dans le cas d’espèce.
Par ailleurs, le communiqué du ministère des Affaires étrangères relève que les organisateurs du match ont été convoqués par les autorités et qu’ils ont présenté leurs excuses. Cependant, à en croire le maire de Mirontsi, lors de la conférence de presse du ministère des Sports, si on en est arrivé à l’organisation d’un tel match sur l’espace public en tant que manifestation contraire à la règlementation comorienne, c’est en raison du manque criant des moyens que connaît sa commune, surtout en termes de ressources humaines, notamment pour assurer la mission de maintien de l’ordre public. Selon lui, il aurait voulu empêcher ce match, mais n’a pas pu le faire.
Les leaders religieux de leur côté convoquent le Coran pour condamner le match à travers un communiqué diffusé sur Facebook ce 17 janvier.
Ce match a encore une fois révélé les paradoxes et contradictions de la société comorienne.