Chido ! En mahorais, un miroir. Mais pour nous renvoyer, si violemment, quelles vérités inversées sur nos lunettes aveuglantes ?
Par les effets du cyclone Chido, le samedi 14 décembre 2024 est et restera une des dates les plus dramatiques pour les habitants de de l’archipel des Comores qui ont connu pourtant des catastrophes naturelles ou autres.
C’est donc avec une vive et profonde émotion que se vit le lendemain de ce désastre absolu dont les répercussions socio-économiques, politiques et psychologiques ne manqueront pas d’interroger les responsabilités institutionnelles, de part et d’autre. Ce, par-delà les urgences de la survie, en particulier pour les familles des victimes auxquelles chacun s’associe au double deuil national proclamé aussi bien à Moroni et à Paris

En effet, si Ngazidja, Mwali et Ndzouani ont été relativement épargnées, malgré les pluies torrentielles et les rafales de vents, Maoré (Mayotte) a vécu et subi la catastrophe naturelle, historiquement la plus tragique, depuis près d’un siècle, avec des dégâts matériels et environnementaux incommensurables qui vont nécessiter des investissements majeurs pour la reconstruction.
Or, malgré la séparation politique et administrative de l’île depuis 50 ans (ou précisément en raison de cette césure qui a amplifié des flux migratoires naturels, mais devenus désormais ingérables), la problématique des pertes en vies humaines « non recensables » va évidemment peser davantage dans les relations en dents de scie entre les deux capitales. Sachant qu’elles se rajoutent aux milliers de disparus sur le bras de mer entre Anjouan et Mayotte, depuis l’instauration du « visa Balladur » et pour lesquels, profondément croyants et fatalistes, les familles engrangent de la colère et avalent de l’amertume, en s’en remettant à la volonté divine, sans dissuader aucune autre traversée mortifère. Au bout du compte, Mamoudzou est comme Moroni (ainsi que par ailleurs Marseille et Majunga) une ville où se côtoie au quotidien le plus de Comoriens et se renouvelle le brassage millénaire des originaires des différentes iles. Une réalité indéniable, sauf à vouloir ignorer l’évidence et même si c’est dans une relation plus ou moins schizophrénique d’amour-haine, due à une insécurité insoutenable. Pour autant, ce hiatus négativement établi et entretenu sur les deux bords convient à des intérêts qui dépassent le citoyen lambda.
Tout naturellement, dans un tel contexte, la prestation agacée et mal inspirée du Président E.Macron et le silence qui en dit long du Colonel A.Azali ne peuvent rassurer les habitants de l’île et singulièrement les Mahorais, notamment face au « rapatriement » express des métropolitains, enseignants compris, laissant l’impression que le double standard du « Département – Colonie »* se prolonge ainsi, même devant un aussi effroyable malheur commun. Une situation incompréhensible qui rend difficile à calmer les angoisses, les légitimes impatiences et une colère relativement contenue que chacun sait que malgré l’incapacité des entreprises publiques comoriennes à assurer la distribution de l’énergie et de l’eau, des sociétés privées de mise en bouteille à Anjouan et en Grande-Comore sont en mesure de fournir à Mayotte et quotidiennement des tonnes de packs d’eau de source et autres denrées de survie. Dans cette même optique et comme à l’accoutumée, des personnalités comme l’artiste Soprano et des collectifs d’associations de la forte diaspora franco-comorienne se sont mobilisées pour apporter diverses contributions matérielles, financières et socio-psychologiques, notamment en partenariat avec des municipalités et des organisations humanitaires. Mieux encore, compte tenu des liens entre les deux capitales et ces trois grands pays voisins, il aurait suffit que Moroni et Paris s’accordent pour saisir la Tanzanie, le Kenya et Madagascar pour que, tout aussi rapidement, des bateaux chargés d’eau et de produits vivriers correspondants aux habitudes alimentaires locales parviennent au port de Longoni. D’autre part, alors que sur un vaste territoire comme le Mozambique, frappé de plein fouet par le même cyclone Chido, les autorités ont pu rapidement annoncer plus d’une centaine de morts identifiés et plus de 600.000 personnes impactées, on est réduit à Mayotte à escompter une hypothétique rentrée scolaire pour évaluer le nombre d’enfants victimes, alors qu’il s’agit de près de 50% de la population de l’île. Sans compter ceux de la rue dont des milliers sont déscolarisés ou n’ont carrément jamais été scolarisés, formant par la suite des bandes rivalisant dans une délinquance dont certains finissent par atteindre un niveau de criminalité jusque-là impensable, au regard des us et coutumes de l’archipel. Cela a valu à Mayotte, une ile paradisiaque autrefois si paisible, un roman et un film aux titres peu glorieux de « Tropique de la violence ».**
Ce faisant, en ce monde soumis aux aléas du changement climatique et des bouleversements géostratégiques, Chido ne pouvait que mettre à nu la vanité de plus de 180 ans d’administration française sans réel projet de développement économique d’intégration sociale d’un côté et, de l’autre 50 ans d’indépendance chaotique, de despotisme et de corruption indexée publiquement par la Représentante de l’UE dans l’Océan Indien. Nonobstant la problématique d’une résolution du conflit de souveraineté qui exige une ferme volonté, une démarche visionnaire et une aptitude au dépassement des schémas et des paradigmes qui ont démontré leurs limites (pour ne pas dire un continuum d’échecs), l’ampleur de la désolation invite ardemment à penser la reconstruction de Mayotte par un renouvellement basé sur une quête des voies positives d’un vivre ensemble incontournable. Et, de par son statut de membre permanent du Conseil de Sécurité censé faire appliquer le droit international dans toutes ses dimensions et sous toutes les latitudes, la France s’honorerait davantage à ne pas se contenter de compter des pratiques relationnelles usuelles fondées sur les « fragilités » des gouvernants d’un micro-Etat pluri-insulaire. Les évolutions récentes de l’Afrique francophone et les convulsions récurrentes en Nouvelle Calédonie, aux Antilles et dans une autre mesure en Polynésie, témoignent de l’impérative nécessité de revoir entièrement certains logiciels déconnectés des réalités d’un monde désormais vécu comme un village planétaire qui se refuse tout autant à l’unidimensionnel. Comme durent et surent en tenir pleinement compte, en leur temps et à leurs manières Y.Arafat, Y. Rabin et Sh. Pérès, ainsi que N.Mandela et F.Deklerk, ou encore Ch.De Gaulle et K.Adenauer, pour ne citer que ces figures emblématiques de différents horizons.
En attendant, de leur côté, les gouvernants comoriens successifs et futurs, en particulier le Colonel A.Azali toujours en perpétuelle quête de reconnaissance, pourrait et devrait s’inspirer de la démarche d’Ali Soilihi qui, confronté à un drame aussi absolu que le massacre de Majunga opta pour une solution audacieuse d’urgence fondée sur les traditions de solidarité et d’hospitalité ainsi que les capacités d’accueil de quelques 16000 rescapés par un balbutiant « Etat lycéen »*** d’une Nation en renaissance, sous le prisme brutal d’une révolution impopulaire. Et cela, malgré le dénuement laissé par une colonisation et une décolonisation, pour le moins peu enviables. Évidemment, il ne s’agit point de la même configuration de rapports étatiques bilatéraux. Aussi, une telle approche n’impliquerait nullement une renonciation à l’unité nationale et à l’intégrité territoriale qui enlèverait toute légitimité à tout pouvoir comorien, dès lors qu’elle serait confiée à l’ONU, l’UA, la LÉA et l’OCI. Ces institutions pourraient être saisies au titre de garantes de l’intangibilité des frontières géographiques et historiques telles qu’internationalement reconnues et comme piliers d’un cadre de prise en charge et de dédommagements, ainsi que de financements d’un réel développement humain, solidaire et durable. Il s’agirait ainsi de redonner à ceux qui ont tout perdu (les proches, les maigres biens et les espérances pour leurs familles) d’initier des possibilités de se reconstituer physiquement, matériellement et psychologiquement dans ce présent indicible et se projeter dans un devenir à repenser, après tant d’années de labeurs englouties et de rêves évanouis dans des bidonvilles dignes « (des) Misérables » emportées par un terrible et horrible destin.
Pour cela et pour y croire, encore faudrait-il que toute équipe en charge du gouvernail de l’archipel puisse s’élever à la hauteur d’un tel défi, et soit à même de susciter suffisamment de confiance et d’enthousiasme pour un appel patriotique à une mobilisation générale, toutes générations confondues.
Enfin, pour la reconstruction, peut-on décemment continuer à miser sur le fait que, dans sa criante pauvreté, la population du « département préfabriqué » de Mayotte doit se contenter d’avoir un PIB bien supérieur aux voisins de la sous-région, alors que mieux même que La Réunion, l’île Maurice et les Seychelles deviennent des références pour le continent africain ?
En somme, si l’on peut se référer au dicton affirmant qu’« à quelque chose malheur est bon », c’est en cela et dans de telles circonstances qu’émergent et savent se distinguer les hommes d’Etat qui marquent l’Histoire de leurs peuples par des empreintes honorablement indélébiles et majestueuses.
Chido ! Hasard ou non, le début de cette 2024 est aussi marquée par la sortie de deux films poignants : d’une part, KOUNGOU de Naftal-Dylan Soibri et Youssoufa Mass, sur deux destins de jeunes, avec les bidonvilles de Mayotte en toile de fond. Comme s’il fallait, par anticipation, conserver un pan majeur de l’Histoire récente de Mayotte. Et d’autre part, Zanatany, l’empreinte des linceuls esseulés de Hachimiya Ahamada sur les massacres (oubliés) de Comoriens à Majunga en 1976, Mahorais compris.
Puisse Dieu bénir ces milliers d’enfants de cet archipel si souvent meurtri. Avec mes condoléances les plus attristées aux familles des victimes et ma profonde compassion pour les blessés.
*Rémi Carayol, Ed.La Fabrique (2024)
**Nathacha Appanah, Ed.Gallimard (2018)
*** J-C Pomonti, Le Monde (1978)
SOILIH MOHAMED SOILIHI
Journaliste-Ecrivain
Ancien DG de l’Office de Radio-Télévision des Comores (ORTC)
Ancien Ambassadeur des Comores aux NU et aux USA
En situation d’asile politique en France