Un candidat aux présidentielles, dont la candidature a été rejetée, a fait un recours contre les candidats venus de la diaspora en avançant qu’aucun d’eux n’a fait les 12 mois de présence au pays cette année. Parmi, ces candidats, il y a Elanrif Lavane. Cela relance la question du maintien de Harmia Ahmed, sa belle-mère, en tant que présidente de la Chambre électorale de la Cour suprême. Peut-elle, à chaque étape du processus, juger des affaires qui concernent son gendre avec impartialité ?
28 avril 2018, Me Harmia Ahmed est nommée présidente de la chambre administrative de la Cour Suprême par décret du président Azali Assoumani. Celui-ci vient de suspendre d’une manière illégale la Cour constitutionnelle et de transférer les compétences de celle-ci à la section administrative de la Cour Suprême, cour dont il peut nommer lui-même tous les magistrats. Il a besoin de mercenaires-magistrats capables de dépecer la Constitution de 2001 qui lui impose la tournante et lui interdit de briguer deux mandats successifs. Il cherche des juristes capables de marcher sur les lois avec des bottes de militaires, sans sourire et sans sourciller. Le 8 mai 2018, Harmia Ahmed, avocate et ancienne bâtonnière, Nidhoime Attoumane et Idrisse Abdou, tous deux magistrats, le dernier étant déjà membre de la Cour Suprême sont nommés. Tous les trois jurent sur le Coran et « au nom d’Allah » d’exercer leurs fonctions en toute impartialité.
Une cour au service d’Azali Assoumani
C’est cette équipe qui valide le référendum qui met en place une nouvelle constitution avec de faux résultats puisque les journalistes comoriens et étrangers ont constaté que les électeurs ont répondu à l’appel au boycott prôné par l’opposition, que la grande majorité n’est pas allée voter et ont constaté les bourrages d’urnes à partir de midi.
C’est cette équipe, dirigée par Harmia Ahmed qui validera également les élections de la discorde en 2019 et permettra à Azali Assoumani de se maintenir au pouvoir, là aussi avec de faux chiffres puisque quelques jours plus tard, un journaliste plutôt étiqueté proche du pouvoir filmera les urnes non ouvertes entassées à l’Assemblée de l’Union et que de nombreuses urnes cassées dans les villages se sont vues attribuer des votants.
Dans ses décisions depuis qu’elle est à la tête de cette institution, elle ne va jamais à l’encontre de la volonté gouvernementale. Et parfois, la Cour attend une décision du gouvernement avant de se prononcer dans le même sens.
Harmia Ahmed n’est donc pas à une incongruité près et elle ne fermera pas les yeux devant ceux qui lui disent qu’elle ne peut plus présider ni même siéger au sein de la chambre électorale de la Cour Suprême et suivre le contrôle constitutionnel de la procédure électorale, alors que son gendre, le mari de sa fille, Elanrif Lavane, est un des prétendants à la magistrature suprême dont la candidature a été validée par la section administrative, mais mise en cause par un autre candidat dont la candidature a été invalidée.
Un gendre nommé Jack Lavane
Elanrif Lavane est un membre actif de la diaspora comorienne. Homme d’affaires, il a souvent milité pour la démocratie dans son pays d’origine. Il a toujours été un opposant à Azali Assoumani jusqu’en 2018-2019. Après l’élection de ce dernier, Jack Lavane le désigne encore comme un dictateur.
Même s’il n’a jamais fait de déclaration sur la position centrale de sa belle sur l’échiquier politique d’Azali, l’évolution de Jack Lavane ces derniers temps montre qu’il est parfaitement en phase avec celle-ci. Il semble que c’est précisément à partir du moment où celle-ci a été nommée par Azali Assoumani, présidente de la section administrative de la Cour Suprême que Jack Lavane change de position. En 2019, il a encore du mal à sortir d’une certaine neutralité, il est prudent. Le jour de l’élection présidentielle, alors que la fraude massive est avérée, que l’armée tire sur la foule et s’empare des urnes, il appelle les Comoriens à rester chez eux et à éviter les affrontements. Il rentre en France au mois de mai 2019, après l’investiture d’Azali Assoumani. De nombreuses manifestations sont organisées en France contre la fraude et la lourde répression des militaires. Contrairement à ce qui se passait avant, il n’y participe pas, critique ceux qui les organisent et les militants azalistes qui n’osent pas aller dans les réseaux pour répondre à l’opposition. Il félicite même ceux qui, comme l’ancien journaliste Ahmed Ali Amir, pour des raisons personnelles, acceptent d’aller servir la dictature.
Dans la foulée, il crée Diaspora+ pour combattre la Diaspora comorienne qui lutte contre le régime d’Azali Assoumani et la répression militaire. Il fait un tour de France pour essayer de fédérer les militants qui soutiennent la dictature, mais le résultat est mince. Il est même probable qu’il n’obtient pas le soutien actif des proches du pouvoir, comme il l’aurait espéré. Il jette l’éponge en décembre 2019 et laisse le mouvement à un militant déclaré du régime en place, et entre dans une sorte de silence, jusqu’à ses premières déclarations indiquant qu’il allait être candidat aux élections de 2024, à un moment où dans la diaspora, il était plutôt question de boycotter les élections d’Azali.
Le statut de la magistrature
Dans tous les cas, la candidature d’Elanrif Lavane met à mal la position de sa belle-mère. En devenant membre de la Cour Suprême, celle-ci a quitté le monde des avocats pour devenir magistrate, son activité est donc aujourd’hui sous les règles édictées par « Le statut de la magistrature » (Loi du 31 décembre 2005). L’article 1er de ce statut affirme qu’il n’y a qu’un seul corps de la magistrature et dans le premier alinéa que « les magistrats du siège et du parquet de la Cour suprême » en font partie.
Et sur la situation de Harmia Ahmed, eu égard à la candidature de son gendre, le statut est également très clair. Dans son article 15, on peut lire cette simple phrase qui devrait convaincre tout magistrat : « Lorsque dans une affaire, le représentant de l’une des parties est parent ou allié jusqu’au degré d’oncle ou de neveu inclusivement du Magistrat, ce dernier ne pourra connaître de ladite affaire ».
Interrogé sur cet article et notamment sur ce terme d’« allié », un juriste qui a requis l’anonymat est catégorique : « L’alliance en droit désigne les liens juridiques d’une part entre deux époux et d’autre part avec certains parents de l’autre époux ».
Ne serait-ce que par prudence, Harmia Ahmed aurait dû se récuser. Elle ne peut pas, en tant que présidente de la Chambre électorale de la Cour Suprême, traiter avec ses collègues du dossier du mari de sa fille, d’abord quand il s’agit de sa possibilité de se présenter à l’élection présidentielle, et surtout maintenant qu’un citoyen met en cause la candidature d’Elanrif Lavane et demande un décompte de son temps de présence aux Comores. Qui va prendre la décision de dire qu’Elanrif Lavane a bien passé 12 mois aux Comores l’année dernière ? Sa belle-mère ? La décision de la Chambre électorale devient a priori suspecte si la belle-mère siège et participe au débat concernant le cas de son beau-fils.
La déontologie des magistrats
Il n’y a pas que le statut de la magistrature qui ordonne à Harmia Ahmed de se récuser, mais aussi « Les règles de la déontologie des magistrats » comoriens dont la règle n°12 affirme : « Le Magistrat doit veiller à ce que son impartialité ne puisse être mise en cause ». Or, obligatoirement, lorsqu’une mère a à juger d’une affaire concernant le mari de sa propre fille, elle ne peut pas être impartiale. C’est le bon sens.
Et la règle n°38 de la déontologie des magistrats va plus loin en déclarant que « le magistrat qui, convaincu qu’il est de son devoir de se récuser et qui ne le fait pas, fait acte de magistrat non intègre », magistrat non intègre, n’est-ce pas la plus vilaine des qualifications pour un magistrat qui se respecte ?
Si l’on dit que les Comores vivent aujourd’hui sous la dictature, ce n’est pas seulement parce qu’il y a à la tête de l’État un autocrate qui fait ce qu’il veut quand il veut, ni le fait qu’il regroupe entre ses mains les trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, mais c’est aussi parce que dans chaque corps de l’État, les chefs font ce que bon leur semble, sans tenir compte ni des lois ni des règles de déontologie, et qu’ils n’ont aucune considération de l’image honteuse qu’ils renvoient, tant qu’ils ne contrarient pas les intérêts du chef suprême et de ses proches. En l’occurrence ici, Harmia Ahmed sait qu’elle peut se permettre de se maintenir en place, même si elle est consciente de ne respecter ni les lois ni les principes juridiques, parce qu’elle sait qu’il est de l’intérêt de celui qui l’a nommée qu’elle se maintienne en place pour sauver sa tête si nécessaire d’ici quelques mois. Du moins, tant que le peuple lui laisse la possibilité de continuer à proclamer de faux résultats.